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dimanche 16 août 2020

LA MODULARITE DES ENGINS DE COMBAT OU LA TENTATION DES TRANSFORMERS

Une vidéo de RheinMetall récemment publiée sur un réseau social met en exergue la capacité d'adaptation du Véhicule de Combat d'Infanterie Lynx KF41. Les images montrent la dépose de la tourelle et la mise en place d'une Remote Weapon Station, transformant un VCI lourdement armé en un "simple" transport de troupes capable d'assurer son autodéfense. La modularité utilisée ici comme un "argument de vente" n'offre aucune plus-value tactique et requiert un certain nombre de précautions. 
 
 Le Lynx KF41 n'est pas le seul engin que ses concepteurs cherchent à présenter comme modulaire et adaptable. Le Boxer allemand permet à son utilisateur de posséder plusieurs véhicules en un seul grâce à un module arrière interchangeable au gré des missions et des situations tactiques. La liste des modules disponibles pouvant être allongée en fonction des besoins, comme l'a montré la récente version du Boxer poseur de pont développée par RheinMetall. Le changement de module est effectué selon le constructeur de Düsseldorf en soixante minutes et ce quelque soit le module de mission mis en place.
Autre exemple de modularité, les canons à calibre multiples, spécialité de Northrop Grumann avec le canon de 30mm MK44 II pouvant tirer des munitions de 40mm après un changement du tube et de quelques éléments essentiellement situés au niveau du boitier d'alimentation. Un canon de 35mm convertible en canon de 50mm fut même testé par cette société sans que cette arme ne soit produite. Le MK44 II auparavant appelé MK44S Stretched ou Étiré permet le tir de munitions de calibres différents (30 et 40mm) grâce à une adaptation de l'arme dont la durée totale n’excède pas la trentaine de minutes. Le slogan de cette arme pourrait être "30mm à l'apéro, 40mm au digeo !" tellement les choses paraissent simples selon les services commerciaux promoteurs de cette solution. 


Autre industriel tenté par la modularité, John Cockerill Defense qui dans une vidéo de grande qualité nous montre un engin effectuant une première patrouille avec une tourelle équipée d'un canon de 30mm et de missiles antichars, qui se transforme en char léger ou assault gun grâce à la mise en place en 48 heures d'un canon de 105mm à chargement automatique. Les promoteurs de cette solution soulignent l'économie réalisée (un seul engin pour plusieurs missions) la souplesse d'emploi et la possibilité de créer des unités mixtes et adaptables. Le seul avantage offert par cette transformation est l'angle de site positif important offert à l'armement surtout dans le cas du canon de 30mm évoluant dans un espace prévu pour un canon de 105mm. 


Toutes ces offres  élaborées par des services commerciaux ne font que peu de cas de la réalité de la chose militaire. Un engin de combat est conçu, développé et mis en service pour répondre à un besoin opérationnel exprimé par une armée. Si l'adoption d'un châssis unique décliné en plusieurs versions peut être envisagée, celle d'une tourelle à canons interchangeable reste difficilement concevable tout comme celle d'un véhicule à la partie arrière également interchangeable. Sur le plan logistique la possession de systèmes ou composants  "inutilisés" ou en attente de montage est antinomique avec les économies annoncée. Le stockage, le transport et le montage, peut être en zone d'insécurité d’éléments de tourelle, d'armement ou de véhicules peut s'avérer délicat et synonyme d'alourdissement de l'empreinte logistique. En outre les 48 heures annoncées pour le déroulement de l'opération impliquent le désengagement de l'engin donc celui du peloton voire de l'unité élémentaire à laquelle il appartient. Peut on imaginer un escadron avec des tourelles VCI 30mm, des tourelles VCI 40mm et des tourelles assault gun 105mm ? Quelle finalité tactique pourrait-on assigner à cette unité à l'exception de missions d'opportunité ou de combat de rencontre ?
Le changement de calibre d'une arme comme le MK44 II est inenvisageable sans une étroite coordination entre logistique et opérationnel pour maitriser tous les aspects de l'opération. Si celle-ci est conduite sous forte contrainte temporelle, climatique ou tactique, il convient de renforcer les mesures de contrôle pour éviter tout incident ou erreur !  Ici aussi quelle plus-value tactique est apportée par une augmentation ou une diminution du calibre d'un canon ? Quel échelon tactique prend la décision de modifier le calibre d'une arme et en fonction de quels critères ? On augmente le risque de survenue d'un incident de tir ou d'une rupture d'approvisionnement en munitions, surtout si la décision de modification est prise avec un faible préavis ou en réaction à une situation, scénario le plus souvent mis en avant par les départements commerciaux promoteurs de ces solutions.
La modularité proposée, changement de tourelle, de partie arrière, de calibre est à peu prés équivalente à celle proposée par les transformers dont le succès n'a jamais dépassé le stade de la production cinématographique. Au contraire la communalité entre des systèmes basés sur une architecture commune permet de réduire les couts de possession par l'emploi de solutions communes en matière de soutien et de formation notamment. La modularité augmente ces couts de possession, en générant des contraintes techniques, logistiques et tactiques alourdissant l'empreinte logistique des systèmes d'armes concernés sans amélioration notable de leur efficacité opérationnelle.

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