Les derniers développements du conflit ukrainien et de sa résolution alimentent depuis plusieurs jours les rumeurs d'un possible sursaut budgétaire en faveur des forces armées. Ce rebond qui pourrait porter les dépenses de la France dans le domaine à 100 milliards d'euros par an, somme qui "constituerait le poids de forme idéal pour les armées françaises" selon Sébastien Lecornu, donnerait donc à nos armées un budget double de celui dont elles disposent aujourd'hui. L'atteinte de ce chiffre pourrait passer par l'attribution d'un budget de 68 milliards d'euros par an à l'horizon 2030, fin de l'actuelle Loi de Programmation Militaire (LPM). Même si l'on ne sait pas très bien comment une telle augmentation pourrait être financée au vu de l'état de nos finances publiques, une telle manne suscite déjà de nombreuses convoitises en interne et son attribution pourrait faire l'objet d'arbitrages dans lesquels les arguments de l'armée de terre pourraient se révéler insuffisants, en dépit de son rôle essentiel dans les opérations, étant la seule armée capable de conquérir et de tenir le terrain.
Sans attendre les annonces officielles, plusieurs lobbies se sont donc mis en ordre de bataille pour tenter de faire attribuer à leur "sponsors", une part du gâteau plus importante que celle du voisin, instillant pour ce faire des notions visant à renforcer l'image de telle ou telle entité sur un futur champ de bataille. Face à cette manoeuvre, l'armée de terre ne semble disposer que de peu d'arguments en termes de projet et de programme, susceptibles de faire pencher la balance en sa faveur, surtout quand ses challengers se nomment Porte-Avions Nouvelle Génération (PANG) ou Rafale. Cette relative pauvreté argumentaire semble condamner toute tentative de lobbying en faveur de l'armée de terre, et ce au moment où la majeure partie du conflit ukrainien et de sa résolution se joue sur terre. Face à ce "vide" l'armée de terre ne manque portant pas d'atouts pour faire valoir sa spécificité et son importance, mais pour cela elle doit aussi procéder à un véritable aggiornamento de sa pensée en vue de la réorienter concrètement vers le théâtre Centre-Europe et l'engagement en haute intensité.
En 2030, année à laquelle la LPM actuelle devrait se terminer, l'armée de terre devrait avoir reçu 160 Leclerc rénovés, 1437 Griffon, 238 Jaguar et 530 Serval. Des engins de nouvelle génération dont la conception reste cependant marquée par la logique interventionniste en vigueur dans l'armée de terre depuis la chute du mur de Berlin. Si le programme Scorpion reste un incontournable pour l'équipement de l'armée de terre, une accélération du programme Titan dédié au renouvellement du segment de décision doit être envisagée dès aujourd'hui. Comme Blablachars l'a déjà écrit, l'année 2025 est capitale pour cette partie de nos forces, qui souffre depuis trop longtemps d'une désaffection dont les conséquences commencent à inquiéter certains. Ce programme Titan 2.0 permettrait à l'armée de terre d'envisager (enfin) la création d'une véritable force blindée mécanisée dont les engins n'auraient pas pour seul atout leur capacité à embarquer à bord d'un A 400M. En l'absence de productions nationales, l'équipement de cette force Titan pourrait se faire par le biais d'achats sur étagère effectués dans un cadre européen. Ces acquisitions pourraient être réalisées par la publication d'appels d'offres, de mise en concurrence des offres, d'évaluation des engins retenus avant une décision finale dans laquelle les couts de possession et de maintien en condition seraient prise en compte ab initio. Loin d'ébranler la souveraineté nationale, déjà largement mise à mal dans de nombreux domaines, ce processus pourrait parfaitement profiter aux industries nationales, par le biais d'une francisation des matériels choisis ou l'établissement d'accords de production. L'objectif de ce programme pourrait être la création d'une première brigade lourde à l'horizon 2030, avant celle d'une véritable division blindée à l'horizon 2035, ces deux unités étant évidemment interopérables avec les unités alliées. Ce calendrier serait compatible avec les projets de nos alliés (Allemagne, Italie), son étalement pluriannuel pourrait se traduire par la signature de contrats cadres permettant de commander les matériels concernés à un rythme cohérent et dans une enveloppe financière définie, ce dernier point pouvant limiter les éventuels dérapages budgétaires, trop souvent constatés dans les programmes d'armement.
Sur le plan politique, le lancement d'un programme Titan 2.0 associé à la création d'un véritable segment de décision permettrait d'accroitre notre crédibilité dans le cadre d'un hypothétique engagement en coalition, auxquels beaucoup se raccrochent aujourd'hui pour justifier l'absence de moyens lourds et les choix de l'armée de terre en matière d'équipements. Les récents refus polonais, allemand et italien de s'engager en Ukraine en l'état actuel des choses, ainsi que les difficultés britanniques, qui ne disposeraient actuellement que de 20 à 25 chars Challengers disponibles, doivent donc nous inciter à revoir notre place dans une coalition multinationale, dont la mise sur pied serait évidemment liée à des aléas politiques. Cette réflexion doit nous conduire à renforcer de façon concrète et effective notre composante blindée mécanisée, qui doit être considérée comme un outil indispensable pour garantir notre crédibilité et asseoir nos ambitions en matière de commandement. La dissuasion nucléaire, que certains aimeraient voir partagée avec les pays européens alors considérés comme des "intérêts vitaux", ne peut se concevoir sans l'existence d'une force conventionnelle puissante. Les années d'intervention nous ont tenu éloignés du fait nucléaire et de cette évidence, qui revient aujourd'hui en force avec le retour des empires et la multiplication des puissances nucléaires hostiles comme le Pakistan, la Corée du Nord ou demain l'Iran.
Une telle force conventionnelle serait donc composée de véhicules blindés chenillés dont certains pourraient être acquis sur étagère selon le processus évoqué plus haut. Ce pourrait être le cas pour l'acquisition d'un véritable Véhicule de Combat d'Infanterie (VCI) chenillé, déclinable en plusieurs versions, pour des capacités de feux dans la profondeur, roquette et canon dont le remplaçant de l'AUF1, des engins du Génie pour succéder à l'EBG (en lieu et place de l'Auroch) des engins de franchissement ou encore des engins de défense sol-air sans oublier l'incontournable volet logistique. Dans ce dernier domaine, les vecteurs nécessaires doivent être équipés de cabines blindées et de systèmes d'auto-défense afin de permettre leur engagement dans des opérations de haute intensité. Enfin, le char autour duquel cette force serait articulée pourrait être le Leclerc Evo doté de technologies matures comme l'Ascalon, la capacité de mise en oeuvre de drones aériens et terrestres, ou encore une motorisation hybride. L'ensemble des engins cités (à l'exception des vecteurs logistiques) seraient des engins chenillés modernes, dont la mobilité stratégique pourrait être améliorée par la mise en service de moyens dédiés et suffisants et dont la mobilité tactique contribuerait encore plus au renforcement de leur survivabilité et à l'accroissement de leur létalité sur un champ de bataille saturé par les menaces tridimensionnelles et omnidirectionnelles. Certains considéreront ces suggestions comme une sorte de lettre au père Noël, dont la réalisation ne sera jamais effective. Pourtant un tel programme, véritablement fédérateur pour l'armée de terre ne nous renverrait pas dans le passé mais au contraire nous ferait entrer de plein pied dans la guerre de haute intensité. Il est nécessaire que l'armée de terre procède dès maintenant à un véritable aggiornamento de sa doctrine, pour se doter d'un véritable segment de décision, force conventionnelle puissante dont l'engagement ne relèverait plus que de la gesticulation politique, mais serait le véritable symbole de la détermination de notre pays. Sans attendre "ces lendemains qui chantent" budgétaires, l'armée de terre peut dès aujourd'hui témoigner de sa volonté de faire son segment de décision une véritable priorité.
Elle doit pour cela redonner aux équipages, les moyens de s'entrainer et de servir leur engin en toutes circonstances. Il faut redonner du potentiel à nos chars, ce qui passe certainement par une renégociation des contrats de soutiens et l'abandon définitif de la funeste Politique d'Emploi et de Gestion des Parcs (PEGP) qui a coupé le lien entre les équipages et leur engin. Ce potentiel doit se traduire par une augmentation du temps passé par les équipages à bord de leur engin, des heures indispensables à l'acquisition et au renforcement des savoir faire techniques et tactiques. Dans le domaine du tir, une augmentation sensible et surtout réelle des allocations annuelles doit permettre à tous les membres d'équipages d'engins blindés de mettre en oeuvre l'armement de façon régulière dans des cadres tactiques adaptés. Il serait peut être temps de reprendre ou poursuivre le développement d'un Obus Flèche d'exercice (OFLEX) un temps envisagé mais jamais adopté, comme la munition polyvalente dont l'utilité ne semble plus à démontrer, comme on peut le voir en Ukraine ou en Israël. En prenant dès aujourd'hui ces mesures, l'armée de terre démontrerait ainsi sa détermination à s'engager résolument dans le mouvement initié par le conflit ukrainien auquel elle doit participer, sous peine de se trouver en difficulté dans les années à venir.
Nous vivons un basculement stratégique au moins équivalent à celui provoqué par la chute du Mur de Berlin, qui avait conduit à la constitution d'une armée expéditionnaire et à la destruction de notre composante blindée mécanisée. Il nous faut désormais la reconstruire en commençant dès maintenant ! 2025 est bien un année capitale.
C'est la menace russe qui explique la volonté de renforcer notre Défense. Or la première intervention de S Lecornu fut de considérer qu'il fallait étoffer le nombre de nos frégates et celui des Rafale. Il est indéniable certes que leur nombre est insuffisant, mais aucun propos sur la faiblesse de notre défense AA ou de l'absence de LAD performante, dont la nécessité absolue a été mise en valeur par le conflit ukrainien . La France est hors de portée d'une menace terrestre mais pas hors de portée de missiles balistiques, de croisière ou de drones. Aucun mot sur la nécessité absolue de créer une force blindée puissante et cohérente si nous voulons soutenir les pays Baltes, la Moldavie, la Géorgie, la Roumanie...ou dissuader Poutine d'y tenter un coup de force. C'est la-bas que la menace s'affirme, pas dans la zone indo pacifique, chasse gardee des US, qui alimente les phantasmes de quelques amiraux bien en cour, et leur rêve de disposer d'un unique porte avions quasiment aussi gros que les 14 porte avions US.
RépondreSupprimerErratum : 11 PAN et 11 porte hélicoptères d'assaut.
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