Les récents déboires de l'Ajax pourraient être la goutte d'eau qui fait déborder le vase, si l'on en croit les réactions des différents acteurs militaires, industriels et politiques. Le programme qui était considéré comme un des projets majeurs de l'armée britannique devait lui permettre de se doter d'un engin blindé moderne décliné en six versions développées à partir d'un châssis unique. Ce dernier serait à l'origine des problèmes rencontrés par le blindé au cours de son développement dont les premières livraisons ont eu lieu en novembre dernier, soit huit années après la date prévue au lancement du programme en 2010. La polémique initiée après les derniers incidents est nourrie par de nombreuses déclarations et commentaires, pourrait faire du programme Ajax un véritable scandale d'état dont les conséquences pourraient être lourdes pour plusieurs acteurs du programme mais surtout pour les militaires britanniques qui seraient privés d'un engin dont ils ont un besoin crucial pour remplir leurs missions.
A noter que pour des raisons de commodité, l'ensemble des articles de Blablachars relatifs à la (déjà) longue histoire de ce blindé "légendaire" peuvent être trouvés sur le Blog complétement blindé sous le tag Ajax.
L'Ajax était à ses débuts un des projets les plus ambitieux pour la défense britannique dont le budget de 5,5 milliards de Livres devait permettre de réaliser la commande de véhicules blindés la plus importante depuis plus de deux décennies. Après une série de retards et d'incidents dans le développement du projet, les derniers revers ont ouvert une véritable boite de Pandore de laquelle ont commencé à sortir de nombreux témoignages et réactions. Ces déclarations montrent que les problèmes rencontrés par le blindé auraient été sciemment ignorés et dissimulés au cours des différentes étapes du programme, tant par l'industriel concerné, GDLS ( General Dynamics Land Systems) que par les militaires impliqués.
Plusieurs témoignages anonymes d'employés de GDLS ont révélé que plusieurs véhicules arrivant dans les unités ne pouvaient être utilisés en raison de l'existence de problèmes qui auraient du être réglés avant leur départ de l'usine. L'absence d'équipements essentiels ou les dysfonctionnements figurent dans la liste infinie ou "endless list " des défaillances relevées par ces employés. D'autres témoignages indiquent que les engins sortent régulièrement de la ligne de production avec plus de 150 défauts, empêchant GDLS de produire des engins qui soient conformes aux normes fixées par l'entreprise. L'armée britannique n'est pas épargnée, puisque selon les témoignages publiés, des personnels du DE&S (Defense Equipment ans Support) ont modifié les conditions d'essai pour permettre l'acceptation d'un engin initialement recalé. Autre pratique relevée, l'obtention par GDLS de la signature par le DE&S d'une dérogation permettant au véhicule concerné de quitter l'usine et de rejoindre l'unité destinataire en dépit des défaillances et pannes constatées. Un ancien militaire du REME (Royal Electrical and Mechanical Engineer) avait pour mission de discuter avec les équipages qui avaient constaté des défauts sur les engins, pour les convaincre de leur "erreur" et éviter à GDLS d'éventuelles réparations.
Les dirigeants de GDLS auraient fixé des objectifs impossibles à atteindre et employé des méthodes peu orthodoxes pour masquer les difficultés existantes. Ainsi lors des derniers incidents, le management de GDLS aurait exercé des pressions sur les soldats impliqués pour que les failles signalées soient réparées par GDLS à ses conditions et non à celles prévues dans le contrat. Une grande partie du personnel militaire aurait accepté de jouer le jeu, ce qui aurait augmenté le ras le bol général des équipages vis-à-vis du programme. Plusieurs militaires auraient en outre été "invités" sans préavis à travailler le week-end pour éviter à GDLS de payer des heures supplémentaires aux employés civils de la firme. En cas de refus des soldats concernés, le management de GDLS aurait adressé des messages à des officiers de haut niveau "high up officers" pour qu'ils contactent et convainquent les soldats réticents. Enfin des démontages de pièces sur des véhicules ayant passé les tests d'acceptation et appartenant de facto à l'armée, pour réparer un engin refusé était une pratique fréquente et encouragée par le management de contact de l'entreprise. Des employés de GDLS n'auraient pas hésiter à effacer des données lors des tests vibratoires dont les conditions auraient été assouplies en faisant parcourir à l'engin un parcours de 5 km à faible vitesse sur sol régulier. Ces aménagements étaient ensuite masqués par un maquillage des données d'essais parmi lesquelles le kilométrage parcouru, pour que celui-ci corresponde à celui d'un essai complet.

Les essais de l'Ajax selon GDLS
De son côté, GDLS a réagi en affirmant que ces déclarations ne reflétaient pas les valeurs et pratiques de la société et s'est refusé à commenter ces allégations anonymes, dont un de ses cadres n'a pourtant pas hésité à se moquer. Dans un message posté sur un réseau social, le dirigeant a indiqué que ces incidents avaient pour origine l'incompétence des équipages, ajoutant que ceux-ci n'y connaissaient rien en engin blindés et que "la fuite de liquide de refroidissement était la seule chose qui ne soit pas due à une erreur, une incompétence ou un mauvais entretien de leur part, sans parler du commandement lamentable." Depuis la publication de ce message, son auteur est l'objet d'une enquête interne au moment où la firme américaine continue de chercher toutes les excuses possibles pour éviter de faire face aux conséquences du dernier incident qui pourraient se révéler désastreuses pour le programme et la réputation de la firme.

Le programme Ajax en chiffres.
Plusieurs médias britanniques comme le Times et le Telegraph n'ont pas attendu ces témoignages pour s'emparer du sujet et publier des informations relatives à l'avenir du programme. Dix jours après le dernier incident, le Times affirmait dès le 4 décembre que le Gouvernement britannique était prêt à supprimer la flotte d'Ajax, tandis que le même jour le Telegraph indiquait que le Secrétaire d'Etat n'excluait pas de mettre au rebut la flotte de blindés, cela en dépit du cout du programme.

La Une du Telegraph datée du 4 décembre.

La Une du Times datée du 4 décembre.
Interrogé sur une éventuelle annulation du programme, John Healey a déclaré aux journalistes : "je suis prêt à prendre toutes les décisions requises" avant d'ajouter que "l'armée pourrait combattre ce soir sans utiliser l'Ajax". Ces déclarations plutôt sibyllines laissent planer un sérieux doute sur l'avenir du programme, qui avait déjà été remis en cause par le gouvernement britannique. En décembre 2020, ce dernier avait décidé de suspendre les paiements à la firme américaine en raison de plusieurs plaintes reçues à propos de phénomènes vibratoires et acoustiques. Les paiements avaient repris en mars 2023, en dépit d'une interruption des essais entre juin 2021 et mars 2023. Cette même année, un avocat avait publié un rapport dans lequel il mentionnait l'existence de " problèmes systémiques, culturels et institutionnels" ainsi qu'un "certain nombre d'erreurs de jugement" affirmant que "le biais d'optimisme a infecté une partie de la pensée des personnes travaillant sur le programme." A la suite des difficultés du moment, le ministre en charge des approvisionnements de Défense avait fixé comme nouvel objectif l'atteinte de la pleine capacité opérationnelle entre fin 2028 et 2029, après une mise en service fixée à 2025.

La version VCI de l'Ajax présentée à DSEI.
La livraison des premiers engins en octobre dernier avait été entourée d'un optimisme de circonstance, qu'avait exprimé Luke Pollard en affirmant que l'Ajax était sur et que " les questions précédentes, qui avaient vu des soldats souffrant de dommages auditifs, appartenaient définitivement au passé." Enfin, pour ajouter à la confusion ambiante, Ben Wallace Secrétaire d'Etat à la Défense entre 2019 et 2023 a déclaré fin novembre que le programme Ajax aurait du être abandonné il y a quelque années, avant de rajouter que " Nous aurions dû acheter le CV90 il y a quelques années [...] et comprendre pourquoi nous devions disposer d'une plateforme plaquée or et sur mesure est au-delà de mes possibilités."

Ben Wallace et Rishi Sunak sur un Ajax en 2023 (MoD britannique) .
Les semaines qui viennent seront donc décisives pour un programme dont le cout total incluant les volets logistiques et formation est évalué à 6,3 milliards de Livres Sterling et dont l'armée britannique a reçu les premiers engins avec huit ans de retard sur le calendrier initial. Les choix effectués au départ du programme ont été l'objet de nombreuses interrogations et critiques tout au long du développement de l'engin. Beaucoup savaient que le châssis proposé par GDLS serait incapable de supporter le poids de 48 tonnes annoncé et s'étonnaient du choix de Lockheed Martin pour la tourelle en dépit de l'absence de toute expérience du constructeur américain dans ce domaine. Une éventuelle confirmation des accusations portées contre les industriels impliqués et les militaires concernés pourrait transformer le programme en un véritable scandale d'état, que certains anticipent déjà en demandant la démission du Secrétaire d'Etat à la Défense et la fermeture de tous les marchés de défense britanniques et européens à GDLS. En attendant les prochaines échéances, les décideurs britanniques ont certainement en tête qu'une annulation du programme Ajax serait synonyme de remplacement par un engin acheté sur étagère...
Enfin, et même si Blablachars n'est pas le plus ardent défenseur de la DGA dans certains de ses choix, il convient de reconnaitre que cette dernière nous a préservé depuis sa création de tels errements et gaspillages d'argent public. Le maintien de cette qualité n'exclut cependant pas une éventuelle réforme / réorganisation de la DGA pour la rendre plus agile. Il est peut-être également souhaitable de limiter le recours aux achats effectués en dehors du périmètre de la DGA, comme ceux réalisés il y a quelques années pour des camions ou plus récemment via l'UGAP (Union des Groupements d'Achats Publics) dont le catalogue permet un "achat immédiat en dispense de procédure" selon le site de cet organisme. Il n'est pas question de remettre en cause une pratique utile et justifiée, cependant les armées doivent prendre garde à ne pas généraliser cette procédure, certainement plus rapide et probablement plus efficace. Son usage doit rester très encadré et limité au strict nécessaire, sous peine de voir se multiplier les équipements acquis par ce moyen et d'éventuels problèmes.
Après l'abandon du M10 Booker, les "déboires" de l'Ajax donnent une nouvelle illustration de la gestions anglo-saxonne des programmes d'armement et d'équipement des forces armées. Au-delà des solutions envisagées pour sortir l'armée britannique de l'ornière dans laquelle l'Ajax l'a plongée, le gouvernement de Sa Majesté doit désormais envisager une véritable réforme en profondeur de la gouvernance des projets. Celle-ci risque d'être aussi difficile que nécessaire.




Des boulons défectueux ont, peut-être, été montés avec de la colle, comme sur leurs sous-marins...
RépondreSupprimerLes chemins tortueux des industriels et des influences externes ont leurs mystères. Après le Challenger 3, les camions MAN et bien d'autres avant, ça fait décidément désordre. I'm Choking !
Maintenant, zonka tout jeter ou s'en servir comme drone kamikaze et acheter US, Allemand , Turc ou Coréen (?), il y a le choix.
Une question naïve : que vont devenir les tourelles et surtout les canons 40 CTA, il y a peut-être un coup à faire avec la DGA, y compris avec un futur achat groupé. ^^
God save the king, à défaut de l'Ajax. :)
Pour le Booker, il y a des rumeurs avec le Corps des Marines qui se sentirait orphelin.
"que vont devenir les tourelles et surtout les canons 40 CTA"... :
SupprimerNon, là aussi il vaut mieux tout jeter (Avant qu'il ne soit trop tard (Comme son porteur l'Ajax !! Même motif, ...)) ; et qu'on s'"aperçoive que les munitions, insuffisantes, finissent par nous couter trop cher, à tous points de vue.), au lieu de s'enferrer, et de s'entêter même...
Apparemment d'après ce que j'ai lu dernièrement, le corps des marines américains abandonnerait sa mission principale historique (Avec l'abandon de ses 400 chars Abrams en particulier.) d'assaut amphibie général, pour des missions plus de type commando (Presque de forces semi spéciales, d'élite en tous cas.), ponctuelles, et laisserait cette mission principale de débarquement en force aux forces régulières blindées mécanisées de l'US army au delà des premières lignes et zone littorales points particuliers côtiers neutralisées.
Un petit rappel ludique de l'effet papillon avec cette contine...:
RépondreSupprimer"Faute de clou, on perdit le fer;
Faute de fer, on perdit le cheval;
Faute de cheval, on perdit le cavalier;
Faute de cavalier, on perdit la bataille;
Faute de bataille, on perdit le royaume;"... expliquant la diffusion d'une perte de qualité à tous les étages supérieures. Chaque "Faute" étant l'analogie d'un lâché\d'une augmentation de tolérance non prévu(e) dans le cahier des charges originel écrits par les récipiendaires du produit composant à leurs fournissseurs, en espérant que ça ne se voit pas (même à la fin), alors que les erreurs s'ajoutent par valeur absolue dans leur calcul au sein du produit composite.
Le risque opposé existe: c'est celui de trop de vérifications\tolérances\nomres en tout genre, quand elles sont dictées par un donneur d'ordre monopolistique tout puissant à ses fournisseurs quasiment inféodés. C'est ce qui arrive dans la galaxie Toyota: cette société est tellement puissante au Japon, que ses sous-traitants n'ont pas su dire "non" à ses trop nombreuses demandes qualités (presqu'une honte au Japon) pour rester à son service sous peine de voir leur chiffre d'affairage fondre comme neige au soleil. Or, le Japon n'a pas une main d'oeuvre extensible à l'infini: lesdits fournisseurs n'avaient pragmatiquement pas les ressources humaines (gros problème au Japon) pour faire les tests qualités demandés par Toyota. On voit même cet échec de la sur-qualité ubuesque demandée\régie par simple injonction du roi Toyota à ses geux fournisseurs glisser dans d'autres galaxies (ex.: air bag "Takata"). > s.o.
Heureusement que les erreures ne s'ajoutent pas. Sinon ça ne marcherait jamais.
SupprimerPlus sérieusement, faire un gros projet c'est compliqué.
Et faire un projet de xxx tout les 30ans c'est un désastre.
Le client surspécifie (faut que ça dure 30ans).
90% de l'équipe est inexperimenté sur le produit.
Les coûts s'envole et la qualité baisse.
> Heureusement que les erreures ne s'ajoutent pas. Sinon ça ne marcherait jamais.
SupprimerFaux: vous auriez dû dire "Heureusement que les erreurs ne s'ajoutent pas TOUJOURS. Sinon ça ne marcherait jamais." Du coup, je pense que vous êtes formattés à l'identique de ceux du DE&S britannique qui ont travaillé sur ce projet Ajax. Donc, dans le doute, je répète: le calcul de l'erreur mathématique théorique et compositie additionne (c'est comme ça et pas autrement) toutes les sous-erreurs (les hors tolérances originelles permises auprès des fournisseurs) composantes, en prenant leur |valeur absolue|, puis délivre la conclusion en plus ou moins l'|addition trouvée|. Quand ça marche pas, quand la qualité attendue est rejetée pour la fonction d'utilité recherchée, c'est parce que ce chiffre (l'|addition trouvée|) émerge de façon maléfique, non prévue, dans des dimensions-constats au projet composite et ce, justement par ajout des sous-erreurs (les hors tolérances permises) prises dans le même sens (que via des |+|, ou que via des |-|). Ceci dit, ce que je dis est le b-a-ba hyper probablement connu et assimilé à la DGA puisque de nombreux polytechniciens y travaillent (ça n'est pas moi qui vais leur apprendre quoique ce soit en math.). > s.o.
On se demande pourquoi on ne pose pas systématiquement les equations quantiques à vous lire.
Supprimerle budget des armées UK est limité acheter un nouveau VCI semble difficile, le risque est que l'armée de terre UK voit son champs d'action limité une brigade pour la Norvège et une brigade pour les pays baltes dans ce schéma qui est souvent cité outre manche les besoins en chars et VCI sont grandement diminués
RépondreSupprimerpenandreff
Une des principales cause de tous ces déboires ne serait t-elle aussi simplement la rechercher du profit et uniquement cela ?
RépondreSupprimerOu quand l'intérêt général disparait et est absorbé par des finalités uniquement financières ; qui risquent de se retourner contre la firme concernée d'ailleurs.
("Des employés de GDLS n'auraient pas hésiter à effacer des données lors des tests vibratoires dont les conditions auraient été assouplies ... ...pour que celui-ci corresponde à celui d'un essai complet." : Cela fait penser à certaines phases de notre propre programme feuilleton A400m. Mais il vole quand même. !!)
Tout cela est bien lamentable au final. peut être que la prochaine fois ils feront plus "employable" ceux là aussi ??? (Pas sur.)
PS (Spécial DGA.) : C'est sûr qu'en matière de programme de blindés chenillés, on a été bien "préservés" ces trente ou quarante dernières années !!! ...
Pourvu que ça dure, pas.
(Les britanniques font au moins ce qu'il peuvent, et ont encore conscience de certaines réalités eux ; bien que certains intérêts très particuliers semblent avoir pris le dessus et l'essentiel des rênes chez eux aussi ; et en toute transparence anglosaxonne néanmoins...)
Y compris en gaspillages et en programme récurrents qui finissent par coutés deux fois plus à cause de tergiversations et autre mauvaise conduite, rôle de la DGA... Pas si sûr que les anglais aient grand chose à nos envier de ce coté. (Des affaires, plus "étouffés" aussi peut être. Il suffit de voir comment sont traité et relayés (Dans une relative indifférences, et discrétion.) des problèmes du Tigre et autre NH90, ici par rapport à ailleurs.).
Gare en effet (Double méfiance même donc.), que cela ne nous arrive pas aussi (Au moins eux, les américains ne s'entêtent pas forcément autant, le Broker n'est pas le premier programme qu'ils abandonnent (Hélicoptères comanche, CSAR-X, Vh17, destroyer DDG 1000 ou croiseur de prochaine génération CG(X) et autre bombardier du futur.) avec un certain pragmatisme "à l'anglosaxonne" gardé néanmoins.).
Wait and see...
Si on perdait moins de temps ailleurs, il n'y aurait pas besoin de procédures, d'urgence (A l'arrache.)...
SupprimerSi ce n'est de totale panique parfois, au bout d'un moment... Là aussi où est passé la politique d'équipement de nos armées ??? !!! ...
Selon Twitter, l'un des passe-temps favoris des membres du REME (Royal Electrical & Mechanical Engineers) : s'asseoir près des pistes d'essais des Ajax et ramasser tous les objets et accessoires tombant des engins, c'était à celui qui avait la plus grosse pile de pièces récupérées ...
RépondreSupprimerY a même un type qui a retrouvé une roue...
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