LE RETOUR DES MISSILES A BORD DES CHARS

Après des décennies d'oubli après de essais peu concluants et employé depuis de façon quasi exclusive par les engins russes, les missiles antichars tirés depuis le canon d'un char ont fait ces dernières semaines, une réapparition aussi inattendue que visible. Si le premier projectile présenté à l'occasion du salon DSEI qui s'est tenu à Londres du 9 au 12 septembre dernier constitue une véritable innovation, le second missiles, "simple" amélioration d'un armement existant a été dévoilé au début la semaine dernière par son fabricant. Ces armements représentent une évolution intéressante sur laquelle Blablachars revient ci-dessous.

L'association d'un missile antichars avec un canon a fait l'objet de nombreuses études menées par les industriels et les militaires à partir des années 1950. Cette association que l'on retrouve aujourd'hui sur la plupart des engins modernes sous la forme d'un lanceur (parfois escamotable) installé sur le côté de la tourelle a également été déclinée sous une autre forme, celle d'un missile antichar tiré depuis le canon d'un char. L'étude des caractéristiques des chars de l'ex Pacte de Varsovie permettait de signaler leur capacité de tir d'un missile antichar par le canon comme l'AT-8 Songster (9K112 Kobra) tiré depuis le T-64 et le T-80, ou l'AT-11 Sniper (9M119M Sniper) pour le T-90. Le dernier né  des industries russes, le T-14 devrait pouvoir tirer une large gamme de munitions guidées par le canon comme le 9M119M1 Invar, capable d'atteindre des objectifs volant à basse altitude, le 3UBK21 Sprinter spécialement développé pour le char ainsi que le 3UBK25 en cours de développement et qui posséderait un système de guidage actif. A noter que les engins chinois dérivés de leurs homologues soviétiques puis russes possèdent les mêmes capacités. Côté occidental, l'engin le plus emblématique de cette tendance est le M551 Sheridan, entré en service en 1969 et qui était capable de tirer le missile antichar MGM-51 Shillelagh. Son abandon en 1977 donna lieu à de nombreuses tentatives de remplacement dont la dernière le M-10 Booker, n'ont pas connu le succès escompté. La France n'est pas en reste sur le sujet, avec le lancement en 1961 des premières études de l'ACRA (Anti Char Rapide Autopropulsé ou Auto guidé). Inspiré du Shillelagh, le missile français peut être tiré à partir d'un canon de 142mm à une portée maximale de 3300m, jusqu'à laquelle il peut percer un blindage de 380mm d'épaisseur sous une incidence de 65°. Un AMX-30 modifié permet d'effectuer des essais entre 1970 et 1974 aux côtés de trois AMX 10P modifiés en chasseur de char livrés en 1970 et 1971. Durant ces années, le coût du missile explose pour atteindre un million de francs, sans qu'il ne soit possible de le tirer depuis un  hélicoptère. Le projet est abandonné en 1972, le missile HOT deviendra quelques années après le missile antichars standard à longue portée de l'armée de terre. 

AMX-30 modifié pour le tir de l'ACRA

Quelques décennies plus tard, les évolutions technologiques (miniaturisation, numérisation) relancent le sujet du missile antichar tiré à partir du canon d'un char. Au début des années 1990, IAI (Israel Aerospace Industries) développe le LAHAT (Laser Homing Anti Tank) qui peut être tiré par le canon 105mm des Merkava I et II et 120mm des Merkava III et IV et être adapté à la majorité des canons de ces calibres, montés sur des véhicules légers ou blindés. Avec une portée maximale de 8000m depuis un poste de tir à terre, le LAHAT peut percer jusqu' 800mm de blindage RHA 5Rolled Homogeneous Armor) grâce à une charge tandem permettant de percer les blindages réactifs de type ERA. un peu plus de trente ans après les débuts du Lahat, IAI dévoile la nouvelle version du missile, baptisée Lahat Alpha. La nouvelle version qui peut toujours être tirée depuis un canon de 105 ou de 120mm peut également être mise en oeuvre depuis un aéronef, un navire ou d'un poste de tir débarqué. D'une longueur de deux mètres, le LAHAT Alpha pèse qui 25 kilos peut atteindre un objectif situé jusqu'à portée maximale de 20km. La tête militaire, qui combine une charge creuse et à fragmentation peut être utilisée contre des objectifs blindés ou autres comme des structures, des véhicules faiblement blindés ou des troupes à découvert. 

Le Lahat Alpha d'IAI

Le développement du Lahat Alpha par IAI permet à la firme israélienne de "coller" aux besoins de l'armée israélienne et de sa volonté d'augmenter la production de Merkava, mais aussi à la présentation par Rafael Industries des dernières versions du Spike. A noter que la famille de missiles antichars du fabricant israélien sert de base à une munition rôdeuse, combinant las caractéristiques d'un missile et d'une munition rôdeuse. La munition L-Spike 4X présentée au dernier salon AUSA affiche une portée maximale de 40km, (supérieurs aux 32km du Spike LR), passe en mode "rôdeuse" cinq minutes après son lancement à partir d'un lanceur Spike et peut voler de façon autonome pendant 25 minutes. Le développement de ces différentes munitions répondent au besoin d'extension de la portée de ce type d'armement et d'acquisition d'une capacité de tir au-delà de l'horizon permettant d'accroitre la protection des engins tireurs. 

L-Spike 4X de Rafael

Un autre pays s'intéresse au sujet comme en témoignent les essais menés par l'Inde depuis 2020 pour le tir par le canon du char Arjun d'un missile antichar à guidage laser.  La munition qui est la seule à être tirée par un canon rayé de 120mm, ce qui le rend incompatible avec les armement en service au sein de l'Otan, aurait une portée maximale de 5000m et serait doté d'une charge creuse en tandem. On ne connait pas les suites données à ces essais ni le degré de développement de cet armement. 

Tir du missile par le char Arjun

Le second missile antichars tiré depuis le canon d'un char a été présentée par MBDA au cours de l'édition 2025 du salon DSEI. Le concept de l'Akeron MBT-120 vise à offrir aux chars dotés d'un canon à âme lisse de 120mm une capacité de tir au delà de l'horizon, avec l'utilisation d'une munition connue et déjà en service dans plusieurs armées. Les dimensions de l'Akeron MBT-120 le rendent compatible avec les exigences de stockage, manutention et chargement des munitions à bord d'un char moderne, sans que l'on sache si l'Akeron MBT-120 serait compatible avec les systèmes de chargement automatique. Une belle piste de réflexion et d'essais pour la DGA, qui au lieu de s'interroger sur le maintien d'une capacité char lourd, pourrait fort opportunément réfléchir à l'intégration de l'Akeron 120-MBT sur le Leclerc ! 

Akeron 120-MBT

Commentaires

  1. La DGA ne s'interroge pas sur le maintien d'une capacité de char lourd, elle se demande s'il faut envisager une solution intérimaire en cas de retard du MGCS.
    Ce n'est pas la même chose.

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    1. Lire l'article consacré à l'audition du DGA au cours de laquelle il fait part de ses interrogations sur le "maintien d'une capacité de char lourd alors que les chars Leclerc vont être frappés d'obsolescence"

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    2. Je ne vois pas bien l'intérêt d'un missile "au delà de l'horizon" dans un char. Le nombre est certainement limité, ie. 2 à 4 maxi. Les capteurs / direction de tir sont totalement différents de ceux utilisés pour le tir direct. C'est comme quand certains applaudissent l'usage par les ukrainiens du char (avec son canon lisse) en canon d'artillerie. Que ce soit un expédient, pourquoi pas. De là à prévoir cette capacité et le surcoût qui va avec lors de la conception, je suis dubitatif.

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    3. Oui justement, on s'interroge d'une solution intérimaire si le MGCS n'arrive pas à temps. Ce n'est pas une question ouverte sur le fait d'abandonner le char, donc le MGCS.

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    4. @anonyme du 03/11 à 20h07 :
      Si vous associez le char avec un drone captif à 10/15 m de hauteur munis d'un désignateur laser, vous pouvez tirer à 5000m sans être découvert face à un tir direct, n'importe où en Europe ou dans le Dombass.
      Non, ce n'est pas inutile d'autant qu'il ne s'agit que d'une extension de capacité mais c'est effectivement en concurrence avec les solutions par drones à fibre efficaces (par paquet de 10), peu onéreuses et de portée 20 km aujourd'hui.
      LS

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    5. C'est certainement un plus d'équiper le char d'un drone de surveillance / reconnaissance, notamment en terrain difficile pour éviter les ambuscades. Il y a une analyse coût/bénéfice à faire entre le drone réutilisable (décollage & atterrissage) et le jetable (dans ce cas il faut pouvoir en porter plusieurs). Idem pour le fil à la patte (bande passante vs. manœuvrabilité). Un facteur à prendre en compte c'est si le char travaille isolément comme non l'a vu en Ukraine ou en formation ce qui me semble plus conforme à la doctrine.
      En revanche rajouter des missiles sous blindage complexifie certainement le rechargement automatique et la protection de l'équipage en cas d'explosion. Il vaut certainement mieux prévoir des véhicules dédiés qui n'ont d'ailleurs pas besoin du même blindage puisqu'ils ne seront pas "au contact". Et qui pourront envoyer des missiles / munition rôdeuses "en essaim"

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  2. Est ce que le char doit lui aussi lancer des missiles (Antichar probablement ? !) ?
    Ou ne doit-il pas laisser ce genre de dispositif à d'autres plateformes porteuses, spécialisées (Avec mat télescopique par exemple.).
    Ou non, vu le nombre de munitions de plus en plus limitées et cependant déjà assez variées qu'il peut emporter (AP, flèche, charge creuse, APHE, HE, HEAT, anti infrastructures, canister, fumigène, etcetera.) (Qui plus est demain avec des calibres de 130 ou de 140 mm encore plus encombrant, et donc encore en quantités encore plus limitées.) ?

    D'autant que ce dernier est le seul a posséder un système de tirs de munitions extrêmement rapide :
    jusqu'à plus de dix fois plus rapide qu'un missile antichar en temps de vol (Et il peut s'en passer des choses en 30 seconde en temps de guerre.) ; et beaucoup moins susceptible d'être facilement intercepté donc.
    Pour le dire autrement le missile antichar n'est pas tout simplement le mode dégradé du canon et des munitions à tir direct du char.
    (C'était par exemple le mode dégradé du char léger Sheridan, relativement incapable de tirer des munitions antichar classiques, et qui n'a connu aucun succès ni aucune suite, jusqu'ici...
    Et donc des chars soviétiques d'une certaine façon, pour les mêmes raisons d'insuffisance.).

    Auxquels se rajoute le cout en effet, de ces missiles... ...Souvent superfétatoires en particulier dans le cas d'un char d'assaut.

    Ou dit encore autrement, le char ne doit-il pas au contraire se concentrer, et non se disperser, sur ce qui fait sa spécificité, et sa supériorité, le tir direct ?

    C'est un peu la même démarche que l'on retrouve dans la volonté de dissolutions des capacités du char en le voulant le transformer en plateforme d'artillerie annexe, ce dont il n'est pas du tout fait non plus. Le char "pour quoi faire"... Une interrogation qui restera sans doute encore longtemps chez certains ; et plus particulièrement chez nous. Essayer de lui trouver de nouveaux emplois, alors qu'il en a déjà un très spécifique et indispensable, irremplaçable même : L'assaut blindé.

    Par contre un canon coaxial, comme il existait sur l'AMX30, de 30 mm "par exemple", pour compléter celui ci par un système d'arme contre les cibles de plus faible valeur, trouverait sans doute toute sa place (Plus que le transformer aussi en lanceur annexe de drones par exemple et autres munitions rodeuses, ça c'est sûr et certain.).
    Par contre, un lanceur de missiles antichar comme armement complémentaire sur les VCI, qui accompagne plus que généralement le char, a son sens aussi.
    Mais vouloir absolument mélanger les genres, pour en faire une plateforme universelle multi domaines (Fait pour tout, et bon à rien à la fin.)... Ah le mythe de la plateforme technologique ultime, bonne à tout faire !! Et hors de prix !!!...

    Un système de systèmes coordonnés et cohérent, voila ce qu'il nous faut au contraire retrouver, y compris en terme d'antichar ; et de trame antichar et anti blindés complète.
    (A commencer par là... Lance-roquette léger jetable de 60 mm, CG84, Milan NG, missile longue portée > 8-10 km, sur hélicoptères par exemple (Cela existe déjà depuis des décennies avec le Hellfire ce genre de missile par ailleurs polyvalent, vu sa charge.), obus Bonus (Mêmes portées que le Spike LR, mais beaucoup moins cher (6, 7 fois moins, ou 6, 7 fois plus pour le même budget...), et autres munitions de mortier 81 et 120 mm, de 5 et 10 km également de portée et très peu cher en comparaison du moindre missile...).

    Bref, concentrons nous, concentrons nous au lieu de nous disperser. (De la concentration, et de "l'économie", des forces, et des moyens et ressources)

    Ah, la "modernité", à tous prix, et bénéfices... !!

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  3. Ah je suis bien d'accord avec Ronin ... pour une fois :-)

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  4. En plus gaffe, nos intrépides cavaliers risquent vite de se retrouver promus au rang de simples artilleurs comme les autres avec de tels systèmes !! ;)

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  5. L'Akeron MBT 120 ou LP peut recevoir un ciblage optique d'un drone ou d'un autre véhicule , le combat anti char a tir tendu au canon peut il disparaitre? ou simplement devenir anecdotique?
    les retours d'Ukraine semblent le confirmer, les missiles Tow des Bradleys à guidages filoguidés ou leurs équivalents Russes font plus de cartons que les obus des chars.
    la conception des chars changera t elle?, le char deviendra t il un engin de bréchage ou de combat urbain ou le canon haute pression n'aura plus sa place??
    penandreff

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