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jeudi 30 avril 2020

UNE RENOVATION INCERTAINE

Si Blablachars se fait régulièrement l'écho de la mise en service de chars nouveaux dans différentes armées, c'est la modernisation d'un char aux caractéristiques atypiques et à l'avenir incertain qui est l'objet des lignes qui suivent. Le Challenger 2 en service depuis plus de trente ans a vu son programme de modernisation retardé à plusieurs reprises, alors que le nombre d'engins concernés par l'opération n'a cessé de diminuer depuis le début du programme en 2013. Aujourd'hui l'avenir de ce char passe par la mise en œuvre de ce projet de modernisation.

Un engin atypique 
Le Challenger 2 (CR2) mis en service à partir de 1998 est une refonte quasi complète de son prédécesseur le Challenger 1 qui équipait le Royal Armoured Corps depuis 1983. Celui-ci ayant été lui-même développé à partir du Chieftain pour répondre à une demande iranienne. Ce projet ne vit jamais le jour pour cause de révolution iranienne et le Challenger fut mis en service dans l'arme de sa très Grâcieuse Majesté. Comme ses prédécesseurs, le Challenger 2 est un char lourd avec un poids initial de 62,5 tonnes en ordre de combat, porté à 65 tonnes avec le kit de surblindage Dorchester Level 2 E (DL2E) pour culminer à 74,84 tonnes en configuration Theater Entry Standard(TES). L'absence d'évolution du moteur Perkins délivrant 1200 cv a contribué à faire du Challenger 2 un des chars les moins mobiles de sa génération, avec un rapport poids puissance variant entre 19,20 cv/t pour la version de base et 16,03 cv/t pour la version la plus lourde. Le CR2 est équipé d'un canon rayé de 120mm L30 A1 de 55 calibres fabriqué par Royal Ordnance. Ce canon est alimenté par des munitions dont le chargement manuel se fait en trois parties : le projectile, la charge propulsive et l'amorce. Ces deux caractéristiques interdisent au char britannique l'emploi de toute munition au standard OTAN. Les spécificités énoncées combinées à l'absence de toute remise  à niveau depuis la mise en service, menaçait le Challenger 2 de déclassement par rapport à ses équivalents russes et occidentaux, en dépit de bonnes performances lors de ses engagements opérationnels, notamment en Irak en 2003. 

Challenger TES en Irak
Une revalorisation nécessaire. 
En 2016, General Dynamics (UK), Lockeed Martin (UK), BAE Systems Global Combat Systems, CMI Defense S.A, RUAG Defence,  RheinMetall  Land System répondent à l'appel d'offres du MOD britannique pour la phase d'évaluation du Challenger2 Life Extension Program (LEP) doté d'un budget initial de 920 millions de £. En décembre de la même année, vainqueurs de cete compétition, RheinMetall et BAE Systems se voient accorder chacun un contrat de 23 millions de £ pour une phase d'évaluation d'une durée de deux ans visant à élaborer un programme de modernisation et proposer une offre pour le  développement, la production et la mise en service du char modifié. En janvier 2019, RheinMetall lance une coentreprise avec son concurrent sur ce programme en rachetant 55% de l'activité véhicules de combat de BAE Systems. La nouvelle joint venture RheinMetall BAE Systems Land Limited (RBSL) basée au Royaume Uni est installée dans le cadre du programme CR2 LEP mais a également pour objectif de faciliter la mise en œuvre de l'accord gouvernemental conclu entre Londres et Berlin pour la fourniture d'un véhicule de combat d'infanterie. La procédure d'appel d'offres initiée en 2015 ayant été annulée moins d'un an après son lancement, Nexter (VBCI), General Dynamics (Piranha 5), ST Kinetics (Terrex 3) et Patria (AMV) sont hors jeu au profit du Boxer choisi dans le cadre d'un accord d'une valeur de 3,36 milliards d'euros prévoyant l’acquisition de 800 véhicules. Évoqué dès le mois de juillet 2018, le contrat portant sur 500 véhicules est finalement signé le 4 novembre 2019 entre l'OCCAR et le Royaume Uni. RBSL se voyant confier l'assemblage, la mise en service et le soutien de la flotte dont les premiers exemplaires doivent être livrés fin 2022. Un total de 1500 engins a été un temps évoqué pour l'équipement des Strike Brigades britanniques de Boxer déclinés dans de nombreuses versions. 

Pour le Challenger 2, c'est à l'occasion de DSEI 2019 que RBSL présente un démonstrateur technologique comprenant une nouvelle tourelle armée du canon lisse L55 de 120mm, de nouveaux viseurs stabilisés pour le chef et le tireur, une conduite de tir numérisée ainsi qu'une motorisation de tourelle électrique. Ainsi équipé le CR2 peut tirer toute la gamme de munitions OTAN et les munitions RheinMetall DM63A1 APFSDS et DM11 de type Air Burst programmable.


Démonstrateur RBSL
Début 2019 le MOD indiquait vouloir reporter la décision de lancement du programme au début de l'année 2021, afin de permettre l'étude de la modernisation et du traitement des obsolescences. Pour ce faire l'attribution à RBSL d'un second contrat d'évaluation devait permettre la signature du contrat de production mi 2021. Aujourd'hui le programme LEP, qui porte sur la modernisation de 148 chars est suspendu à une décision  d'investissement prévue à la fin de cette année ou au début de l'année prochaine.  
 
Une rénovation discutée
Avant la survenue de la pandémie de CoViD19, le programme de modernisation et de traitement des obsolescences du Challenger 2 visant à le maintenir à niveau jusqu'à 2035 était déjà quelque peu malmené. Les étapes qui ont conduit à la situation actuelle sont jalonnées de réductions régulières du nombre  de chars en service : 407 reçus en 1998, puis 306 en 2010, passant à 254 en 2012 après le retrait des troupes britanniques d'Irak pour s'établir à  277 en 2015, qui est le nombre actuellement en service. Le plan Armée 2020, annoncé après la Revue Stratégique de 2015 envisage de ne conserver que deux régiments de chars. Cette décision entrainant une baisse logique du nombre de chars susceptibles d'être modernisés, soit 148 au lieu des 227 initialement prévus. Dans le même temps cette revue fixait comme objectif la projection d'une division comprenant entre autres, deux régiments à 56 chars, soit 112 chars déployables. Aux yeux de nombreux observateurs, les 148 chars modernisés ne suffiraient pas à atteindre cet objectif et ne permettraient même pas le remplacement éventuel de chars détruits ou endommagés. La projection de chars dans le cadre d'une opération en Europe centrale devient alors quasiment impossible pour l'armée britannique. La stratégie d'emploi des unités blindées est donc remise en question tout comme l'utilité du char.
De façon logique, l'étape suivante consiste à s'interroger sur la pertinence de conduire un programme de modernisation pour des chars dont l'emploi devient de plus en plus hypothétique, pour des raisons de nombre mais aussi de moyens de projection. Les délais de déploiement de chars lourds seraient incompatibles avec la rapidité de réaction requise dans les crises modernes. Dans ces conditions, l'efficacité des chars ne pourrait reposer que sur leur prépositionnement à proximité du théâtre des opérations à l'instar de la British Army On the Rhine (BAOR), forces britanniques stationnées en Allemagne pendant la Guerre Froide et qui comptaient alors plus de 1000 chars.
Ces questions relatives à l'utilité du char et surtout à l'utilité de 148 chars sont alimentées par un contexte budgétaire difficile, que la pandémie de CoViD 19 a sans doute fragilisé.
Sous le titre évocateur :" Tanks or indirect fires ? If we can't afford both, which should we choose ?" un article publié sur le site UK Land Power pose la question de l'emploi d'une ressource financière comptée qui pourrait être affectée à d'autres domaines. Se faisant écho d'une étude menée par le Royal United Services Institute (RUSI) intitulée " The Future of Fires : Maximising the UK’s Tactical and Operational Firepower " les auteurs semblent vouloir donner la priorité budgétaire à la reconstruction de la fonction feux dans la profondeur. Aujourd'hui cette fonction est assurée par deux régiments AS90 comptant chacun 24 pièces de 155mm et une batterie de 6 à 8 LRM de type M270. Pour améliorer cette situation, l'adoption de la munition Strix de 120mm à guidage IR et de l'obus Bonus de 155mm est préconisée. En termes d'équipement le système ARCHER de BAE Systems, équivalent suédois du César ou le canon de 155mm sur châssis Boxer, le RCH 155 de KMW sont évoqués. Les Strike Brigades pourraient bénéficier de l'appui du système High Mobility Artillery Rocket System (HIMARS), un LRM sur châssis à roues produit par Lockeed Martin, capable de tirer la roquette M31 dont la portée varie entre 70 et 150km selon les versions. Enfin toujours au sein des Strike Brigades, l'intégration de mortiers de 120mm sur châssis Boxer est également envisagée. Ce bref énoncé des pistes d'améliorations des capacités sol/sol de l'artillerie britannique montre l'étendue de ce chantier et aussi sa nécessité. 
Le programme de modernisation du Challenger 2 doit lui permettre de rester en service jusqu'en 2035. Dans la dernière livraison de la British Army Review (BAR 177 Winter Spring 2020 pages 30-37) l'armée britannique présente le concept de forces (Terre) 2035, nouvelle façon de combattre de l'armée britannique selon ses auteurs, à savoir la " Army’s Concepts Branch ". La place tenue par le char de bataille dans ce modèle de forces est résumé en quatre lignes, expliquant que les missiles AC peuvent compenser les capacités des chars actuels par un emploi combiné de plus petits véhicules obtenant des résultats comparables à ceux des chars actuels, avec des couts réduits, une mobilité stratégique et tactique améliorée et une fiabilité accrue.
Enfin, le Challenger 2 dans son long chemin vers la modernisation doit maintenant franchir l'obstacle représenté par le CoViD19 dont on commence a percevoir les effets sur les budgets de défense. 
Les travaux du Ministère de la Défense britannique dans le domaine prennent en compte deux hypothèses illustrées dans le graphique ci-dessus. Il est évident que quelque soit le scénario retenu, le budget de la Défense risque de subir une baisse conséquente. Il est à craindre que tous les débats sur l'(in)utilité du char dans la stratégie britannique ne trouvent une traduction budgétaire dans les mois qui viennent. 

Quelles solutions ?
Face à toutes ces incertitudes, il existe des solutions plus ou moins satisfaisantes qui pourraient permettre de préserver l'essentiel si le programme initial était annulé.
L'adoption du canon L55 lisse à l'exclusion de toute autre modification non imposée par le changement d'artillerie pourrait constituer une modernisation de la fonction feu à un cout maitrisé et avec des conséquences importantes en termes d'interopérabilité. 
L'adoption d'un système de protection active développé par BAE Systems dans le cadre du programme Medusa. Le système Soft Kill associe des détecteurs missiles et lasers à des brouilleurs electro-optiques. La mise en place d'un tel système rendrait le char (déjà très bien protégé) à un déploiement sur des théâtres de crise sur lesquels les missiles AC représentent une menace majeure.
Challenger 2 Medusa
Le cout du programme estimé à 1,5 milliard de £ ( environ 1.7 milliard d'€) a même poussé certains à proposer le rachat des M1 américains du Corps des Marines engagé dans la réduction de son parc blindé. 
La dernière solution a été présentée en janvier par le Royal Armoured Corps sous la forme d'un Challenger baptisé StreetFighter. Cette version du char intègre le système "Iron Vision". Développé par le groupe israélien Elbit ce système permet à l'équipage d'obtenir une vision à 360° de la situation autour du char grâce à un réseau de caméras et capteurs dont les images s'affichent sur le casque du chef de char et peuvent  partagées avec d'autres chars ou engins équipés. L'intégration d'un lanceur Brimstone permet d'augmenter la puissance de feu de l'engin. Cependant, laversion 3 du missile permettant le tir depuis une plateforme terrestre n'a été testée qu'en janvier 2019 en Suède par MBDA, concepteur de ce missile en service au sein de la RAF depuis 2005. La mise en service opérationnel de ce missile sur le Challenger 2 n'est pour le moment pas actée ni immédiate. Le Streetfighter 2 comprend un certain nombre d'autres améliorations centrées sur l'intégration du char dans le combat urbain comme une lame dozer, un nouveau système de liaison avec les fantassins, une caméra en bout de tube pour avoir une vision "déportée" permettant d'alerter les fantassins de l'imminence d'une menace. Le système Iron Vision et le missile Brimstone représentent des voies d'améliorations des capacités du char ne nécessitant pas ou peu de modifications lourdes de l'architecture. Peut on penser que le Streetfighter 2 puisse être le démonstrateur d'un Challenger 2 non rénové mais doté de nouvelles aptitudes ?
Challenger Streetfighter 2

Depuis sa mise en service en  1998, le Challenger 2 n'a connu aucune rénovation à l'exception de la version TES pour l'opération Telic en Irak. Dans le même temps, le Leopard a été décliné en trois versions tout comme le M1 Abrams, tandis qu'en Russie, le T-90MS dévoilé en 2011 est la troisième déclinaison du T-90 A apparu en 1999.
Les mois qui viennent seront décisifs pour le Challenger 2, seul char européen à avior été engagé dans une opération offensive depuis sa mise en service. Il serait paradoxal et dommageable que ce char ne soit pas modernisé et se retrouve de facto déclassé. Les circonstances actuelles fragilisent ce programme et on ne peut s'empêcher de penser à l'avenir du Leclerc et à sa rénovation. A la différence du Challenger 2 cette opération est inscrite dans une opération d'armement plus vaste, le programme Scorpion. Cela sera-t-il suffisant au moment des futurs arbitrages budgétaires ? 


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