Un peu moins de trois ans après la mise en ligne de cet article, la situation demeure inchangée. Le MGCS a franchi une étape "politique" cruciale à l'automne 2019, avec la levée des blocages, en particulier sur la politique d'exportation. Au printemps devrait être signé le «contrat d’architecture». Le tête à tête franco-allemand n'a pas été interrompu par la tentative polonaise et le programme semble désormais sur une bonne trajectoire. On sait que les premières livraisons pourraient avoir lieu en 2035, le dernier char français a encore de beaux jours devant lui.
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APRÈS LE LECLERC
On
a coutume de dire que l’industrie de défense est une affaire de souveraineté
nationale ; la renaissance d’une filière nationale de fabrication de
munitions petit calibre a été annoncé « urbi et orbi » par les mêmes
qui nous présentent le successeur du Leclerc comme devant être
franco-allemand ! N’ayant pas de compétences dans le premier domaine, je
limiterais mon propos à souligner les quelques obstacles qui pourraient se
dresser sur la route de ce futur engin.
La
fin de la chenille en France.
Depuis
2008, année de l’arrêt de production du Leclerc, la France ne fabrique plus
aucun véhicule de combat chenillé. Du Caesar au VBCI en passant par le Jaguar,
le Griffon ou autre Titus et Aravis, tous les véhicules en service ou en projet
sont des véhicules à roues. Ce choix de nos forces peut faire débat au vu des
conflits les plus récents et des engagements d’engins de combat chenillés dans
ces conflits, tant en zone ouverte que sur des terrains plus spécifiques comme
la zone urbaine. La monoculture de la roue, si elle demeure respectable en tant
que choix de nos états major reste cependant discutable et pénalisante en
termes d’offre commerciale, consacrant l’absence des industriels français sur
ce marché. Ils ne peuvent répondre aux souhaits exprimés par de nombreux pays
de s’équiper d’engins chenillés. Dans ce domaine, les évolutions technologiques
sont nombreuses et l’arrivée des matériaux composites devraient permettre de
concevoir des chenilles plus souples et plus légères. Les industriels français
ne peuvent être absents plus longtemps de ce marché, le risque associé étant
une perte de compétence et de visibilité des industries françaises dans les
années à venir. L’armée allemande n’a pas renoncé à s’équiper d’engins
chenillés tels que le Puma, coproduit par KMW et Rheinmetall, remplaçant du
Marder.
Le
poids de l’histoire
L’AMX30 est né sur
les cendres encore chaudes d’un projet de char franco-allemand. Au cours d’une
récente conférence de presse M Collet Billon[1] affirmait que la principale
tâche de la nouvelle entité franco-allemande KNDS[2], sera de développer
le successeur du Leclerc. Le DGA allant jusqu’à parier que ce futur engin
« aura un châssis et une motorisation allemands, et une tourelle
française » reprenant ainsi l’exacte répartition des tâches dans le défunt
programme ; partage de responsabilités qui fut à l’origine de l’ultime
échec de ce projet avec le refus allemand de ne pas abandonner le canon L7 pour
son équivalent français. Les vieilles recettes sont parfois les bonnes mais on
peut légitimement craindre une répétition de l’histoire, compte tenu de la
sensibilité de nos voisins allemands en matière de canon ! Preuve de cette
sensibilité, l’adoption d’un canon de 55 calibres (L55) à partir de la version
A6 du Léopard 2 censée répondre à la mise en service du canon de 52 calibres
sur le Leclerc car celui-ci était plus performant que le L44 des versions
précédentes ! Aurons-nous une tourelle française avec un canon allemand ou
châssis français avec un moteur allemand ? Toutes les combinaisons et
sources de désaccord sont envisageables, sans oublier le chargement automatique
peu apprécié des Allemands pour ses conséquences sur le nombre de membres
d’équipages ou la motorisation que MTU n’envisage pas d’abandonner.
Quel
calendrier ?
Aujourd’hui l’armée
française envisage un maintien du Leclerc en parc jusqu’à l’horizon 2040 soit
une durée de service de 45 ans tout à fait comparable avec celle de l’AMX30
utilisé entre 1966 et 2011. Le Leclerc de conception plus récente que le Léopard
2 peut arriver à ce terme grâce à son potentiel d’évolution lui permettant
d’intégrer les indispensables programmes de rénovation et de modernisation.
Le
Léopard 2 plus ancien dans sa définition devra être remplacé à l’horizon 2030[3],
date qui semble difficilement atteignable compte tenu de l’incapacité du char à
évoluer et à intégrer de nouveaux équipements. Cette date est à rapprocher de
celle de la fin de service prévisible du char américain M1, conçu dans les
années 70 et dont le remplaçant n’est pas encore défini. A la charnière de
l’histoire et du calendrier, il faut rappeler que les Allemands menèrent
également des études dans le cadre d’un programme germano-américain dont
l’échec conduisit les Américains à développer leurs propres projets, pour
finalement adopter le M1. Le calendrier comme l’histoire pourraient donc donner
tort à M Collet Billon !
Quelle
politique d’exportation ?
Dans un passé récent [4], le gouvernement allemand a interdit à Mercedes
d’exporter des châssis destinés à produire les véhicules blindés Aravis
commandés par l’Arabie saoudite à Nexter. Aujourd’hui ce même gouvernement ne
veut plus vendre d’armement à la Turquie après avoir négocié l’acquisition par
Ankara de trois cents Léopards 2A4 d’occasion, aperçus sur les images de la
tentative de putsch de l’été 2016 et en Syrie. Berlin a également interdit à
KMW de vendre le Léopard 2 à l’Arabie saoudite, pour honorer quelques années
plus tard une commande du Qatar ! Demain le char « européen » ou
franco-allemand se heurtera-t-il à la même « real politik » ?
Lors du débat parlementaire sur la fusion entre Nexter et KMW, certains députés
ont exprimé des réticences au sujet des exportations [5] et de concurrence
entre les gammes. Le Ministre de l’Industrie du moment (qui n’était pas
encore en marche) avait rassuré la représentation nationale en précisant
que « les VBCI et les Boxer ne relèvent pas des mêmes marchés
internationaux, ni des mêmes doctrines d'emploi. Ainsi, le VBCI équipe le
Qatar, les Émirats arabes unis et le Danemark - et hier le Canada -, qui ne
sont pas les marchés vers lesquels s'oriente le Boxer[6] ». Enfin, on ne peut que se réjouir de la bonne santé
des exportations d’armement françaises en 2016 et les années précédentes mais
il convient de reconnaitre que ces dernières sont plutôt orientées vers
l’aéronautique et le maritime. Certes, on ne réussit pas une vente comme celle
du Leclerc aux Emirats Arabes Unis tous les ans, mais l’absence d’offre conduit
forcément à l’absence de contrat. Les excellentes performances du Leclerc au
combat, et son caractère « combat proven » constituent une excellente
base pour le développement d’engins chenillés. M. Le Drian a souhaité engager
le chantier des Frégates de Taille Intermédiaire (FTI) pour garantir le
maintien de la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) dans ce
domaine et répondre aux besoins export en dépit des souhaits de la Marine
Nationale qui affichai une préférence pour les Frégates Multi Missions (FREMM).
Un ministre peut donc contraindre un état major d’armée pour des besoins industriels,
comme il peut contraindre des industriels pour des objectifs politiques, comme
le redémarrage ex-nihilo de la filière munitions petit calibre. Pourquoi ne
pourrait-il pas envisager une initiative similaire pour un véhicule de combat
terrestre chenillé en initiant des études amont dont les résultats
pourraient se révéler utiles dans le futur. Le très long développement du
Tigre, l’échec du projet de drone européen et les difficultés industrielles de
l’A400 M devraient nous motiver dans le démarrage de telles études, pour éviter
de reproduire avec le successeur du Leclerc ce qui vient d’être fait pour le
remplaçant du FAMAS.
Le
char français du futur
Dans la BITD
actuelle, un certain nombre d’entreprises possèdent des capacités de conception
d’un char moderne. Les technologies aujourd’hui disponibles permettent avec un
peu d’imagination d’en définir quelques contours. Il pourrait être la
version « combat embarqué » d’une véritable famille de blindés. On a
vu que la France a excellé dans le passé dans la production de châssis
modulaires et adaptables permettant de produire des versions différentes à
partir d’une base commune. Cette modularité pourrait se décliner dans
l’existence de plusieurs versions de tourelle dont une version téléopérée
pourrait coexister avec une version habitée. Dans les deux cas l’équipage
serait toujours de deux opérateurs œuvrant soit en châssis, soit en tourelle.
Cette tourelle pourrait profiter de technologies récentes comme l'intégration
d'un drone, le développement de munitions intelligentes ou de nouveaux
senseurs. Cette modularité permettrait de réaliser des économies importantes et
de fournir des matériels plus facilement exportables. Utilisant un mode de
propulsion hybride et des chenilles en matériau composites, ce véhicule serait
plus mobile que ses prédécesseurs, grâce à un poids contenu. La protection
reposerait sur des caractéristiques de furtivité alliées à des systèmes de
protection passifs et actifs ainsi qu’une info valorisation de dernière
génération, donnant à ce char une parfaite connaissance de son environnement et
des menaces. Le développement de blindages de nouvelle génération basés sur
l’utilisation de nouveaux matériaux permettrait également d’en réduire le
poids. Il est en revanche difficile d’envisager un char entièrement
« dronisé » et pilotable à distance tant il paraît difficile de mener
une guerre terrestre en pilotant des chars depuis Mourmelon ou
Olivet ! La conquête et le contrôle du terrain restent des affaires
d’hommes comme l’a judicieusement rappelé le dernier colloque de l’Infanterie
dont le thème était « Combattre les yeux dans les yeux ! ».
Les
caractéristiques évoquées dans ces quelques lignes ne prennent en compte que
les technologies telles qu’elles sont connues aujourd’hui. Il est certain que
d’autres avancées et innovations sont en cours de conception ou de
développement, elles pourraient judicieusement être intégrées à un projet de
véhicule de combat chenillé français.
Il
y a quelques années, la France a fait le choix d’équiper ses forces terrestres
de véhicules à roues, provoquant de facto l’arrêt de toute production de
véhicule de combat chenillé. Le vide laissé par cette décision a conduit à
l’effacement de la France comme fournisseur d’armement terrestre lourd. On a vu
dans le cas des Émirats Arabes Unis et du Leclerc que la conduite d’un
programme d’armement majeur permettait un renforcement de la coopération entre
notre pays et le pays client, contribuant à renforcer la place de la France.
Au-delà
de ces considérations politico-militaires, on peut penser que le choix de la
coopération pour le successeur du Leclerc aura certainement un cout plus élevé
qu’une solution s’appuyant sur le tissu industriel français existant. Les
industriels de défense terrestre français ne peuvent se contenter d’une gamme
restreinte aux seuls véhicules à roues quand la majorité de leurs concurrents
proposent à la fois des véhicules chenillés et à roues. Aujourd’hui le secteur
de l’armement terrestre français est toujours à la recherche d’un contrat
majeur, même si le Caesar a donné de bons résultats récemment. La présence d’un
engin de combat chenillé augmenterait les chances françaises de façon
importante dans certains pays.
Le
Leclerc a montré que les solutions techniques les plus innovantes étaient
parfaitement maitrisées par les industriels français. Un projet d’engin de
combat chenillé soutenu par une réelle volonté politique permettrait à la
France de se maintenir parmi les grands pays exportateurs d’armement terrestre.
Cette volonté politique doit se traduire par une adoption de ce matériel par
nos armées, pour éviter le syndrome de l’AMX 40[7].
Ces
exportations contribuent au rayonnement de notre pays, à l’expression de sa
diplomatie mais aussi à la pérennité d’un secteur de haute technologie et à
haute valeur ajoutée essentiel à notre économie.
[1] Conférence de presse de M Laurent Collet Billon le 6 mars 2017
http://forcesoperations.com/la-dga-est-le-premier-investisseur-de-letat/
[2]
Né en juin 2016 du rapprochement entre Nexter et KMW
[3] http://www.opex360.com/2015/05/23/lallemagne-veut-nouveau-char-de-combat-pour-2030/
[4]
http://m.lesechos.fr/redirect_article.php?id=0202465542417
[5] http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/20150211tribdbb7df5ff/berlin-ne-pourra-pas-bloquer-les-exportation-de-nexter-emmanuel-macron.html
[6]
Ibid.
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