UN AN APRES, LE ROI EST TOUJOURS NU ET IL DEVRAIT LE RESTER !

Il y a un peu moins d'un an, le "roi nu" déployait à grand peine un escadron d'AMX 10 RC pour renforcer le GTIA (Groupement Tactique Inter Armes) à dominante infanterie déployé en Roumanie au sein de la mission Aigle. Un an après le déclenchement de l'opération militaire spéciale russe en Ukraine, Blablachars a voulu faire le point sur les principaux événements qui ont marqué cette année, qui a a vu le char revenir au centre des préoccupations et du champ de bataille. Force est de constater que le roi qui était nu en février 2022 ne risque pas d'être mieux vêtu dans les prochaines années si l'on en croit les premières informations relatives à la future Loi de Programmation Militaire en préparation. 

Il y a un peu moins d'un an et quelques jours après le déclenchement du conflit ukrainien l'armée de terre déployait en Roumanie, un GTIA (Groupement Tactique Inter Armes) à dominante infanterie renforcé d'un escadron d'AMX 10RC fournis par le 4ème Régiment de Chasseurs. Ce déploiement s'inscrivait dans la logique de corps expéditionnaire suivie par l'armée française depuis plusieurs décennies avec la projection par voie aérienne d'éléments légers dont la principale vertu était de concrétiser avec un minimum de moyens, l'engagement de la France dans le soutien à l'Ukraine. Ce déploiement s'inscrivait également dans une autre logique, celle de la prééminence des armes antichars sur le char, qui selon les oracles du moment ne devait pas survivre longtemps dans ce conflit. En dépit de sa rapidité d’exécution, grâce au recours à la projection par voie aérienne, ce déploiement marquait aussi la redécouverte du théâtre centre-Europe par une armée ayant fréquenté jusque là des paysages plus "exotiques". Ce retour en Europe d'une modeste formation blindée française mettait fin à de longues années d'absence depuis le déploiement d'une quarantaine de chars Leclerc en Ukraine, interrompu par la participation française au dispositif eFP (Enhanced Forward Presence) à partir de 2020 avec l'envoi de 5 chars dont le nombre a été porté à 12 engins à partir de 2021. Ce détachement a été amputé au début de l'année 2022 de ses engins pour se transformer en SGTIA (Sous Groupement Tactique Inter Armes) à dominante infanterie doté de VHM (Véhicule Haute Mobilité) BvS10. Rapidement il a fallu cependant se rendre à l'évidence que la mort annoncée du char n'aurait pas lieu en Ukraine, en dépit des erreurs tactiques russes et des évidents défauts de conception des engins russes. Ce constat a probablement motivé le réajustement de la mission Aigle qui a troqué ses AMX10RC quadragénaires contre un escadron de Leclerc fourni par le 1er Régiment de Chasseurs. Cette adaptation à la portée tactique et politique significative permettait également à l'armée de terre de ne pas affronter les conditions hivernales roumaines avec des engins à roues à la mobilité réduite, afin de ne pas revivre les déboires subis sous d'autres cieux par d'autres engins français. 

A côté des évolutions tactiques observées dans le déroulement du conflit, un autre élément est venu renforcer la position du char et bouleverser les certitudes de nombreux experts avec les demandes exprimées par le président ukrainien. En dépit d'un nombre de chars conséquent au début du conflit diminué par des pertes difficiles à estimer avec justesse compensées par le don d'au moins 300 chars d'origine russe par les pays d'Europe centrale, Volodymyr Zelenski a rapidement exprimé le souhait de pouvoir utiliser des chars d'origine occidentale. Cette demande du président ukrainien a contribué à replacer le char au centre de l'attention médiatique et a suscité de nombreux débats, souvent menés par les mêmes bateleurs de foire qui pronostiquaient avec assurance la mort du char. Outre cet aspect médiatique, la démarche de V.Zelensky a également permis de (re)découvrir l'état déplorable des parcs blindés détenus par les "grands" pays européens, contraints de promettre à l'Ukraine des engins quadragénaires puisés dans des stocks dans lesquels ils étaient abandonnés depuis de longues années. Les problématiques liés au soutien des engins promis complétèrent rapidement ce triste tableau en révélant l'absence de pièces détachées, la pénurie de munitions ainsi que les difficultés et le coût de la nécessaire remise en état des chars stockés. En France, le débat médiatisé sur l'éventuelle transfert d'un nombre symbolique de chars Leclerc a également révélé l'état de notre composante blindée, victime d'un quasi abandon depuis plusieurs années et de l'absence de toute solution industrielle pour le renouvellement des engins en service et la satisfaction d'éventuelles commandes supplémentaires de l'armée française ou d'éventuels clients étrangers. Le prélèvement de quatorze Leclerc qui semblait à certains une fausse bonne idée présentait un risque majeur pour l'armée de terre qui aurait vu sa composante blindée sérieusement affaiblie par ce transfert et ses conséquences en termes de logistique, de soutien et de formation. 

Considéré par Édouard Jolly comme un des quatre types d'armement ayant "été déterminants sur le terrain", le char est de retour sur le champ de bataille. Pour le chercheur de l'IRSEM (Institut de recherche stratégique de l’École Militaire) " contre toute attente, le char de bataille s'est révélé essentiel [...] car il est indispensable pour mener une offensive en appui de l'infanterie. En cas de format classique d'opposition, les chars sont nécessaires pour avancer et vaincre l'adversaire." De retour également sur le plan politique et médiatique, le char est revenu dans les agendas avec un prochain rendez vous fixé à l'arrivée des chars occidentaux sur le théâtre ukrainien. Face à cette conjonction unique de signaux forts, on attendait à ce que l'armée de terre tire les enseignements de cette première année de guerre et tourne le dos aux chimères expéditionnaires qui régissent depuis de longues années les politiques d'équipement. La préparation du budget et surtout celle de la future Loi de Programmation Militaire fournissait une occasion unique de définir et de budgétiser de nouveaux choix qui auraient permis de rhabiller le roi nu. 

La modernisation à mi-vie du Leclerc lui aurait permis de recevoir les équipements indispensables à son efficacité opérationnelle et déjà adoptés sur de nombreux engins en service ou en cours de développement. Dans le domaine de la mobilité, le remplacement du groupe moto propulseur actuel par un moteur plus classique prédisposé à une future hybridation aurait affranchi le char français d'une partie des problèmes rencontrés, amplifiés par la rareté des pièces détachée et de rechange. Dans le domaine de la puissance de feu, le remplacement des optiques aurait permis l'adoption de moyens de visée modernes autorisant la fusion des images provenant des images fournies par les différents capteurs. Les capacités d'observation du char auraient pu être augmentées par l'adjonction d'un drone tactique capable de fournir des images et de désigner des objectifs par le biais du système Scorpion. Dans le domaine de la protection, l'intégration d'un système de protection active Hard Kill évoqué par le CEMAT en fin d'année dernière aurait constitué une amélioration indispensable pour la survie du char face aux menaces représentées par les armements antichars. Ce dispositif aurait été accompagné par un système de surveillance périmétrique basé sur l'emploi de caméras et de détecteurs dont les images auraient fusionnées dans une régie vidéo avant leur restitution aux membres d'équipage. Ce montage aurait permis de disposer d'une vision à 360° depuis l'intérieur du char, l'image pouvant être restituée sur différents supports comme les moniteurs ou les casques de l'équipage, comme certains équipements étrangers le permettent déjà. La protection de l'engin aurait été également améliorée par l'adjonction d'un détecteur d'alerte laser couplé à la conduite de tir et/ou à un système Soft-Kill, complété par un dispositif de localisation de départ de coup, Pilar V déjà adopté sur les autres engins du programme Scorpion. Système auquel ces deux équipements auraient été intégrés pour permettre le partage des informations dans le cadre du combat collaboratif. Tous les équipements mentionnés étant intégrés en complément des modifications prévues par la rénovation actuellement programmée, comme le tourelleau téléopéré ou le renforcement du plancher ! L'importance d'une infanterie embarquée à bord d'un engin protégé et armé d'un canon mitrailleur de moyen calibre, dont certains (re)découvrent les vertus est apparue capitale dans le conflit ukrainien. Agissant au profit des chars et appuyés par ceux-ci ces VCI constituent le moyen de combat idéal des unités d'infanterie surtout quand elles agissent en milieu urbain, comme cela est régulièrement le cas en Ukraine. Pour l'armée de terre, cet enseignement aurait du entraîner l'adoption d'un VCI (Véhicule de Combat d'Infanterie) moderne dont le châssis aurait pu recevoir des équipements "made in France" et servir de base au développement d'une famille d'engins capables de combattre au rythme du Leclerc. Le CV90, engin technologiquement mature et évolué aurait fourni une ossature idéale à la mise sur pied de cette composante blindée mécanisée, au sein de laquelle on aurait retrouvé des VCI, des engins du génie, ou de commandement. Cet effort de constitution d'une force blindée mécanisée aurait pu s'accompagner du renforcement de nos capacités amphibies. Bien que cela ne figure pas parmi les enseignements du conflit ukrainien, la situation particulière de la France qui possède le second domaine maritime mondial et de nombreuses implantations ultramarines, impose naturellement le renforcement de nos capacités d'entrée en premier à partir de la mer. Un effort aurait pu être consenti pour doter nos unités amphibies de moyens de débarquement adaptés comme l'ACV commandé par le Corps des Marines américains et plus récemment par la Marine italienne. Les premières images de l'exercice Orion 2 qui vient de démarrer sur les côtes méditerranéennes permettent  de constater l'absence de tout véhicule amphibie parmi les moyens déployés pour une mission d'entrée en premier sur un théâtre tenu par un adversaire équivalent. Cette mission est confiée à des AMX 10 RC (demain à des Jaguar) qui appuient des Griffon dont certains sont dépourvus de tourelleau téléopéré pour des raisons budgétaires déjà évoquées par Blablachars.  

A ces priorités l'état-major de l'armée de terre a opposé des priorités différentes qui devraient impacter de façon conséquente les régiments blindés et surtout ne pas conduire à une augmentation du format, au moment où la masse devient un facteur capital dans la conduite des opérations. Enserrée dans le carcan budgétaire dicté par Bercy, l'armée de terre qui s'annonce comme la grande perdante de la future LPM est contrainte de procéder à des arbitrages en faveur de capacités nouvelles comme le cyber, ou trop longtemps négligées comme l'artillerie. C'est donc le probable "dégraissage" des régiments d'infanterie et de cavalerie qui devrait fournir les effectifs nécessaires à ce que certains appellent déjà une reconstruction de l'armée de terre. Déjà mis à mal par les conséquences de la PEGP (Politique d'Emploi et de Gestion des Parcs), régulièrement amputés de leurs heures d’entraînement (bien qu'en légère remontée cette année) les régiments de chars s'apprêtent à vivre un nouveau tsunami, accompagné par une manœuvre RH qui permettra d'éviter de douloureuses dissolutions. Il est encore trop tôt pour connaître les détails exacts de cette reconstruction mais elle ne devrait pas se traduire par une augmentation de nos capacités blindées, à l'heure où celles-ci s'imposent sur le théâtre ukrainien comme un facteur déterminant. Même s'il serait absurde de considérer le conflit ukrainien comme le modèle de toutes les guerres futures, certains enseignements sont tout de même à considérer avec attention. Sur la base de constats différents, d'autres pays ont fait d'autres choix en se dotant d'une armée puissante, dotée de l'ensemble des capacités nécessaires en nombre significatif. La France s'engage sur une voie différente, porteuse d'inquiétudes et à rebours des principaux enseignements du conflit ukrainien, probablement dictée par de sévères contraintes budgétaires dont les armées n'ont jamais pu se libérer depuis de longues années. L'avenir dira si ces choix risqués se révèlent judicieux et permettront à nos soldats de remplir leurs missions avec professionnalisme et bravoure comme ils l'ont toujours fait.