Les derniers développements dans la résolution du conflit ukrainien et l'agitation autour d'une menace russe envers l'Europe ont relancé l'idée d'un réarmement massif des pays du Vieux Continent. En France, à côté des va t'en guerre de plateaux télé, la situation a favorisé la (ré) apparition de plusieurs responsables politiques pour fustiger les budgets actuels et appeler au réarmement de notre pays, oubliant au passage pour certains d'entre eux que la situation actuelle est la conséquence de leur action quand ils étaient aux affaires. Loin de faire un procès ad hominem, Blablachars a fouillés les archives pour vous livrer un rapide historique des dix dernières Loi de Programmation Militaire (LPM). Cet exercice, n'a pas pour objectif d'alimenter des polémiques plus ou moins stériles mais bien de permettre à chacun de se forger une opinion.
Si la pratique remonte aux années 1960, Blablachars a choisi de démarrer son survol par la LPM couvrant la période 1977-1982. Définissant des objectifs ambitieux, elle confirme pour l'armée de terre l'acquisition d'AMX 10RC et de VAB et lance d'importants programmes de défense. Son exécution se heurte cependant aux chocs pétroliers de 1973 et de 1979 et à la politique d'austérité instaurée dans laquelle le budget de la défense devient la variable d'ajustement. En dépit de ces difficultés, l'armée de terre retrouve ses équipements, voit ses conditions de vie améliorées tout comme le moral de ses hommes et femmes.
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Remise du premier AMX 10 RC au 2ème Régiment de Hussards par Yvon Bourges, Ministre de la Défense |
Il faut attendre 1984 pour voir la LPM suivante se mettre en place, F. Mitterrand ayant décidé après son élection en 1981 de laisser s'achever la LPM en cours. Après une année de rattrapage en 1983 liée aux trois dévaluations et la crise économique, la LPM 1984-1988 est mise en oeuvre. Plusieurs programmes concernant les forces conventionnelles figurent dans cette LPM comme le Leclerc ou encore la création de la Force d'Action Rapide (FAR). Cependant cette LPM inaugure également une pratique appelée à se renouveler, le renvoi de la plus grande partie des réalisations prévues aux trois dernières années budgétaires de la période considérée. Celles-ci représentent 84,6% du total des projets inscrits en programmation. Cette LPM qui se révèle être une "véritable impasse financière" selon les parlementaires est impossible à tenir, ce qui entraîne en 1987 le vote d'une nouvelle LPM.
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Prototype du Leclerc |
Celle-ci doit s'étendre sur la période 1987-1991 et ne porte que sur les crédits d'équipements avec la livraison à l'armée de terre de 1000 chars, 8000 blindés, 500 hélicoptères et 500 pièces d'artillerie. Cette LPM voit pour la première fois le budget de la Défense bouclé grâce à des fonds de concours provenant de la cession d'immeubles et/ ou de terrains. Cette pratique fragilise son exécution qui souffre également de réductions, d'étalements et d'annulations de programmes. Cette LPM qui a engagé les programmes Rafale et Leclerc n'est pas appliquée par la majorité issue des élections de 1988, la fin de la guerre froide suspend son exécution, pour la seconde fois dans l'histoire des LPM.
C'est en 1990 que débute la LPM suivante, qui doit normalement s'étendre jusqu'en 1993 et vise à mettre en oeuvre le plan "Armées 2000." Bien que Paris soit relativement réticent à une baisse brutale des dépenses militaires, la précarité des finances publiques (déjà) a rapidement raison de ces bonnes intentions et conduit à l'abandon de la LPM au bout de quelques mois en raison du décalage entre les prévisions et le cout de la guerre du Golfe. L'actualisation de la LPM prévue en 1991 n'a pas lieu et en 1992 et 1993 le ministère de la Défense supporte à lui seul 1/3 des annulations budgétaires, la LPM est suspendue pour la troisième fois consécutive.
En 1995, pour la première fois, l'élaboration de la LPM 1995-2000 est précédée de la rédaction d'un Livre Blanc sur la défense qui est publié en février 1994. Alors que la LPM fait du maintien de la conscription une des bases de notre système de défense, J. Chirac élu en 1995, annonce en 1996 la suspension du Service National et la professionnalisation des armées. Cette décision signe la mort prématurée de la LPM en cours en même temps qu'elle met en place un nouveau format pour les armées. Le plan horizon 2015 adopté en juillet 1996 prévoit de faire passer l'armée de terre de 127 à 85 régiments tandis que le décrochage entre objectifs fixés et réalités budgétaires est amplifié par la politique de réduction des déficits publics, mises en oeuvre dans le cadre du futur passage à l'Euro. Une nouvelle LPM s'avère nécessaire.
La Loi de Programmation Militaire 1997-2002 est une LPM de refondation qui vise à bâtir "une armée plus ramassée, mieux équipée et adaptée aux actions hors du territoire national." Pour cela, elle prévoit une réduction de 36% du format de l'armée de terre (19% pour la Marine et 25% pour l'AAE), une réduction des parcs et une baisse de 20% des crédits de fonctionnement. Elle est une des rares lois qui parvient à son terme, même si son exécution se révèle partielle avec un taux d'exécution de 91%. Plusieurs programmes sont annulés ou réduits comme le Leclerc en raison du cout des OPEX qui impose des ponctions sur les crédits d'investissement (-13 milliards d'euros) au profit du fonctionnement mais aussi en raison du cout sous-estimé d'une armée de métier.
Dans la LPM suivante, devant couvrir la période 2003-2008, les crédits de fonctionnement ne sont pas pris en compte et les crédits d'équipements augmentent de 1.4 milliards d'euros. Les effectifs militaires et civils baissent dans le cadre de la consolidation de la professionnalisation tandis que le contrat opérationnel de l'armée de terre prévoit l'engagement de 50 000 hommes dans le cadre de l'Otan ou de 20 000 homme simultanément sur plusieurs théâtres. Pour la première fois, une LPM fixe des normes quantitatives annuelles de préparation opérationnelle, ainsi qu'un contrôle des dépenses à l'euro près en accord avec l'esprit de la Loi Organique de Loi de Finances (LOLF) et dans le cadre du respect des critères de Maastricht. Ce renforcement du contrôle de Bercy sur les finances du ministère de la Défense n'empêche pas la LPM de ne pas atteindre ses objectifs. Le cout des nouveaux équipements mal évalué à l'origine entraine des retards et oblige à prolonger les équipements existants en dépit de leur usure accélérée sur les théâtres d'opérations extérieures. Des besoins capacitaires nouveaux non prévus comme le Caesar, sont financés en cours d'exécution tandis que le financement des OPEX impose l'annulation de 2,1 milliards d'euros de crédits d'équipements.
Précédée par la publication en juin 2008 d'un livre blanc, la LPM pour les années 2009-2014 est considéré par de nombreux observateurs comme un véritable plan social pour les armées. En dépit de la priorité accordée aux équipements qui se traduit par de nombreuses commandes (VBCI, Félin) le MinDef devient le premier contributeur à la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) avec une réduction de 54000 postes dont 75% portent sur l'administration et le soutien. La création des Bases de défense (BdD) permet de réaliser 1.7 milliards d'euros d'économies entre 2008 et 2013. Le sous-dimensionnement de ces fonctions et la réduction des crédits qui leurs sont alloués imposent de facto une réduction des dépenses de fonctionnement et désorganise de façon durable le fonctionnement du Ministère. Fin 2011, l'écart entre programmation et exécution est de 1.3 milliards d'euros, le cout des Opex est supérieur aux prévisions tandis que l'absence d'exportations du Rafale oblige le Ministère à augmenter les commandes nationales. L'incertitude pesant sur les ressources s'ajoute à ces éléments rendant la trajectoire fixée par la LPM impossible à tenir, sa mauvaise exécution entraine un report de charges de 3.45 milliards d'euros, pratiquement le double de celui de 2008. En revanche, les objectifs de suppression d'emplois sont atteints même si les errements et difficultés de pilotage diminuent le montant des économies prévues. La création de la base française aux Émirats Arabes Unis est décidée en 2009.
Merci pour cette étonnante photo du proto du Leclerc. Les caissons avant font souvent oublier que les parois de la tourelle donnent un petit air des premières versions du Leopard 2.
RépondreSupprimerPlus sérieusement: on retient une sérieuse diminution pendant le second septennat Mitterrand (88-95), (dont 2 ans de gouvernement de droite) avec 1/2 point de PIB en moins pour la défense. Admettons, c'était la fin de la guerre froide.
Puis de nouveau 1/2 point de PIB en moins avec le quinquennat Chirac (dont 5 ans de gouvernement Jospin, heureux sur la conjoncture économique, mais calamiteux sur la préparation de l'avenir). Ce nouveau tour de vis, qui a entraîné une diminution majeure des niveaux de commande et/ou un report massif des délais de livraison (on pense en particulier aux Leclerc et Rafale), a été clairement mené au nom de l'entrée dans l'Euro.
Il est insupportable, insupportable, d'entendre ceux qui étaient au pouvoir alors et les eurofédéralistes en général donner des leçons de réarmement aujourd'hui.
Depuis 2022, on est un petit peu au dessus (Chirac 2) ou un petit peu en dessous (Sarkozy, Hollande, Macron), des 2%. Il manque en cumulé, 25 années fois 1/2 point de PIB en équipement et munitions.
Enfin, et même si un ancien pilote d'hélicoptère de la marine et contributeur très prolixe sur LinkedIn ne cesse de cirer les pompes d'E Macron en ce qui concerne le redressement budgétaire qui serait à mettre au crédit de l'actuel président de la République, force est de constater que si on dézoome de la période 2019-25, pour considérer une perspective historique plus ample (et c'est bien ce qu'il faudrait faire), l'amélioration est vraiment très peu visible. Et ce, alors que "nous sommes en guerre" selon des annonces qui nous parviennent régulièrement depuis 5 ans.
Erratum: septennat Chirac 1995-2002
RépondreSupprimerCe n'est pas tant les budgets, même si cela compte aussi, mais ce que l'on en fait :
RépondreSupprimer3 %, mais 1 300 chars, 500 pièces d'artillerie majeures, 800 VCI, plus 4000 VTT, plus tout le reste en effet ci dessus, le coût de la conscription en plus (0,4 à 0,5 % à elle seule ; et pour à peu près autant de professionnels d'active à l'époque. On serait plus dans un jeu des 36 000 erreurs en l'occurrence aujourd'hui.), des équipements du génie en nombre similaire adapté, des équipements antiaériens divers, également en nombre suffisant, etcetera, etcetera.
Bref trois fois plus de forces opérationnelles, et armées (!!!), pour deux fois moins d'effectifs (!), et 50 % seulement de budget en plus.
Mais on ne faisait pas du grand n'importe quoi ("Les couts des nouveaux équipements mal évalué"), et du très grand n'importe quoi (vi comment les appétits sont aiguisés !...).
Trois fois d'avions de combat et deux fois plus de navires également.
Le pire, c'est que cela se termine, toujours plus (Ou avec toujours moins ; et ce n'est pas terminer...), par une capacité de projection qui n'a jamais été aussi faiblarde :
7 ou 8 000 personnels au grand maximum toutes opérations extérieures comprises, et une petite brigade (Médiane évidemment) non seulement très largement sous armée, mais aussi à peine alimentée en munitions ("Echantillonaires" elles aussi !!)
; contre plus de 20 000 (15 000 pour Daguet, plusieurs milliers déjà dans les Balkans, et évidemment en Afrique.
Dire qu'on a professionnaliser pour cela, pour pouvoir projeter plus de soldats formés et entrainés, et avec des armées qui auraient du normalement être "plus musclées" (Comme on nous disait à une certaine époque.), c'est à dire mieux équipées, et mieux protégées...
(Quel(S) fiasco(S). Pas sur, du tout, qu'une simple remontée budgétaire, déjà en cours depuis dix ans (Pour quels résultats ?), suffise à remédier et à corriger tout cela.
C'est de réformes, et de refondation en profondeur même, dont auraient aujourd'hui besoin nos armées, plus que tout le reste.)