Pages

mardi 4 février 2020

LE LECLERC, DERNIER CHAR FRANCAIS ? Fin.


Un peu moins de trois ans après la mise en ligne de cet article, la situation demeure inchangée. Le MGCS a franchi une étape "politique" cruciale à l'automne 2019, avec la levée des blocages, en particulier sur la politique d'exportation. Au printemps devrait être signé le «contrat d’architecture». Le tête à tête franco-allemand n'a pas été interrompu par la tentative polonaise et le programme semble désormais sur une bonne trajectoire. On sait que les premières livraisons pourraient avoir lieu en 2035, le dernier char français a encore de beaux jours devant lui.

 3/ APRÈS LE LECLERC

On a coutume de dire que l’industrie de défense est une affaire de souveraineté nationale ; la renaissance d’une filière nationale de fabrication de munitions petit calibre a été annoncé « urbi et orbi » par les mêmes qui nous présentent le successeur du Leclerc comme devant être franco-allemand ! N’ayant pas de compétences dans le premier domaine, je limiterais mon propos à souligner les quelques obstacles qui pourraient se dresser sur la route de ce futur engin.

La fin de la chenille en France.  
Depuis 2008, année de l’arrêt de production du Leclerc, la France ne fabrique plus aucun véhicule de combat chenillé. Du Caesar au VBCI en passant par le Jaguar, le Griffon ou autre Titus et Aravis, tous les véhicules en service ou en projet sont des véhicules à roues. Ce choix de nos forces peut faire débat au vu des conflits les plus récents et des engagements d’engins de combat chenillés dans ces conflits, tant en zone ouverte que sur des terrains plus spécifiques comme la zone urbaine. La monoculture de la roue, si elle demeure respectable en tant que choix de nos états major reste cependant discutable et pénalisante en termes d’offre commerciale, consacrant l’absence des industriels français sur ce marché. Ils ne peuvent répondre aux souhaits exprimés par de nombreux pays de s’équiper d’engins chenillés. Dans ce domaine, les évolutions technologiques sont nombreuses et l’arrivée des matériaux composites devraient permettre de concevoir des chenilles plus souples et plus légères. Les industriels français ne peuvent être absents plus longtemps de ce marché, le risque associé étant une perte de compétence et de visibilité des industries françaises dans les années à venir. L’armée allemande n’a pas renoncé à s’équiper d’engins chenillés tels que le Puma, coproduit par KMW et Rheinmetall, remplaçant du Marder.

Le poids de l’histoire 
L’AMX30 est né sur les cendres encore chaudes d’un projet de char franco-allemand. Au cours d’une récente conférence de presse M Collet Billon[1] affirmait que la principale tâche de la nouvelle entité franco-allemande KNDS[2], sera de développer le successeur du Leclerc. Le DGA allant jusqu’à parier que ce futur engin « aura un châssis et une motorisation allemands, et une tourelle française » reprenant ainsi l’exacte répartition des tâches dans le défunt programme ; partage de responsabilités qui fut à l’origine de l’ultime échec de ce projet avec le refus allemand de ne pas abandonner le canon L7 pour son équivalent français. Les vieilles recettes sont parfois les bonnes mais on peut légitimement craindre une répétition de l’histoire, compte tenu de la sensibilité de nos voisins allemands en matière de canon ! Preuve de cette sensibilité, l’adoption d’un canon de 55 calibres (L55) à partir de la version A6 du Léopard 2 censée répondre à la mise en service du canon de 52 calibres sur le Leclerc car celui-ci était plus performant que le L44 des versions précédentes ! Aurons-nous une tourelle française avec un canon allemand ou châssis français avec un moteur allemand ? Toutes les combinaisons et sources de désaccord sont envisageables, sans oublier le chargement automatique peu apprécié des Allemands pour ses conséquences sur le nombre de membres d’équipages ou la motorisation que MTU n’envisage pas d’abandonner. 

Quel calendrier ? 
Aujourd’hui l’armée française envisage un maintien du Leclerc en parc jusqu’à l’horizon 2040 soit une durée de service de 45 ans tout à fait comparable avec celle de l’AMX30 utilisé entre 1966 et 2011. Le Leclerc de conception plus récente que le Léopard 2 peut arriver à ce terme grâce à son potentiel d’évolution lui permettant d’intégrer les indispensables programmes de rénovation et de modernisation.
Le Léopard 2 plus ancien dans sa définition devra être remplacé à l’horizon 2030[3], date qui semble difficilement atteignable compte tenu de l’incapacité du char à évoluer et à intégrer de nouveaux équipements. Cette date est à rapprocher de celle de la fin de service prévisible du char américain M1, conçu dans les années 70 et dont le remplaçant n’est pas encore défini. A la charnière de l’histoire et du calendrier, il faut rappeler que les Allemands menèrent également des études dans le cadre d’un programme germano-américain dont l’échec conduisit les Américains à développer leurs propres projets, pour finalement adopter le M1. Le calendrier comme l’histoire pourraient donc donner tort à M Collet Billon !

Quelle politique d’exportation ? 
Dans un passé récent [4], le gouvernement allemand a interdit à Mercedes d’exporter des châssis destinés à produire les véhicules blindés Aravis commandés par l’Arabie saoudite à Nexter. Aujourd’hui ce même gouvernement ne veut plus vendre d’armement à la Turquie après avoir négocié l’acquisition par Ankara de trois cents Léopards 2A4 d’occasion, aperçus sur les images de la tentative de putsch de l’été 2016 et en Syrie. Berlin a également interdit à KMW de vendre le Léopard 2 à l’Arabie saoudite, pour honorer quelques années plus tard une commande du Qatar ! Demain le char « européen » ou franco-allemand se heurtera-t-il à la même « real politik » ? Lors du débat parlementaire sur la fusion entre Nexter et KMW, certains députés ont exprimé des réticences au sujet des exportations [5] et de concurrence entre les gammes. Le Ministre de l’Industrie du moment (qui n’était pas encore en marche) avait rassuré la représentation nationale en précisant que « les VBCI et les Boxer ne relèvent pas des mêmes marchés internationaux, ni des mêmes doctrines d'emploi. Ainsi, le VBCI équipe le Qatar, les Émirats arabes unis et le Danemark - et hier le Canada -, qui ne sont pas les marchés vers lesquels s'oriente le Boxer[6] ». Enfin, on ne peut que se réjouir de la bonne santé des exportations d’armement françaises en 2016 et les années précédentes mais il convient de reconnaitre que ces dernières sont plutôt orientées vers l’aéronautique et le maritime. Certes, on ne réussit pas une vente comme celle du Leclerc aux Emirats Arabes Unis tous les ans, mais l’absence d’offre conduit forcément à l’absence de contrat. Les excellentes performances du Leclerc au combat, et son caractère « combat proven » constituent une excellente base pour le développement d’engins chenillés. M. Le Drian a souhaité engager le chantier des Frégates de Taille Intermédiaire (FTI) pour garantir le maintien de la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) dans ce domaine et répondre aux besoins export en dépit des souhaits de la Marine Nationale qui affichai une préférence pour les Frégates Multi Missions (FREMM). Un ministre peut donc contraindre un état major d’armée pour des besoins industriels, comme il peut contraindre des industriels pour des objectifs politiques, comme le redémarrage ex-nihilo de la filière munitions petit calibre. Pourquoi ne pourrait-il pas envisager une initiative similaire pour un véhicule de combat terrestre chenillé en initiant des études amont dont les résultats pourraient se révéler utiles dans le futur. Le très long développement du Tigre, l’échec du projet de drone européen et les difficultés industrielles de l’A400 M devraient nous motiver dans le démarrage de telles études, pour éviter de reproduire avec le successeur du Leclerc ce qui vient d’être fait pour le remplaçant du FAMAS. 

Le char français du futur  
Dans la BITD actuelle, un certain nombre d’entreprises possèdent des capacités de conception d’un char moderne. Les technologies aujourd’hui disponibles permettent avec un peu d’imagination d’en définir quelques contours. Il pourrait être la version « combat embarqué » d’une véritable famille de blindés. On a vu que la France a excellé dans le passé dans la production de châssis modulaires et adaptables permettant de produire des versions différentes à partir d’une base commune. Cette modularité pourrait se décliner dans l’existence de plusieurs versions de tourelle dont une version téléopérée pourrait coexister avec une version habitée. Dans les deux cas l’équipage serait toujours de deux opérateurs œuvrant soit en châssis, soit en tourelle. Cette tourelle pourrait profiter de technologies récentes comme l'intégration d'un drone, le développement de munitions intelligentes ou de nouveaux senseurs. Cette modularité permettrait de réaliser des économies importantes et de fournir des matériels plus facilement exportables. Utilisant un mode de propulsion hybride et des chenilles en matériau composites, ce véhicule serait plus mobile que ses prédécesseurs, grâce à un poids contenu. La protection reposerait sur des caractéristiques de furtivité alliées à des systèmes de protection passifs et actifs ainsi qu’une info valorisation de dernière génération, donnant à ce char une parfaite connaissance de son environnement et des menaces. Le développement de blindages de nouvelle génération basés sur l’utilisation de nouveaux matériaux permettrait également d’en réduire le poids. Il est en revanche difficile d’envisager un char entièrement « dronisé » et pilotable à distance tant il paraît difficile de mener une guerre terrestre en pilotant des chars depuis Mourmelon ou Olivet ! La conquête et le contrôle du terrain restent des affaires d’hommes comme l’a judicieusement rappelé le dernier colloque de l’Infanterie dont le thème était « Combattre les yeux dans les yeux ! ».
Les caractéristiques évoquées dans ces quelques lignes ne prennent en compte que les technologies telles qu’elles sont connues aujourd’hui. Il est certain que d’autres avancées et innovations sont en cours de conception ou de développement, elles pourraient judicieusement être intégrées à un projet de véhicule de combat chenillé français.
Il y a quelques années, la France a fait le choix d’équiper ses forces terrestres de véhicules à roues, provoquant de facto l’arrêt de toute production de véhicule de combat chenillé. Le vide laissé par cette décision a conduit à l’effacement de la France comme fournisseur d’armement terrestre lourd. On a vu dans le cas des Émirats Arabes Unis et du Leclerc que la conduite d’un programme d’armement majeur permettait un renforcement de la coopération entre notre pays et le pays client, contribuant à renforcer la place de la France.
Au-delà de ces considérations politico-militaires, on peut penser que le choix de la coopération pour le successeur du Leclerc aura certainement un cout plus élevé qu’une solution s’appuyant sur le tissu industriel français existant. Les industriels de défense terrestre français ne peuvent se contenter d’une gamme restreinte aux seuls véhicules à roues quand la majorité de leurs concurrents proposent à la fois des véhicules chenillés et à roues. Aujourd’hui le secteur de l’armement terrestre français est toujours à la recherche d’un contrat majeur, même si le Caesar a donné de bons résultats récemment. La présence d’un engin de combat chenillé augmenterait les chances françaises de façon importante dans certains pays.
Le Leclerc a montré que les solutions techniques les plus innovantes étaient parfaitement maitrisées par les industriels français. Un projet d’engin de combat chenillé soutenu par une réelle volonté politique permettrait à la France de se maintenir parmi les grands pays exportateurs d’armement terrestre. Cette volonté politique doit se traduire par une adoption de ce matériel par nos armées, pour éviter le syndrome de l’AMX 40[7].
Ces exportations contribuent au rayonnement de notre pays, à l’expression de sa diplomatie mais aussi à la pérennité d’un secteur de haute technologie et à haute valeur ajoutée essentiel à notre économie.
[1] Conférence de presse de M Laurent Collet Billon le 6 mars 2017 http://forcesoperations.com/la-dga-est-le-premier-investisseur-de-letat/
[2] Né en juin 2016 du rapprochement entre Nexter et KMW
[3] http://www.opex360.com/2015/05/23/lallemagne-veut-nouveau-char-de-combat-pour-2030/
[4] http://m.lesechos.fr/redirect_article.php?id=0202465542417
[5] http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/20150211tribdbb7df5ff/berlin-ne-pourra-pas-bloquer-les-exportation-de-nexter-emmanuel-macron.html
[6] Ibid.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire