Le lendemain de la Fête des Saints Archanges, célébrée par les parachutistes, les transmetteurs et le monde du renseignement, les tankistes célèbrent l'anniversaire de la création officielle de l'Artillerie Spéciale, décidée le 30 septembre 1916. C'est à cette date que l’École de Cavalerie a organisé la journée nationale de la Cavalerie, autour du thème "Quel avenir pour le char ? Quel char pour l'avenir ?" Débattre autour de ce thème le jour anniversaire de la création de la première composante blindée de l'armée française, aurait pu être considéré comme un pied de nez aux fossoyeurs du char, prompt à l'enterrer après chaque crise ou conflit. Les interventions et les tables rondes qui ont ponctué le déroulement de cette journée ont permis à chacun de mieux appréhender les enjeux d'une question redevenue essentielle dans la perspective du retour de la haute intensité. Blablachars qui était présent grâce à la Direction des Études et de la Prospective (DEP) de l’École de Cavalerie, vous livre ci-dessous un aperçu de cette journée de réflexion.
Orchestrée par le Colonel Tesson, directeur de la DEP, la journée a débuté par le mot d’introduction du Général Baudet commandant les Écoles Militaires de Saumur et l’École de Cavalerie et Père de l'Arme. Le Général de Division MARTIN actuellement Officier Général Anticipation Stratégique et Orientations à l’État-major des Armées, a présenté au cours de la première intervention intitulée "Le char à l'épreuve de la guerre russo-ukrainienne." Le fantassin qu'il fut et qu'il continue d'être a ouvert son propos en rappelant (si besoin était) qu' "affirmer que le temps du char est passé serait une connerie !" Le ton était donné et la suite fut à la hauteur des attentes avec des propos éclairants qui ont permis de planter le décor de la journée. Le conflit ukrainien, décortiqué dans le temps et dans l'espace a permis au GDI Martin de rappeler que seuls les engins chenillés sont encore capables de se déplacer dans la zone des contacts dont la profondeur avoisine les 20 km. Le rappel de l'importance de la chaine de commandement "première victime de la guerre" tout comme le besoin de masse et de cohérence, ont permis au GDI MARTIN de souligner le rôle d'incubateur de solutions et d'évolutions tenu aujourd'hui par le conflit ukrainien, appuyant son propos en rappelant qu'une année de guerre en Ukraine équivaut à 4 ou 5 ans de développement. A propos du char, les unités blindées, si elles en créent plus le choc ne sont pas dépassées et elles agissent désormais en complément du drone, (une inversion de la pensée dominante qui ouvre de nombreuses perspectives). La fin du conflit marquera une étape importante pour le marché de l'armement avec la mise sur le marché de matériels ukrainiens "combat proven" produits par une BITD dont l'agilité n'est plus à démontrer. En conclusion, le GDI Martin a rappelé trois priorités qui lui semblaient essentielles : Nous devons être capables de faire avec ce que nous avons et développer notre capacité à durer ; Développer les facteurs liants comme les systèmes d'information, de commandement, les structures ; La défense sol-air, la LAAD ou les capacités d'aménagement du terrain ainsi que l'organisation des unités constituent la troisième priorité.
Après une courte pause , la seconde activité de la journée était constituée par une table ronde autour de la question "Quel avenir pour le char ?"Pour tenter de répondre à cette interrogation, étaient réunis autour de Arnaud DEPECHY, Léo PERIA PEIGNE chercheur à l'IFRI (Institut Français des Relations Internationales), le Colonel DENECHAUD Chef de Corps du 5ème régiment de Dragons, déployé en début d'année au sein de la mission Aigle en Roumanie et l'Ingénieur Principal des Études et Techniques de l'Armement (IPETA) FONTANIVE. Puissance de feu, protection et mobilité ont permis de présenter quelques notions régulièrement évoquées dans le blog. Concernant la létalité du char, le calibre de l'armement principal, le choix d'une tourelle téléopérée ont été présentés comme les marqueurs les plus probables du futur char. Dans le domaine de la protection, la complémentarité entre les systèmes passifs et actifs a été rappelé comme essentielle, (même si la France ne possède qu'une partie de ce binôme et qu'aucune information n'a été donnée par la DGA sur l'avancée des travaux dans le domaine de la protection active!) A propos de la mobilité, le constat de l'accroissement de la demande d'énergie milite pour l'adoption de solutions hybrides mais que l'amélioration de la mobilité intrinsèque passe par l'exploitation maximale des technologies existantes, l’assistance à la mobilité nécessitant de nombreux capteurs reste un sujet techniquement difficile. Profitant de son statut "externe", Léo PERIA PEIGNE a rappelé que le développement d'un char en France restait un choix politique sans oublier de mentionner le poids d'une certaine culture dans les choix français.
Débarquement Leclerc en Roumanie (Photo EMA)
En début d'après-midi, Marc CHASSILLAN (que l'on ne présente plus) intervenait pour évoquer "Le char de l'avenir, de l'expression du besoin opérationnel à la spécification technique" Dans une intervention passionnante (on aurait pu l'écouter beaucoup plus longtemps si le maitre du temps n'était pas intervenu !) Marc CHASSILLAN a remis le char au milieu du pas de tir ! Rappelant quelques évidences chiffrées, loin des élucubrations de certains sur le sujet, Marc CHASSILLAN a souligné les contraintes et les pistes d'évolution en matière de protection, de motorisation et leurs implication sur le poids final d'un engin. On a pu (re)découvrir les surfaces des différentes parties d'un char, facteur déterminant pour l'intégration du blindage structurel, le gain de poids estimé par le choix d'une tourelle téléopérée en lieu et place d'une tourelle habitée, ou encore l celui généré par l'adoption d'un moteur de 1300 cv à la place d'un moteur de 1500cv. Comme un rappel cruel aux pourfendeurs de la mobilité stratégique des engins chenillés, Marc CHASSILLAN a rappelé qu'un train de roulement chenillé pesait moins lourd que son équivalent à roues ! Cette évidence ayant des conséquences sur la puissance et le gabarit des différentes plateformes mues par un Groupe Moto Propulseur (GMP) dont la prochaine évolution en fera un Groupe Énergie Propulsion (GEP).
La table ronde animée par l'Ingénieur en chef de l'Armement (ICA) Édouard GALLAND réunissait Philippe LEJAY de KNDS France, Eric GALVANI de Lacroix et Filip DE WARE de John Cockerill Defense autour du thème "Quel char pour l'avenir ?" Cette table ronde aurait du être précédée de l'avertissement "Cette table ronde comprend un placement de produit" tant les propos des intervenants semblaient donner l'impression que les intervenants étaient là pour assurer la promotion de solutions développées au sein de leurs firmes. C'est sous l’œil bienveillant du modérateur que les intervenants ont vanté les mérites de l'Ascalon de KNDS , du système soft-kill de Lacroix ou les avantages du canon de 105mm sur son grand frère de 120mm. Les tentatives du représentant de KNDS de susciter un débat autour de l'idée de char médian sont restées lettre morte, la piste ne semblant pas recueillir l'assentiment de l'auditoire. L'évocation de la transparence du champ de bataille (qui serait la source d'un blocage tactique) qui ne donnerait l'avantage qu'à l'adversaire et de l'opportunité qu'elle pourrait représenter pour nous, objet d'une question n'a pas suffi à sortir cette table ronde de l'ornière dans laquelle elle était tombée ! Dommage, le sujet aurait mérité une approche plus globale avec l'évocation des programmes et des projets en cours dans les différents pays qui auraient permis de mieux appréhender la singularité de la position française et la validité des solutions proposées.
La fin de la journée arrivant, l'heure était à la conclusion pour laquelle le Général Philippe LE CARFF, fraichement nommé Sous Chef Plans Programmes (SCCP) à l’État-major de l'Armée de Terre (EMAT) a pris la parole. Ancien commandant de la 7ème Brigade blindée, le Général LE CARFF a planté le décor en soulignant que si "les décideurs ne sont pas convaincus par l'utilité du char aujourd'hui, il n'y aura pas de char demain ! " Prononcé dans une enceinte parfaitement consciente des enjeux, cet avertissement devrait être adressé à tous ceux qui nous expliquent à longueur de colonnes, d'émissions ou de publication que notre char ne sert à rien et nous coute ! La courte expérience de Blablachars dans le monde des blindés lui a permis de rencontrer de nombreux ennemis du char, porteurs de bérets de toutes couleurs et de grades parfois importants ! La question de la mobilité des chars et de la logistique associée a été évoquée par le Général LE CARFF qui a rappelé que "le char du futur sans la log qui va avec, ce n'est pas la peine d'en parler !". Affirmation importante dans la bouche du nouveau SCPP à quelques semaines (mois) de la notification du marché de renouvellement des porteurs logistiques de l'armée de terre qui permettrait de commander (enfin) 7000 camions. Tankiste convaincu, le Général LE CARFF a évoqué la problématique de l'évacuation sous le feu des engins immobilisés, sujet dont l'importance a été révélée par le conflit ukrainien dans lequel es belligérants ont mis au point des techniques leur permettant de récupérer leurs chars mais aussi ceux de l'adversaire. Une problématique qui a du échapper à la DGA quand on voit la revalorisation du Dépanneur, toujours dépourvu du moindre système d'accrochage sous le feu !
L'évocation du futur a été moins plaisante pour un bon nombre d'auditeurs ; les cavaliers ont eu la confirmation que les fonctions de mêlée allaient connaitre une attrition importante au profit des fonctions logistiques et appuis, même si le besoin de tenir le terrain avec des plateformes terrestres reste avéré. L'infovalorisation et le mythe qui l'entoure doivent être traités avec circonspection, nécessitant de remettre le sujet sur la table (la radio Contact ?) et de limiter la signature électromagnétique des entités. L'auditoire civil qui se croyait épargné par les propos du Général a rapidement compris qu'une page était en train de se tourner dans le domaine des programmes d'armement. Désormais le SCPP veut en avoir pour son argent, excluant l'opacité entourant certains programmes, ne veut plus qu'on lui vende du rêve et souhaite plus de transparence sur la réussite d'un programme "ce qui ne marche pas, ne marche pas" et donc on arrête ! Le Drone Patroller abandonné au début du mois de septembre serait-il la première manifestation de ce nouvel état d'esprit. Autre nouvelle pensée dominante qui nous vient d'outre Atlantique, le "good enough" vise à fournir les équipements destinés à remplir la mission à ceux qui en ont besoin et se placer dans une logique de flux, visant à ne plus acheter à un prix indécent un équipement qui sera obsolète l'année suivante. Cette même logique peut amener à ne pas équiper tout le monde mais à conserver la capacité à monter très vite en production. Concernant les blindés, les futurs engins seront tous dotés d'une architecture ouverte (déjà adoptée par de nombreux pays) permettant de greffer des modules de missions ou des équipements. Les industriels ne seront plus dans une logique de propriété et devront participer à l'effort de normalisation. L'intervention du Général LE CARFF a permis d'entrevoir ce que devraient être les rapports entre industriels et militaires autour de la construction des futurs programmes, on aurait aimé connaitre la place de la DGA dans ce futur schéma !
Au final, ce 30 septembre aura été une journée riche en témoignages, échanges et projection sur le futur d'un engin qui reste au coeur de nos forces. On peut regretter l'absence de toute évocation des programmes étrangers dans le domaine et de constater que l'objet des débats du jour est déjà devenu une réalité dans de nombreux pays !
PS : Blablachars n'oublie pas ceux qui ont œuvré dans l'ombre pour la réussite de cette journée, qu'ils soient remerciés chaleureusement pour leur action et leur efficacité.
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