Alors que
le développement du projet Main Ground Combat System ou MGCS franchit un à un
les obstacles vers ses objectifs, il semble acquis en dépit de ces difficultés
que le successeur du Leclerc sera un produit issu d'une coopération
franco-allemande ! Un article écrit en 2017 qui reste d'actualité, puisque le
MGCS sera un produit franco-allemand !
Je vous
livre aujourd'hui la première partie de mes réflexions sur le sujet dans la
première partie d'un article écrit en 2017.
LE LECLERC,
DERNIER CHAR FRANÇAIS ?
Dans un dernier article consacré à l’édition 2017 du
salon IDEX[1],
nous avions relevé le peu de chars présents dans les allées de ce salon. Les
exemplaires présentés se limitant à quatre engins, en réalité trois car le
Léopard 2 allemand était présenté à la fois par KMW et par Rheinmetall !
Cette double présentation par un même pays avait de quoi laisser rêveur surtout
quand le pays en question est celui dans lequel notre industrie d’armement
terrestre risque d'être dissoute, comme l’a été une partie de notre
industrie aéronautique.
Le char Leclerc, était présenté sous la bannière
de Nexter, aujourd’hui marié à KMW, auréolé de ses excellentes performances au
combat dans les opérations menées au Yémen par les forces émiraties. Succès
dont ne peuvent se prévaloir les Léopards 2 utilisés par la Turquie en Syrie[2].
Pourtant, ce dernier figure encore au catalogue de son constructeur, alors que
le Leclerc présenté, ne l’était qu’en guise de support aux différentes
améliorations proposées par Nexter dans le cadre du programme de revalorisation
du char.
Par une conjonction de facteurs et une absence
de volonté politique, l’industrie d’armement terrestre française, qui continue
de courir après un contrat majeur, n’offre plus aucun véhicule de combat
blindé. La prééminence de la roue dans les choix de nos états major a condamné
nos industriels à miser sur une hypothétique coopération européenne pour le
remplacement du Leclerc.
L’histoire récente des chars lourds et de leur
utilisation par notre pays permet de comprendre les facteurs de succès des
chars français. La révolution amenée par le Leclerc a placé la France et son
industrie de défense dans une situation paradoxale, en adoptant le meilleur
char du monde tout en étant incapable de capitaliser sur les performances et
les développements du char pour obtenir les débouchés commerciaux espérés,
entrainant de facto l’arrêt d’une filière industrielle d’excellence. Enfin
l’avenir que beaucoup déclinent autour d’une collaboration franco-allemande est
certainement moins prometteur pour un pays qui a délibérément renoncé depuis
plus d’une décennie à toute présence sur le marché mondial dans le domaine des
chars lourds.
1/ UNE HISTOIRE RICHE EN RÉUSSITES
Sans remonter au premier engagement de chars français
au cours de la Première Guerre Mondiale, dont nous allons fêter le centenaire
le 16 avril, un éclairage sur les chars français au cours des trente dernières
années fait apparaitre des réussites techniques et commerciales. Dans les
années 80, la défense de la France se joue sur ses frontières orientales face à
un Pacte de Varsovie omnipuissant et dont chacun redoute une action sur
l’Europe occidentale. Les forces de manœuvre de l’armée de terre sont
regroupées au sein de la 1ère armée qui compte trois corps d'armées, trois
brigades logistiques et dix divisions dont deux sont issues des écoles. Les
1274 chars alignés en 1989 par l’armée de terre se répartissent de la façon
suivante : 484 AMX 30 B², 774 AMX 30 et 16 AMX 13/90[3]. Il convient de
s’arrêter sur la réussite industrielle que représentent ces blindés.
L’AMX13.
Sans nous attarder sur cet engin, il faut rappeler que
l’AMX 13 a donné naissance à une famille de blindés comprenant un grand nombre
de versions. Au sein de la Cavalerie, le char AMX13 a connu différents canons
de 75 à 105mm associés sur certaines versions à des missiles antichars. La
composition d’une division blindée française de cette époque permet de
constater qu’à l’exception des unités logistiques tous les régiments
étaient équipés d’au moins une version de l’AMX13 ! Si aujourd’hui certains
pensent avoir inventé le concept de modularité, ils peuvent constater qu’il
date des années 50 !
Outre cette variété, le char AMX 13 mettait en œuvre
des solutions techniques innovantes, telles que la tourelle oscillante ou
encore l’alimentation du canon par un système original de barillets rotatifs
d'une capacité de six obus chacun, et déjà un équipage réduit à deux hommes en
tourelle. Le succès de cet engin à l’exportation souligne ses qualités et sa
grande modularité ; il a été adopté par plus de vingt-cinq pays et produit
à plus de 7500 exemplaires. Son successeur, techniquement moins audacieux
connaitra cependant un beau succès à l’export.
Le char AMX 30.
Initialement produit par les Ateliers d’Issy Les
Moulineaux et d’un poids de trente tonnes, ce char représente à la fin des
années 80 la majeure partie du parc de chars de l’armée française. Au-delà
de ses performances, l’AMX30, dans ses différentes versions a eu une vie
industrielle dense. Il est né sur les cendres d’un programme franco-allemand
dont le sort fut scellé en juillet 1963 par le comité de défense du Bundestag
allemand. Ce dernier, en réponse à la décision de Général de Gaulle de retirer
la France de l’organisation militaire de l’OTAN, décida d’équiper la Bundeswehr
d’un char de production purement nationale. Le Léopard 1 est présenté en
octobre 1963. D’ultimes tentatives ont lieu pour sauver le programme, avec
l’idée d’une tourelle française sur un châssis allemand ; ces essais
échouent devant le refus allemand d'adopter le canon de 105 mm
franco-allemand, au lieu du canon Royal Ordnance L7, dont ils avaient déjà
commandé 1 500 exemplaires dès l'automne 1962. Le gouvernement
français répond dès juillet 1963 en décidant à son tour de produire un char
national, l’AMX30B qui commence à équiper l’armée française en 1966. Il est
produit par l’Arsenal de Roanne dans ce qui deviendra en 1971 le GIAT
(Groupement Industriel des Armements Terrestres). Cet atelier produit des
véhicules neufs depuis 1952, produisant auparavant des obus d’artillerie depuis
sa création durant la première Guerre Mondiale. L’AMX30 est un mécano
industriel impliquant les sites de Roanne pour l’assemblage final, Limoges pour
le Groupe Moto Propulseur (GMP), Tarbes pour la tourelle, Bourges pour le
canon, Puteaux pour les optiques et Saint Etienne pour la mitrailleuse et le
tourelleau. Cette architecture industrielle et sa naissance chaotique
n’empêchent pas ce char doté de bonnes capacités de connaitre un
réel succès à l’exportation. Ainsi dès 1964, les Israéliens réfléchissent
à sa fabrication sous licence, le projet est abandonné en 1966 au profit de la
production du char britannique Chieftain, moins mobile, mais mieux protégé. Les
refus belges et néerlandais sont compensés par la commande de la Grèce en 1969
de 190 AMX30 et 14 chars de dépannage AMX30D. Un an plus tard l’Espagne achète
10 exemplaires et opte pour la fabrication de 180 autres par l’usine espagnole
d’Empresa Nacional Santa Barbara à Séville, devenu depuis General Dynamics
European Land Systems. Dix ans plus tard un second lot de 100 chars entre en
production dans cette usine portant le total de chars AMX30 utilisés par
l’armée espagnole à 299 sous la dénomination AMX30E. Ils resteront en service
jusqu’au début des années 90. C’est du Golfe arabo persique que vient la
troisième commande pour l’AMX30 avec la signature en 1972 du contrat
« Palmier » portant sur 190 chars AMX30 adaptés à l’environnement
désertique. Les livraisons de ces engins s’étalent entre 1973 et 1979. De
nombreuses versions dérivées sont livrées au royaume wahhabite, dont les
Shahine, version export du missile sol air Crotale, des automoteurs de 155mm
ainsi que des chars de dépannage. Ces contrats sont appuyés par plus de deux
mille conseillers français présents pour la formation des équipages au sein de
l’école des blindés située au nord-ouest du pays dans la ville de Tabūk. Tout
ceci n’empêche pas les Saoudiens de décider la mise sous cocon (stockage de
longue durée) de 50% de ces chars, l'AMX-30 n’ayant plus les capacités pour
affronter des chars plus modernes comme les T-62 et T-72 irakiens ou les
Merkava israéliens. En 2015, certains de ces chars auraient été déployés par
les gardes-frontières saoudiens. Le Qatar et les Emirats Arabes Unis achètent
respectivement 30 et 64 exemplaires du char en 1977. Le Qatar en achètera
24 autres en 1987, portant le nombre total de chars AMX30 en service dans ses
forces à 54. Une commande initiale de 142 chars est passée à la France par
le Venezuela, est réduite à 82 exemplaires par la suite. La commande chypriote
en 1982 de 16 puis 36 AMX30B² est la dernière concernant des AMX30B ou B²
neufs, les exemplaires cédés à la Bosnie Herzégovine le seront par les Emirats
Arabes Unis.
Basée sur une commande initiale de 300 chars pour
l’armée française l’AMX30 est donc un succès à l’exportation. Il a bénéficié
pour cela de plusieurs facteurs :
- La réputation justifiée d’être un matériel
offrant de bonnes performances pour un cout d’entretien et de possession
moindre que celui du Léopard 1 allemand. Ceci le rendant plus attractif pour
des pays aux ressources budgétaires comptées, même si les commandes des États
du GCC peuvent contredire ce point.
- Une adoption en grand nombre par l’armée
française ; ce label suffisant à l’époque incitait de nombreux pays à
acquérir les matériels équipant nos forces. C’est avant l’heure la traduction
du label actuel « combat proven » aujourd’hui mis en exergue par de
nombreux fabricants. Les 1270 exemplaires d’AMX30 en service dans l’armée de
terre seront en outre améliorés par la mise en œuvre de programmes de
revalorisation, tels que le standard AMX30B² et plus tard l’AMX30B² Brennus.
L’AMX30 ne sera engagé qu’en 1991 au sein de l’opération Daguet dans le cadre
de la coalition visant à libérer le Koweït. Une autre tentative d’engagement
aura lieu en 1995 avec la constitution d’un BATCHARS devant agir au sein de la
Force de Réaction Rapide décidée en 1995 par le Président de la République en
réponse aux événements de Verbanja. Ces 28 chars stationneront à Canjuers avant
que la décision de ne pas les engager ne soit prise à la fin de l’été de la
même année.
- Enfin et sur un plan plus politique, le char AMX30 a
également bénéficié de circonstances favorables. Les commandes grecques et
espagnoles ont été honorées par la France et son industrie en dépit du
caractère peu « fréquentable » des gouvernements alors en place dans
ces pays. En effet, c’est la junte des colonels qui passe commande pour la
Grèce et c’est l’Espagne de Franco qui prend livraison des AMX30E. Les ventes
d’armement sont représentatives de la diplomatie notre pays. Bien que demeurant
solidaire de ses alliés, la France reste maîtresse de ses choix diplomatiques,
affichant un certain pragmatisme dans la conduite de ses affaires
internationales, elle constitue une voie fiable et attrayante pour de nombreux
pays, qui n’hésitent pas à lui confier l'équipement de leurs forces. En presque
trente années de production ce sont plus de 3500 AMX de différentes versions
qui auront été construits, pour l’armée française mais aussi pour plus de dix
pays clients. Avec des caractéristiques et des performances homogènes associées
à une production dans la durée, et un environnement politique favorable,
l’AMX30 a représenté un succès industriel et commercial certain. Le Leclerc qui
lui a succédé présente des caractéristiques diamétralement opposées, avec des
performances inédites et un maigre succès à l’exportation.
Le Leclerc.
Au début des années 90, la France se dote d’un char révolutionnaire dont le nom évoque à lui seul toute la puissance et l’audace de la Cavalerie Française. Un arrêt sur les performances de ce char permet de souligner son caractère innovant, le consacrant comme premier char de troisième génération.
Au début des années 90, la France se dote d’un char révolutionnaire dont le nom évoque à lui seul toute la puissance et l’audace de la Cavalerie Française. Un arrêt sur les performances de ce char permet de souligner son caractère innovant, le consacrant comme premier char de troisième génération.
- La mobilité : Avec un rapport de 28cv/t, le
char Leclerc utilise un groupe motopropulseur inédit. A la différence du M1
américain qui utilise une turbine comme seul moyen de propulsion, le Leclerc
combine un équipement de ce type à un moteur « classique ». La
turbine apportant à ce moteur un volume d’air constant, indépendant du régime
de rotation à la différence d’un turbo classique. Ce principe de
suralimentation est dit hyperbare. Le char dispose de sa puissance de 1500cv
dès les plus bas régimes moteurs avec des capacités d’accélération de 0 à
32km/h en 5,5s. De telles accélérations, inédites sur un char de combat,
permettent de réagir de façon quasi instantanée à une menace ou une prise à
partie. Cette turbine sert également de génératrice auxiliaire permettant
l’utilisation de certains équipements de bord sans apport du moteur
diesel. Toujours au chapitre de la mobilité, le Leclerc a abandonné les
barres de torsion pour des amortisseurs oléopneumatiques à raison d’un ensemble
amortisseur par galet de roulement. Outre le confort de l’équipage, cette
solution participe directement à la stabilisation de la tourelle et à la
puissance de feu.
- La puissance de feu : L’armement principal du
char est un canon de 120mm à âme lisse de 52 calibres, asservi à deux viseurs
indépendants et pilotés par une conduite de tir numérisée autorisant le tir en
mouvement sur tous les types d’objectifs de jour comme de nuit. Le tir en
marche autorisé par les systèmes du char pourrait être comparé à celui d’un
archer à cheval voulant tirer sur une cible se dévoilant ; il doit pour
cela prendre en compte tous les paramètres dynamiques liés aux évolutions de sa
monture, de lui-même et de son arme pour décocher sa flèche et atteindre sa
cible alors que le tireur et la cible sont en mouvement. Cette complexité est
celle qui est prise en compte par la conduite de tir du char pour élaborer une
solution de tir dans toutes les conditions de déplacement du char et de
l'objectif. A l’inverse les chars qui tirent en roulant peuvent être comparés à
un chasseur à pied progressant sur une piste avec son fusil ; l’atteinte
d’une cible se dévoilant va simplement exiger qu’il monte son fusil en position
de tir, en ayant pris soin de ralentir sa progression ou au moins de la rendre
régulière. Ces deux images illustrent le fossé qui sépare le Leclerc de ses
concurrents en matière de tir. Fossé encore creusé par l’adoption d’un système
de chargement automatique autorisant le tir de six obus en moins d’une minute
dans toutes les configurations. A l’arrivée du Leclerc, seuls les chars russes
étaient équipés d’un système similaire mais de conception différente. Aucune
autre armée n’a fait un tel choix, dont les conséquences sont visibles en
matière de puissance de feu mais aussi en termes de silhouette et de compacité
de la tourelle. La critique la plus fréquente de ce système porte souvent sur
les effets de la réduction de l’équipage pouvant hypothéquer la capacité à
durer d’un équipage réduit à trois membres. Aujourd’hui le développement des
tourelles téléopérées permet d’envisager des équipages de tourelle réduit à un
personnel sans que personne ne soulève la moindre objection sur sa capacité à
durer ! Enfin l’apport majeur de ce système réside dans son étanchéité
totale face aux agressions de type missile AC telle que celle qui aurait
été subie par un Leclerc émirien au Yémen[4].
- La protection : Jusqu’à présent dépourvu de
tout système de protection active, le Leclerc base sa protection sur une
silhouette compacte associée à une très grande mobilité. Ces qualités lui
confèrent des capacités de réaction inégalées face à des menaces inopinées. En
matière de soft kill, le Leclerc est équipé d’un système de fumigènes large
bande permettant de brouiller certains systèmes de guidage des missiles
antichars. Enfin le blindage du char lui offre une bonne protection face aux
menaces connues ; il serait hasardeux de se livrer à des commentaires sur
la qualité et les performances de ce blindage, les données étant bien sûr
classifiées, les propos tenus ne seraient que rumeurs. Il est en revanche
acquis que le Leclerc manquait de protection spécifique pour les menaces liées
à un emploi en zone urbaine, lacune à laquelle le kit AZUR a remédié.
Ce bref aperçu des capacités du char montre
l’importance de la rupture technologique introduite par la mise en service du
Leclerc ; certains de ses concurrents tentent encore de combler le retard
par une surenchère d’équipements et d’améliorations sacrifiant poids et
mobilité à la protection et la puissance de feu.
La deuxième moitié du vingtième siècle a donc vu
la mise en service de chars français dans nos armées et dans de nombreuses
forces étrangères. Les besoins des armées, associés à des marchés export
nombreux ont permis d’entretenir dans la durée un outil de production de haute
valeur. La mise en service du Leclerc a modifié la donne, les raisons de ces
changements sont multiples.
..../.....
[1] https://www.linkedin.com/pulse/les-tourelles-de-moyen-calibre-idex-2017-yann-boivin
[2]
https://www.linkedin.com/pulse/lengagement-des-chars-en-syrie-et-au-y%C3%A9men-un-bilan-demi-yann-boivin
[3] Entre réalité et prospective
: L'armée de terre française en janvier 1989 David DELPORTE
[4]https://www.linkedin.com/pulse/lengagement-des-chars-en-syrie-et-au-y%C3%A9men-un-bilan-demi-yann-boivin