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vendredi 21 mai 2021

LA CHENILLE COMPOSITE, L'AVENIR DES BLINDES !

La récente actualité des engins blindés a permis de constater que tous étaient équipés de chenilles dites composites par opposition aux chenilles métalliques utilisées jusqu'à présent sur les engins de gamme médiane, de type VCI ou chars légers. Les avantages offerts par cet équipement concourent de façon significative à l'amélioration des performances des engins qui en sont équipés, dès leur origine ou au cours d'une opération de modernisation. En outre, les progrès réalisés dans leur conception devraient permettre aux chenilles composites de s'imposer dans les prochaines années comme l'équipement indispensable à la mobilité des engins de combat chenillés existant ou en développement. 

 
Pièce essentielle du train de roulement d'un véhicule chenillé, la chenille constitue le coeur de la mobilité de l'engin, à ce titre elle est l'objet de toutes les attentions de l'équipage. Une chenille métallique classique est composée de patins, pouvant recevoir des semelles, généralement en caoutchouc. La liaison entre les patins qui composent la chenille est assurée par différents systèmes dont les plus connus sont les axes secs ou les connecteurs. Ces différents composants sont l'objet de vérifications régulières visant à détecter toute détérioration ou anomalie pouvant entrainer des incidents comme un déchenillage ou une rupture de la chenille. Les patins tout comme les semelles peuvent être changés pour remplacer un élément usé ou dans le cadre d'un entretien préventif. Cette opération nécessite de "couper" la chenille, afin de l'étaler et de procéder aux changements de patins ou de semelles avant de la remonter et de la réassembler. Autre objet d'attention de l'équipage, la tension de la chenille est vérifiée visuellement ou à l'aide d'instruments de mesure. Les engins récents sont équipés de dispositifs permettant d'ajuster la tension de la chenille depuis le poste de pilotage. Sur les blindés des générations précédentes, cette opération nécessitait l'intervention de l'équipage et le recours à une pompe à graisse pour modifier la tension de la chenille ! Ces différentes mesures permettent à la chenille de remplir son rôle dans les meilleures conditions pour offrir au blindé une mobilité sans équivalent en dépit des inconvénients liés à sa composition métallique, à savoir le bruit, les vibrations, le poids et une vitesse relativement limitée sur route et une "empreinte logistique" effrayante pour certains. 

Contrairement à une idée reçue, la chenille souple est presque aussi ancienne que le char d'assaut. Dès 1925, les chars français engagés dans la Guerre du Rif utilisent une chenille souple, dont la conception s'appuie sur les travaux menés dès 1910 par Adolf Kégresse qui essaye des chenilles composées de matériaux aussi divers que du cuir, des cordes ou même des poils de chameau tressés. Ces chars sont équipés de chenilles de type Kégresse utilisant un système de bandes de caoutchouc moulé, creusées de sculptures reproduisant la forme des patins classiques. Cette expérimentation restera sans lendemain dans l'armée française qui limitera l'usage de cet équipement sur les auto-mitrailleuses de type P16, P28, P104, ainsi que l'AMR (Auto Mitrailleuse de Reconnaissance) P103 présentée en en 1935 pour remplacer l'AMR P28. 

Auto Mitrailleuse de Reconnaissance P 103

 

Il faut attendre les années 70 pour retrouver des chenilles caoutchouc sur des véhicules utilitaires civils et le début des années 90 pour que ces chenilles commencent à équiper des engins blindés comme le M113, ou le NA-140 d'Hagglünds, premier véhicule équipé de chenilles souples produit en série. C'est le théâtre afghan et son terrain difficile qui constitue le véritable laboratoire d'essais des chenilles composites. Elles équipent les M113 norvégiens et danois avant leur montage sur les CV9030 norvégiens, pour une première utilisation opérationnelle sur un engin blindé de plus de 30 tonnes.

Aujourd'hui le terme de chenilles composites caoutchouc ou CRT (Composite Rubber Tracks) a remplacé celui de chenilles souples ou caoutchouc, traduisant l'évolution de leur composition qui utilise des matériaux plus élaborés que le simple caoutchouc. Au-delà de cet aspect sémantique, les CRT représentent une solution de mobilité offrant des gains concrets dans plusieurs domaines, qui peuvent se traduire par des avantages sur le plan tactique.

Avec un gain de poids par rapport à une chenille métallique identique qui peut aller jusqu'à 50%, la chenille CRT facilite l'intégration d'équipements supplémentaires en conservant le poids initial de l'engin. Cette caractéristique est  particulièrement importante dans le cadre d'une modernisation, souvent synonyme d'augmentation de masse. Cet allégement bénéficie également à la consommation qui peut diminuer de 30%, réduisant significativement le poids du carburant dans la logistique des engins équipés. Le bruit est également diminué d'un maximum de 13.5 db, offrant un meilleur confort aux combattants embarqués et rendant l'engin plus discret lors de certaines phases de déplacement. L'adoption d'une motorisation hybride pouvant fonctionner en mode électrique donc silencieux, combinée à l'emploi de chenilles composites conférerait à un engin ainsi équipé, une discrétion particulièrement intéressante pour la réalisation de certaines missions, comme l'infiltration ou la reconnaissance. Toujours dans le domaine des performances, la vitesse maximum du véhicule équipé de chenilles composites sera supérieure à celle d'un véhicule équivalent équipé de chenilles classiques. Enfin, la réduction jusqu'à 70% des phénomènes vibratoires permet de préserver l'ensemble des équipements embarqués et d'allonger leur durée de vie. Cette diminution des vibrations concoure également à l'amélioration des performances du système d'armes grâce à une meilleure stabilité de la plateforme, amplifiée par l'utilisation de suspensions de type oléo-pneumatiques ou hydrauliques. Le résumé de ces avantages montre que l'utilisation de chenilles composites sur les engins blindés chenillés augmente significativement leur efficacité dans plusieurs domaines. Elle remet en question les griefs formulés à l'encontre de ce type d'engins en termes de mobilité stratégique, d'empreinte logistique et de souplesse d'emploi. A ces avantages, il convient d'ajouter un cout de possession réduit, avec des exigences de maintenance diminuées de 80%. 
Ces points positifs à porter au crédit des chenilles composites montrent l'ampleur de l'évolution de cet équipement depuis sa réintroduction sur les véhicules militaires, il y a une quarantaine d'années. Les modifications apportées à la conception des chenilles composites ont permis des gains substantiels dans certains domaines mais aussi d'élargir la gamme d'engins pouvant en être équipés. Alors qu'elles étaient destinées il  y a 40 ans, à des engins d'une dizaine de tonnes, les chenilles composites modernes peuvent
aujourd'hui être montées aujourd'hui sur des VCI de 50 tonnes capables d'évoluer sur tous les types de terrain et dans les environnements les plus complexes. En dépit des progrés réalisés en quelques décennies, cet équipement continue d'évoluer pour offrir des solutions à ses principales faiblesses. 

La chenille composite, de conception monobloc présente l'inconvénient de ne pas pouvoir être réparée en cas de dommages. Cette impossibilité nécessite le transfert de l'engin concerné vers un échelon de réparation pour effectuer le changement de chenille. A l'immobilisation de l'engin, s'ajoute une certaine lourdeur logistique liée à la réalisation d'une telle opération. En dépit du caractère rarissime d'une telle situation, cet argument est néanmoins régulièrement employé par les "opposants" à la chenille composite. Pour remédier à cela, la filiale Défense du Groupe canadien Soucy, leader mondial dans le domaine propose aujourd'hui un kit de réparation baptisé Battle Damage Repair (BDR) kit, qui peut être utilisé de façon autonome par l'équipage. Cet ensemble, composé d'éléments comme des patins amovibles, des câbles de maintien et différents accessoires de fixation, est conditionné dans une caisse pouvant être transportée dans un engin blindé. Le montage de ce kit de réparation n'exige aucun soutien externe et peut être effectué de façon totalement autonome par les membres d'équipage. La réparation effectuée grâce à ce système reste provisoire et la chenille doit être changée dès que la situation le permet. 

Battle Damage Repair (BDR) Kit 

 




Les câbles latéraux maintiennent les axes transversaux qui permettent la mise en place des éléments de réparation sur la zone endommagée. L'ensemble d'une longueur déterminée est ainsi adapté à la partie de la chenille endommagée. Un engin blindé peut embarquer plusieurs kits BDR dans son lot de bord. Cette capacité autonome de réparation semble largement plus aisée à mettre en oeuvre que la réalisation d'une opération similaire sur une chenille métallique, qu'un équipage seul ne peut ni couper, ni réparer. 
Cet avantage devrait faciliter l'adoption de la chenille CRT pour les engins modernes ou revalorisés  dont le poids ne dépasse pas les 50 tonnes. La prochaine évolution des CRT pourrait se concrétiser par un recul de cette limite qui permettrait d'envisager l'équipement d'un plus grand nombre d'engins. Une telle évolution pourrait ouvrir à la chenille composite le marché constitué par la modernisation des chars de première et deuxième génération comme les T-55, T-62, M-60 ou encore Leopard 1, pour ne citer que les plus connus. On peut penser que d'ici la fin de la décennie, les chenilles CRT pourront équiper les chars les plus lourds grâce aux progrés réalisés dans la conception de cet équipement mais aussi dans celle des engins de combat blindés. 
Dominé par le groupe canadien Soucy, le marché des chenilles composites est aujourd'hui en plein expansion avec des programmes majeurs tels que le Land 400 australien, l'OMFV et le MPF américain ou encore la rénovation de VCI en service comme aux Pays Bas. Les perspectives de croissance de cette technologie pour les prochaines années font regretter que le groupe Michelin ne soit jamais entré sur ce marché, peut être en raison du désintérêt de l'armée de terre pour les engins chenillés, mais ceci est une autre histoire !

15 commentaires:

  1. Prêcher la bonne parole dans un pays comme la France qui n'a pas de véritable VCI:
    https://blablachars.blogspot.com/2020/08/un-concentre-de-technologies.html

    Il faut s'appeler Blablachars!

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  2. Bonjour,
    En terme de durée de vie , quel est le gain par rapport à une chenille classique ?
    Merci

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    1. En terme de kilométrages, la durée de vie des nouvelles chenilles souples composites est actuellement à peu près la même que celles d'un jeu de pneus, de 50 000 km en conditions normales d'utilisation. Cependant, là aussi la technique progresse très vite, en matière de chenilles en composite, plus vite que celle des pneus actuellement.

      Quant à leur coût, celui est également globalement le même que celui d'un jeu de huit roue d'un VBCI, voir un peu moins même : Entre 20 et 30 000 euros pour deux chenilles souples et pour un engin de 30 tonnes ou plus.
      Sachant qu'un jeu de huit pneu de VBCI coutent plus 32 000 € (plus de 4 000 € le pneu.). Ces derniers s'usant extrêmement rapidement dans certains environnements abrasifs : au sahel par exemple leur durée de vie est très réduite, à peine à quelques dizaines de milliers de kilomètres.
      Là aussi d'ailleurs, la pression répartie au sol des chenillés en général fait que plus que probablement ils s'useront moins rapidement.
      A noter également encore que le prix, des chenilles souples ne cessent actuellement de baisser, plus encore avec leur prochaine propagation généralisée (l'avenir en effet.), pendant que leurs performances ne cessent elles de fortement, et de très rapidement, progresser (l'avenir, encore !!!)...

      Par rapport à des chenilles classiques elles sont encore un peu plus chères (c'est relativement nouveau (une vraie, et réelle innovation, en fait !!!) et la technique évolue très rapidement.), mais leur grand avantage comme le dit notre hôte ci dessus, c'est que que les chenilles souples se remplacent très rapidement (aussi rapidement, pour deux chenilles souples, voire plus rapidement encore qu'un jeu de huit pneus d'un quatre essieux !), le maintien en conditions opérationnelles en est globalement réduit et donc son coût également.

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    2. Merci pour ces précisions.

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  3. En effet, vous parlez d'or (surtout pour la France où ce genre de procédé semble méconnu, ou en tous cas très largement ignoré à l'heure actuelle, malheureusement...), et de façon très détaillée en plus (et y compris sur l'avenir de la motorisation hybride pour tous les prochains engins de combat.).

    D'autant que cela semble aller encore plus vite que prévu : il y a quelques temps les chenille souples pour les engins de 50 tonnes étaient plutôt envisagées pour 2025.
    Ce n'est donc qu'une question de temps, relativement court, pour que tous les futurs engins de combat en soient équipés, jusqu'aux chars les plus lourds (qui le seront donc un peu moins, qui plus est avec l'avancée également constante en matière de blindage (donc plus légers également encore, et surtout, mieux protégés, évidemment.).

    A noter également qu'une paire (de deux) chenille souple ne coutent pas plus cher, voire même moins, que les huit roues d'un engin 8 x 8 de poids similaire (donc à blindage et protection inférieurs : n'est ce pas cependant le plus important aujourd'hui, pour nos soldats, même en opérations asymétriques ?!), qui s'usent même très rapidement dans certains environnements.

    Il ne restera plus pour les véhicules sur roue comme avantages que leur vitesse de pointe, supérieure d'environ 10 à 20 %, sur route évidemment, si ce n'est sur autoroute (par ce que en réel tous terrains celle-ci peut rapidement est réduite, à néant.) et leur relatif désormais moindre consommation en carburant, réduite à 30 % sur des chenilles souples, alors qu'elle l'était de 50 % sur des chenilles classiques anciennes.
    Les désavantages, évoqués ci dessus (mobilité opérationnelle et non tactique, poids plus important à blindage et protection égaux, moindre capacité d'évolution au niveau du poids total maximum et capacité de port de systèmes de tirs plus lourds, moins de compactivité (en hauteur notamment), et donc moins de survivabilité globale (et c'est ce que l'on demande principalement et essentiellement à un engins de combat, selon moi (je sais que certains n'en sont pas d'accord, même ici!)), eux resteront cependant les mêmes.

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  4. Une évolution plus que rapide, ces derniers temps en particulier, quand on sait qu'il y a peu de temps, moins de dix ans, les chenilles souples étaient encore limitées aux engins, VCI et autres, de moins de trente tonnes.
    Comme vous dites, "l'avenir des blindés", et même déjà le présent...

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  6. "LA CHENILLE COMPOSITE, L'AVENIR DES BLINDES" :
    Et sans point d'interrogation !!
    Vous me direz en même temps, tout "le monde" en est convaincu aujourd'hui, toutes les grandes puissances et toutes les grandes armées vraiment modernes, tout le monde, sauf... la Belgique... Malheureusement encore une fois, très malheureusement...

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  7. Les anglais avaient prévus de s'y mettre...
    Mais c'était avant!
    https://blablachars.blogspot.com/2020/05/la-chenille-souple-arrive-outre-manche.html

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  8. La France a choisi la roue...
    https://charolais-news.com/faits-divers/36073-visite-de-lunite-genie-civil-de-michelin.html

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    1. Au contraire la chenille souple serait une belle occasion de se diversifier pour Michelin (face en plus à une concurrence de plus en plus acharnée dans le seul pneu.), avec de nouveaux marchés.
      Une belle occasion complètement ratée pour l'instant.

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    2. Avec des véhicules militaires plus lourds à cause d'énormes batteries pour les véhicules hybrides, en attendant d'hypothétiques véhicules tout électriques...

      Ce sont les fabricants de pneumatiques qui comptent dessus, cela promet de juteux dividendes!
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/07/12/automobile-les-producteurs-de-pneus-veulent-profiter-de-la-revolution-electrique_6088005_3234.html

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  9. Pourtant depuis 1991 et l'opération Daguet, on sait très bien que nous avons une armée de flanc-garde...
    https://operation-daguet.fr/la-charge-des-marsouins-temoignage-du-general-darmee-2s-bernard-thorette/

    « Et le fait de faire un vaste mouvement de contournement n’était-il pas un problème pour les chars, par rapport aux blindés à roues du 3e RIMa ?
    – En théorie, le 4e Dragons aurait pu représenter un handicap, mais en pratique il a été le plus rapide sur un sol parsemé de rochers coupants qui ralentissait les engins à roues : en trois jours, nous avons crevé des dizaines de pneus des VAB !

    A vos sardines, vos rustines et vos pompes à pied!

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