Bien que savamment ignorée, voire méprisée par certains, la question de la formation des équipages et des maintenanciers ukrainiens est revenue ce week-end au centre de l'actualité blindée. On a appris de sources officielles que cette formation dispensée Allemagne durant douze semaines, était prolongée de plusieurs semaines, en anglais dans le texte "several more weeks". Cette décision intervient après la diffusion de plusieurs critiques sur la qualité et l'adaptation des actions de formation dispensées par les différents états européens aux militaires ukrainiens dans différents domaines. Ces actions avaient tout d'abord été critiquées par les médias américains mais aussi par la Bundeswehr avant que des soldats ukrainiens impliqués dans ces actions ne rejoignent le chœur des insatisfaits. On se souvient que ces mêmes observateurs attentifs n'avaient portant que peu commenté la décision polonaise de diviser par deux la durée de formation à la mise en oeuvre et à la maintenance des Leopard 2.
Si l'on peut saluer la décision annoncée ce week-end, qui devrait permettre au personnel ukrainien d'approfondir ses connaissances sur le char concerné, on peut cependant s'interroger sur les raisons ayant motivé une telle décision.
Sur le plan chronologique, cette prolongation intervient après plusieurs semaines de contre-offensive ukrainienne, qui semble laisser plusieurs observateurs "insatisfaits" de la lenteur et de la maigreur des résultats obtenus, loin de leurs attentes et de leurs prévisions. Les difficultés rencontrées par les forces armées ukrainiennes auraient peut-être motivé les responsables concernés à prolonger la formation en vue d'améliorer les chances de succès des M1 américains et valoriser leur engagement. Liée au fait précédent, la diffusion des images d'engins blindés occidentaux détruits ou endommagés a peut-être également contribué à la mise en oeuvre de cette décision. Ces images accompagnent les premiers bilans de l'engagement sur le théâtre ukrainien des différents blindés occidentaux, qui soulignent la bonne tenue générale de ces derniers, en dépit de quelques destructions impressionnantes de matériels emblématiques comme le Leopard 2 ou récemment le Challenger 2. Ces dernières n'ont d'ailleurs pas donné lieu aux mêmes explications de texte que celles débitées au début de l'offensive à propos des chars russes. Au final, on peut penser que les difficultés rencontrées par la contre-offensive ukrainienne ainsi que les récentes destructions ont pu motiver les responsables américains à vouloir réduire les risques pesant sur les M1 américains. Leur engagement qui constitue un des symboles les plus visibles et les plus médiatiques du soutien de Washington à Kiev (en attendant les F-16) doit donc se révéler décisif et surtout provoquer le minimum de destructions parmi les 31 engins concernés.
A ces causes "stratégiques", il convient d'ajouter des motivations plus concrètes pouvant expliquer cette décision, sur lesquelles Washington a apporté quelques précisions. Selon le porte-parole du commandement américain pour l'Europe et l'Afrique, le Pentagone a décidé de prolonger la formation du personnel ukrainien à la demande de Kiev. Dans ce même communiqué, le commandement américain indique que les 200 militaires ukrainiens "continueront à améliorer leurs compétences dans le fonctionnement et l'entretien des véhicules pendant encore quelques semaines, jusqu'à ce que le lot promis de 31 Abrams M1A1 soit réaménagé et prêt à être livré;" A quelques jours de la livraison des 10 premiers Abrams, cette déclaration suggère que la remise en état des engins concernés n'est pas totalement achevée et ne permettrait pas le transfert de la totalité des chars dans les délais prévus. On se souvient qu'il avait été décidé de livrer aux Ukrainiens des M1A1 provenant des unités dissoutes du Corps des Marines pour accélérer leur transfert à Kiev, ces engins ne nécessitant pas une refabrication à l'inverse des M1A2 initialement prévus. Les raisons de ce qui apparait donc comme un retard ou au moins un décalage du calendrier prévu n'ont pas été explicitées par les responsables américains, mais elles pourraient indiquer que la remise en condition des engins concernés, arrivés en Allemagne au mois d'aout ou leur adaptation aux besoins ukrainiens s'avèrent plus longues que prévu. A moins que ce retard ne traduise la volonté des responsables américains de rapprocher la durée des formations ukrainiennes de celles des équipages américains, de 19 semaines pour le stage Armor Officer Basic Training Course ou de 22 semaines pour la formation de M1 Armor Crewman. On peut également imaginer sans faire injure aux instructeurs ou aux stagiaires, que la formation dispensée depuis juillet ne satisfait aucune des parties concernées, qui souhaitent donc prolonger ces actions pour améliorer les connaissances du personnel concerné par la mise en oeuvre et le soutien de ces chars et ainsi augmenter leurs chances de succès et leur survie sur le champ de bataille.
Enfin, on peut s'interroger sur la durée de ce changement de paradigme, afin de savoir si ce modèle de formation étendue est appelé à durer et à être reproduit à l'occasion des prochains transferts de chars américains vers l'Ukraine. A contrario, cette décision motivée par des raisons conjoncturelles pourrait ne pas résister aux épreuves du temps, les prochains équipages ukrainiens retrouveraient alors une formation de 12 semaines, telle qu'initialement planifiée.
Quoi qu'il en soit et quelles que soient les raisons ayant motivé cette décision, il est donc peu probable que les M1A1 américains soient opérationnels en septembre comme cela été initialement prévu par Washington. Ce décalage pourrait avoir une influence importante sur leur engagement qui pourrait correspondre à l'arrivée de la saison automnale et des précipitations qui l'accompagnent, gage d'une mobilité réduite, y compris pour des engins chenillés comme le M1 qui affiche ne mobilité convenable, à la différence de son homologue britannique.
Cette décision aux motivations confuses a cependant le mérite de remettre la formation au centre des préoccupations en matière d'engins de combat blindés et de rappeler à certains que cet aspect du soutien à l'Ukraine reste déterminant dans la réussite des opérations de transfert. Bien que peu médiatique, cet aspect de la question ne peut être éludé ou réduit à la portion congrue, y compris pour des raisons politiques, il en va de la vie des équipages concernés !
La formation des équipages de blindé (chose que je connais bien ayant été formateur AMX 10 RCR, AMX 30B2, Leclerc à l'EEC à Saumur pendant 20 ans, sans oublier 3 ans aux EAU au 31ᵉ Bataillon/ 3e Brigade).
RépondreSupprimerNe peut être faite en 12, voir 19 et 22 semaines, cela correspond à la formation basique et individuel de chaque membre d'équipage (démarrer le moteur, déplacer le char, mètre en œuvre la tourelle, charge les armes et l'entretien basique au 1er échelon du char par son équipage).
Ensuite il reste à assurer la formation de l'équipage 2 mois, la formation du niveau peloton 3 mois, la formation escadron 3 mois, la formation interarmes 3 mois (tout cela sans aucune barrière de la langue).
J'ai déjà dit sur ce site, un équipage opérationnel sur Leclerc, maitrisant les modes d'emplois nominaux et dégradés du système, c'est 3 ans, et aussi doué que soit les Ukrainiens je ne vois pas pourquoi ils maitriseraient un Léo 2 ou un M1 en 12 semaines.
Bernard
Merci pour votre témoignage et vos explications.
SupprimerComme dans le civil, les temps de formation (initiaux, complémentaires et continus) dépendent des prérequis, de la méthode et drsoyens pédagogiques. À cela s'y ajoute les différences linguistiques, culturelles, générationnelles et l'emploi antérieur qu'il faut parfois "oublier".
RépondreSupprimerLa technicité et la complexité des interactions possibles entre des moyens dans un système complexe ne s'appréhende pas par le petit bout de la lorgnette. La professionnalisation des armées n'est pas une expression creuse...
À cela s'ajoute les premières expériences au feu pour commencer à avoir des équipages réellement prêts. L'aguerrisement vient par la suite.
Être expérimenté ou expert, c'est encore autre chose.
Former n'est pas simple et consommateur d'un temps qui fait souvent défaut !... c'est pour cela que nous pouvons parler d'un temps de paix et un temps de guerre.
Justement parlons-en...
RépondreSupprimerhttps://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2023/09/16/faire-former-les-ukrainiens-a-temps-et-efficacement-dans-l-e-24113.html
Et disons tout.
Supprimerhttps://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2023/07/11/adit-dci-23988.html