UN PLAN QU'ON NE PEUT PAS IGNORER !

Alors que la France poursuit sa réflexion sur une véritable modernisation du Leclerc, qui s'avère chaque jour plus indispensable pour permettre au char français de durer jusqu'à l'arrivée du MGCS dans une vingtaine d'années, on en sait un peu plus sur les intentions allemandes sur le sujet. Pour la Bundeswehr les données du problème sont quelque peu différentes de celles auxquelles l'armée française est confrontée, car de l'autre côté du Rhin on dispose d'un char régulièrement modernisé pouvant servir de base à une nouvelle évolution capable d'assurer la transition entre les engins actuels et le futur "système de systèmes" franco-allemand. L'autre avantage dont les militaires allemands devraient tirer parti est constitué par l'existence de deux industriels puissants, ayant déjà envisagé le développement de solutions de transition dans un contexte globalement favorable à la commande de nouveaux blindés. 

Ces bonnes dispositions en faveur d'un engin de transition ne sont pas que philanthropiques mais traduisent la volonté de Berlin d'occuper le segment du char lourd jusqu'à l'arrivée du MGCS en proposant un char allemand aux clients existants ou potentiels. Enfin cette démarche est également soutenue par les instances politiques désireuses de préserver les intérêts de l'industrie allemande en faisant du futur projet franco-allemand une véritable suite à la saga Leopard et d'assurer le succès commercial du futur engin. 

Pour atteindre cet objectif, la Bundeswehr devrait commander 35 Leopard 2A8, dont la livraison pourrait intervenir dès 2026 si l'on en croit les déclarations de Boris Pistorius et de Ralf Kettzel selon lesquelles le délai entre la commande d'un Leopard 2 et sa livraison est de deux ans. Ces 35 engins dont le coût avoisinerait le milliard d'euros devraient s'ajouter aux 18 engins déjà commandés en remplacement des chars transférés à l'Ukraine, portant à 53 le total de Leopard 2A8 en service au sein de la Bundeswehr. L'armée allemande qui a fait savoir qu'elle envisageait d'équiper la future brigade stationnée en Lituanie de ce type de chars, devrait donc consacrer 44 Leopard 2A8 à l'équipement du bataillon blindé de la future PanzerBrigade 42, mêmes si l'avenir de cette unité se heurte en ce moment à de sérieuses difficultés de financement. A ces engins pourraient s'ajouter de futurs engins néerlandais dont l'acquisition est pour le moment suspendue à la décision du nouveau gouvernement, issu des élections législatives de novembre 2023. L'ensemble de ces engins devraient être acquis par le biais d'un contrat-cadre prévoyant l'achat de 123 Leopard 2A8 pour un montant total estimé à 3 milliards d'euros, destiné à répondre aux besoins de la Bundeswehr et à remplacer les chars cédés à Kiev. 

Cette première opération devrait être complétée à partir de 2030 par la mise en service du véritable engin intermédiaire qui doit permettre à la Bundeswehr (mais aussi aux clients exports) de disposer d'une véritable solution permettant d'attendre la mise en service du MGCS à l'horizon 2040-2045 soit 10 à 15 ans après l'arrivée de cet engin. Délai à comparer avec les 50 ans de service du Leclerc qui seront atteints en 2043 ! Les caractéristiques de ce futur engin ne devraient pas être connues avant 2026 mais on sait déjà que les études en cours devraient se concrétiser par des améliorations significatives en termes de mobilité avec un recours probable à l'hybridation, de protection par l'intégration ab initio d'un système de protection active et de moyens de lutte anti drone et de puissance de feu par la très probable adoption du canon de 130mm de Rheinmetall. L'engin issu de ces développements devrait donc être différent de l'actuel Leopard 2A8 et permettre d'assurer une véritable transition entre ce dernier et le MGCS. Une inconnue subsiste cependant sur le nombre d'engins devant être commandés dans une fourchette comprise entre 90 et 300 engins, volume qui dépendra du standard (2A6, 2A7, 2A7V) retenu par la Bundeswehr pour la modernisation de ses chars.

Ce plan qui n'a certes fait l'objet d'aucune communication officielle est cependant appuyé par de nombreux responsables politiques, militaires et industriels allemands. Nos décideurs ne donc peuvent feindre de l'ignorer et continuer à se voiler la face en favorisant une coopération franco-allemande à l'issue incertaine. Érigée en totem d'immunité, elle prive la France de toute initiative de modernisation et de préservation du segment de décision de l'armée de terre. Personne ne peut prétendre ignorer les plans de la Bundeswehr et ceux du gouvernement allemand pour les années à venir. Nos décideurs charmés par les sirènes de la coopération avec un partenaire doté de motivations et suivant un plan soigneusement établi, conduit à livrer notre segment de décision et son avenir au bon vouloir d'une industrie et d'un gouvernement plus soucieux de leurs propres intérêts que de ceux du futur objet politique que constitue le programme MGCS. Les qualités du Leclerc qui en font, plus de 30 ans après sa mise en service un engin aux performances toujours inégalées, méritent de lui donner un véritable successeur sans attendre le bon vouloir d'un partenaire qui semble de moins en moins disposé à attendre le notre !