La première partie de l’article consacré au bilan des chars engagés en Syrie.
Les images des actions en cours nous montrent qu'il s'agit d'un conflit de moins en moins asymétrique dans lequel les éléments blindés mécanisés jouent un rôle important.
Ce nouvel article est la mise à jour d’un article publié sur LinkedIn en janvier 2017, que l'on peut retrouver ici
Dans mon
précédent article datant de janvier 2017, j’avais évoqué l’engagement des chars
dans les conflits en Syrie et au Yémen. Le bilan en demi-teinte tirés de ces
engagements avait montré que deux chars (Leclerc et T90) sur quatre avaient
plutôt bien résisté aux aléas de ces conflits, tandis que les deux autres (M1
et Leopard2) avaient connu des moments plus difficiles (sic).
L’engagement du
Léopard 2A4 et du MA1A2SA dans ces conflits, a anéanti de façon brutale une
réputation peut-être surfaite. Les défauts techniques constatés ont amplifié
l’effet des projectiles que les équipages n’ont pas su détecter, contrer ou
éviter. A l’inverse le Leclerc et le T-90 ont renforcé leur image de char de
conception robuste permettant d’atténuer les effets de certains projectiles
antichars. La mobilité de ces deux chars (les plus légers de tous) a
certainement contribué à améliorer leur survie et leur efficacité. A l’heure où
de nombreuses armées tentent de combler des lacunes techniques par des
programmes de rénovation, synonyme de surcharge pondérale, il y a matière
à réflexion.
La Turquie a
diversifié ses moyens blindés pour conduire ses opérations sur le territoire
syrien. Ce changement de monture n’a pas fondamentalement changé le
comportement des équipages engagés. Le T-90 peut s'appuyer sur une conception
robuste l’efficacité de sa protection pour compenser les mêmes faiblesses
tactiques que celles observées du côté turc.
Au Yémen les
Saoudiens repliés derrière leur frontière méridionale découvrent le faible
niveau tactique de leurs unités, laissant seuls les Leclerc émiriens sur le
territoire yéménite. La réputation du M1 a souffert des opérations au
Yémen ; difficultés structurelles amplifiées par le facteur humain avec un
ennemi déterminé affrontant des unités inefficaces. Le Leclerc, fer de lance de
la coalition a vu sa protection renforcée par l’adoption de deux systèmes
différents.
Enfin, il faut
préciser qu’il est difficile d’obtenir des informations fiables et vérifiées,
car soumises à la propagande et à la manipulation. C’est pour cette raison le
conditionnel s’est imposé pour la relation des faits énoncés dans ces articles,
à l'inverse des opinions qui n'engagent que leur auteur.
LA SYRIE
LE LÉOPARD
N'EST PLUS SEUL
Mon précédent
article rédigé en janvier 2017 se basait sur le bilan de l’opération
« Bouclier de l’Euphrate » dans laquelle les Léopards 2 engagés
avaient subi de lourdes pertes comme le montre le tableau joint.
Depuis cette
date, la Turquie a mené un certain d’incursions sur le territoire syrien mais
ses forces ont mené deux opérations majeures : Rameau d’Olivier lancée en
janvier 2018 et Source de paix déclenchée au mois d’octobre 2019.
OPÉRATION
RAMEAU D'OLIVIER :
L’objectif de
cette opération était de chasser les combattants du YPG de la ville et de la
région d’Afrine, située au Nord-Ouest de la Syrie, entre la ville d’Alep et la
frontière turque. Bien que leur identification et leur nombre soit sujet à
caution, de nombreuses photos attestent de la réalité de l’engagement de chars
Léopards 2 aux côtés de M60 dans cette opération. Le nombre de chars engagés
reste difficile à établir ; le dispositif initial ayant été renforcé à
plusieurs reprises, comme l’attestent les nombreux témoignages signalant des
convois d’une dizaine de chars franchissant la frontière pendant l’opération.
L’opération s’est achevée 58 jours après son déclenchement par la chute
d’Afrine le 18 mars 2018 [1].
Selon des
sources concordantes au moins cinq chars auraient été détruits au cours des combats
sans que le type de char détruit ne puisse être déterminé avec certitude. Trois
vidéos diffusées par les YPG permettent cependant de souligner quelques
points.
La première des
vidéos [2] diffusée par les YPG montre un char statique détruit par un missile
antichar après un vol de 12 secondes environ. L’identification formelle du
char est difficile, sa silhouette pourrait être celle d'un Léopard 2. La vidéo
ne montre aucune explosion secondaire suivant l’impact du missile. Un temps de
vol de 12 s correspond pour un missile filoguidé à une distance char-lanceur
voisine de 2200 m.
Dans la seconde
vidéo [3], on peut distinguer ce qui semble être un char M60 également statique
et atteint par un missile AC après un vol de huit secondes, pouvant
correspondre à une distance char-lanceur voisine de 1500m. Comme dans la
première séquence aucune explosion secondaire ne se produit après l’impact du
missile. L’utilisation de missiles filoguidés de type TOW (évoqué dans mon
premier article) est tout à fait envisageable, les YPG semblant en être
équipés comme le montre une troisième vidéo [4]diffusée par la chaine turque
d’information continue NTV.
OPÉRATION SOURCE DE PAIX
Déclenchée en
octobre 2019, cette opération avait pour objectif l’établissement d’un
corridor de sécurité sur la frontière séparant les deux pays. Ayant pour
mission de défendre le sud-ouest de la Turquie, et stationnée le long de la
frontière syrienne, la 2ème Armée turque a logiquement fourni
l’ossature de l’opération dont trois brigades blindées et quatre brigades
d’infanterie mécanisée[1][5]. Selon plusieurs sources, aucun Léopard n’aurait
été engagé, laissant l’action blindée aux M60 dont les brigades engagées
utilisent différentes versions. La raison officielle de ce choix est le
maintien de la flotte de Léopard 2 sur les frontières nord et est du pays, face
à un ennemi plus capable et pouvant engager des chars et des moyens AC plus
modernes. Cette absence pourrait être liée aux piètres performances de ce char
dans les engagements précédents, mais aussi la volonté d’entreprendre au plus
vite la transformation des Léopards 2A4 en service au standard NG sur lequel je
reviendrais plus loin. L’armée turque a donc engagé des chars M60 dont elle
compte plusieurs versions.
Le M60 A3 TT :
La Turquie
posséderait plus de 700 exemplaires de ce char au dessin robuste mais largement
dépassé. Conçu à la fin des années cinquante, il est entré en service
dans l’armée américaine à partir de 1960. Il est en outre équipé d’un
canon dérivé du L7 britannique de Royal Ordnance, le M68 et d’une conduite de
tir analogique de 105mm. Divers programmes de modernisation lui ont permis de
bénéficier de quelques améliorations. Les 5ème, 20ème et 172ème brigades
blindées équipées de ce char ont été déployées sur la frontière turco-syrienne
dans les semaines précédant le début de l’opération. Ces chars ont également
été vus lors d’incursions turques en Syrie et ainsi que dans les premiers
engagements contre les YPG dans les deux pays.
Le M60
T Sabra :
L’armée turque
disposait de 170 chars M60 Patton commandés à Israël en 2002 et livrés en 2005
et 2006. Équipés d’un canon de 120mm développé par la société israélienne IMI
le M60 T affiche des performances supérieures grâce à une nouvelle conduite de
tir, un moteur de 1000cv et un blindage mixte combinant protection passive et
active. Ces chars ont fait l’objet d’un programme de modernisation appelé
FIRAT-M60T mené par ASELSAN visant à renforcer les capacités défensives avec
l’intégration prévue du « système actif de défense PULAT » conçu
contre les projectiles antichars.
Le bilan
militaire de l’opération « Source de paix » apparaît très mitigé pour
la Turquie, qui n’est parvenue à conquérir que de très petites parties de
territoire. Les seules villes dont elle s’est emparée sont Tall Abyad et Ras
al-Ayn, les Forces Démocratiques Syriennes [6] (FDS) s’étant retirées de cette
dernière dans le cadre de l’accord américano-turc du 17 octobre.
Le Léopard 2NG :
Le bilan assez
lourd des pertes subies par les Léopards 2 turcs ont démontré le besoin d’une
modernisation et d’une adaptation du char à son nouvel environnement.
L’Allemagne logiquement sollicitée pour cette opération a refusé les demandes
turques suite au déclenchement de l’opération « Rameau d’Olivier ». A la
différence des premières opérations celle-ci visait les Kurdes ; objectif
difficilement acceptable pour la coalition CDU/CSU. Similaire au
programme Révolution MBT lancé par RheinMetall en 2010, le programme Léopard 2
NG confié à la firme Aselsan vise à améliorera les domaines de la conduite de
tir, des optiques et de la protection. Selon la firme turque, le Léopard 2 NG
serait supérieur au Léopard 2A6. Des équipements de conception turque ont
installés comme la conduite de tir Volcan qui devrait également équiper le char
Altay, la plateforme SARP (Stabilized Advanced Remote weapon Platform) équipée
d’une mitrailleuse de 12.7mm couplée à un système électro optique ATS 40. En
revanche, le renforcement de la protection a été confié à la société allemande
IBD Deisenroth Engineering qui a fourni un ensemble de protection comprenant
des jupes de train de roulement, une protection de l’arc frontal et du masque
de tourelle, une protection de plancher et de la tourelle ainsi que des plaques
de protection du châssis. En dépit des affirmations d’Aselsan, la mobilité du
char est très certainement affectée par cette rénovation. Le poids total du
Léopard 2 NG atteint 65 tonnes, contre 56,5 tonnes pour le Léopard 2 A4[7].
Conservant le moteur MTU développant 1500cv, le Léopard 2 NG affiche un rapport
poids puissance de 23cv/tonne, son prédécesseur se situant à 26,5 cv/tonne. Ce
phénomène se retrouve sur la majorité des chars de seconde génération subissant
des modernisations successives les portant à des poids parfois supérieurs à 65
tonnes.
Depuis janvier
2017, l’armée turque a engagé tous ses modèles de chars opérationnels. La
préservation des Léopards est certainement liée aux opérations de modernisation
entreprises par Aselsan. Comme pour les autres armées engagées sur ces
théâtres d’opérations, l’ennemi principal demeure le projectile antichar guidé
ou non guidé. L’installation d’un dispositif de protection active permet
d’augmenter le niveau de protection des engins, qui demeure indissociable du
niveau opérationnel de l’équipage. Dans ce domaine, les différentes factions
engagées dans ce conflit ont montré de sérieuses lacunes.
Le T90.
Depuis son
arrivée en Syrie en 2015, la réputation du T-90 n’a pas trop souffert comme
cela a été le cas du Léopard 2, dont les photos diffusées ont fortement mis à
mal son image de char invincible. Le T-90, char le plus moderne de l’arsenal
russe (en attendant l’Armata) est arrivé en Syrie à l’occasion de
l’intervention russe dans le pays. L’armée syrienne a reçu à cette occasion des
T-90 mais aussi des T-62M et T-72S modernisés. L’arrivée de ces équipements a
permis à l’armée syrienne de reconstituer une partie de ses unités blindées,
ayant perdu 2000 engins depuis le début du conflit. Les T-90 furent affectés
aux unités suivantes : la 4ème Division Blindée, la Brigade des
Faucons du désert [8]
(sorte de milice privée constituée d’anciens de l’armée arabe syrienne encadrés
par des militaires syriens ; créée en 2011, elle est dissoute en 2017 en raison
de tensions entre factions) et la Force du Tigre, un bataillon appartenant à la
25ème Division des Missions Spéciales de l’armée arabe syrienne
spécialisée dans les opérations offensives.
Ce déploiement
va néanmoins se heurter à une recrudescence de l’utilisation des missiles
antichars par les forces rebelles. Le programme d’aide américain aux factions
rebelles « Timber Sycamore [9] »
mis en place depuis 2013, permet la livraison de postes de tir et de missiles
AC aux factions éligibles à ce programme. Après la chute d’Alep en 2016, de
nombreux pays fournisseurs d’aide retardent leurs livraisons, la nouvelle
administration américaine met fin au programme en 2017. Ces turbulences
géopolitiques se concrétisent sur le terrain comme le montrent les deux
tableaux suivants :
En dépit
de la baisse du nombre de tirs visuellement constatés entre 2016 et 2017, de
621 à 202, on constate que le TOW reste la « vedette » des factions
rebelles infligeant des dégâts importants aux forces gouvernementales
syriennes.
En dépit de ses
équipements de protection (Système Shtora et blindage réactif Kontakt-5) les
T-90 engagés ont été la cible des feux antichars ennemis essentiellement ceux des missiles AC TOW 2A
livrés massivement aux factions rebelles à partir de 2013. Ainsi ce T-90 aurait
été détruit à proximité de la ville de Mayadeen au cours d’une embuscade contre
des éléments de la Force Tigre.
Cependant, les médias pro Assad ont affirmé que ce
T-90 avait été capture auparavant par Daesh, qui l‘aurait détruit (le char
n’étant pas opérationnel) et utiliserait les clichés de cette destruction à des
fins de propagande. Quelle que soit l’origine de la destruction, elle a été
provoquée par une charge puissante, séparant la tourelle du châssis.
Selon plusieurs
sources, le nombre de véhicules blindés détruits serait passé de 314 en 2016 à
248 en 2017. Chiffres qui peuvent être directement liés aux statistiques
relatives à l’utilisation des missiles AC.
Cette comptabilité
ne tient pas compte des chars capturés par les différentes factions, comme les
deux T-90 capturés par une des factions et d’un troisième par Daesh. En octobre
2017, un T-90 appartenant à la 4ème Division fut capturé par Daesh
près de la ville d’Al Mayadeen, dans l’est de la Syrie, alors qu’il s’était
égaré dans une tempête de sable. Deux
chars T-90 furent conservés par les rebelles dans une usine abandonnée dans la
province d’Idlib. Ces captures illustrent les lacunes tactiques de l’armée syrienne
avec des chars le plus souvent isolés, sans environnement interarmes et ne
prenant aucune mesure de sauvegarde.
Le faible
nombre de T-90 engagés dans le conflit n’a vraisemblablement pas pesé sur
l’issue de cette guerre. Ce char s’est révélé plus fiable et plus performant
que ses prédécesseurs russes, lui permettant d’engager les rebelles de nuit et
à longue distance, ce que seuls les chars modernes peuvent faire sur un champ
de bataille. Toutefois, il est important de noter que le T-90 n’a été confronté
à aucun missile AC moderne, attaquant par le haut comme le Javelin, ou le Tow
2B.
Les forces en
présence sur le théâtre syrien ont été rejointes en octobre 2019, par des
éléments blindés mécanisés américains. Ce détachement composé d’éléments du
4ème Bataillon de la Garde Nationale, du 118ème Régiment
d’Infanterie, du 30ème détachement blindé, renforcé d’éléments de
soutien et d’appui. Ces unités équipées de Bradley et M1 ont été déployées
depuis le Koweït.
En dépit de son caractère asymétrique, le théâtre
syrien met en présence un nombre important de moyens blindés, dont les
évolutions techniques ne peuvent masquer le manque d’entrainement des équipages
et des chefs tactiques.
Depuis 2017, le théâtre d’opérations syrien se
caractérise par une diversification des moyens turcs en lieu et place des seuls
Léopards, et la poursuite de l'engagement des T-90. Utilisés dans des
terrains ouverts permettant des engagements à moyenne ou longue distance, ou en
zones bâties pour amener choc et puissance, les chars sont les outils
polyvalents et efficaces de ce conflit asymétrique. Ils ont dû faire face à de
nombreux moyens antichars, parfois guidés et employés à des distances
variables. Le nombre de ces systèmes (postes et munitions) en service favorise
leur prolifération et leur emploi sur tous les théâtres asymétriques.
Aujourd'hui le théâtre syrien reste très évolutif et
versatile ; Aujourd'hui le théâtre syrien reste très évolutif et versatile ;
les dernières opérations ont été marquées par une confrontation indirecte
(artillerie) entre l'armée turque et l'armée syrienne. Une confrontation
directe ne manquerait pas d'impliquer des chars joueraient certainement un rôle
majeur dans un conflit qui ne serait alors plus asymétrique.
[1] Anniversaire de la victoire des troupes ottomanes
sur les alliés à Gallipoli en 1915.
[2] https://youtu.be/84Xg87AY2po
[3] https://youtu.be/amWQDuKMaKg
[4] https://youtu.be/aWR9aOOfhCc
[5] 5e, 20e et 172e Brigades
Blindées ; 28e, 39e, 16e et 70e
Brigades d’infanterie mécanisée
[6] Les Forces démocratiques syriennes, abrégé FDS en
français, sont une coalition militaire formée le 10 octobre 2015 pendant la
guerre civile syrienne. Active dans le nord de la Syrie, les FDS visent surtout
à chasser l'État islamique de la zone.
[7] Pour mémoire les poids des différentes versions du
Leclerc sont : 54,5 tonnes pour la série 1 ; 56,3 tonnes pour la
série 2 de 57,7 tonnes pour le Leclerc série XXI. Le Leclerc EAU pesant quant à
lui 57 tonnes.
[8]
https://southfront.org/syrian-government-disbands-desert-hawks-brigade-reports/
[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Timber_Sycamore