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jeudi 30 janvier 2020

LE LECLERC, DERNIER CHAR FRANÇAIS ? 1ère Partie.

Alors que le développement du projet Main Ground Combat System ou MGCS franchit un à un les obstacles vers ses objectifs, il semble acquis en dépit de ces difficultés que le successeur du Leclerc sera un produit issu d'une coopération franco-allemande ! Un article écrit en 2017 qui reste d'actualité, puisque le MGCS sera un produit franco-allemand !
Je vous livre aujourd'hui la première partie de mes réflexions sur le sujet dans la première partie d'un article écrit en 2017.





LE LECLERC, DERNIER CHAR FRANÇAIS ? 

Dans un dernier article consacré à l’édition 2017 du salon IDEX[1], nous avions relevé le peu de chars présents dans les allées de ce salon. Les exemplaires présentés se limitant à quatre engins, en réalité trois car le Léopard 2 allemand était présenté à la fois par KMW et par Rheinmetall ! Cette double présentation par un même pays avait de quoi laisser rêveur surtout quand le pays en question est celui dans lequel notre industrie d’armement terrestre risque d'être dissoute, comme l’a été une partie de notre industrie aéronautique. 
Le char Leclerc, était présenté sous la bannière de Nexter, aujourd’hui marié à KMW, auréolé de ses excellentes performances au combat dans les opérations menées au Yémen par les forces émiraties. Succès dont ne peuvent se prévaloir les Léopards 2 utilisés par la Turquie en Syrie[2]. Pourtant, ce dernier figure encore au catalogue de son constructeur, alors que le Leclerc présenté, ne l’était qu’en guise de support aux différentes améliorations proposées par Nexter dans le cadre du programme de revalorisation du char.
 Par une conjonction de facteurs et une absence de volonté politique, l’industrie d’armement terrestre française, qui continue de courir après un contrat majeur, n’offre plus aucun véhicule de combat blindé. La prééminence de la roue dans les choix de nos états major a condamné nos industriels à miser sur une hypothétique coopération européenne pour le remplacement du Leclerc.
L’histoire récente des chars lourds et de leur utilisation par notre pays permet de comprendre les facteurs de succès des chars français. La révolution amenée par le Leclerc a placé la France et son industrie de défense dans une situation paradoxale, en adoptant le meilleur char du monde tout en étant incapable de capitaliser sur les performances et les développements du char pour obtenir les débouchés commerciaux espérés, entrainant de facto l’arrêt d’une filière industrielle d’excellence. Enfin l’avenir que beaucoup déclinent autour d’une collaboration franco-allemande est certainement moins prometteur pour un pays qui a délibérément renoncé depuis plus d’une décennie à toute présence sur le marché mondial dans le domaine des chars lourds.

1/ UNE HISTOIRE RICHE EN RÉUSSITES 
Sans remonter au premier engagement de chars français au cours de la Première Guerre Mondiale, dont nous allons fêter le centenaire le 16 avril, un éclairage sur les chars français au cours des trente dernières années fait apparaitre des réussites techniques et commerciales. Dans les années 80, la défense de la France se joue sur ses frontières orientales face à un Pacte de Varsovie omnipuissant et dont chacun redoute une action sur l’Europe occidentale. Les forces de manœuvre de l’armée de terre sont regroupées au sein de la 1ère armée qui compte trois corps d'armées, trois brigades logistiques et dix divisions dont deux sont issues des écoles. Les 1274 chars alignés en 1989 par l’armée de terre se répartissent de la façon suivante : 484 AMX 30 B², 774 AMX 30 et 16 AMX 13/90[3]. Il convient de s’arrêter sur la réussite industrielle que représentent ces blindés.

L’AMX13.  
Sans nous attarder sur cet engin, il faut rappeler que l’AMX 13 a donné naissance à une famille de blindés comprenant un grand nombre de versions. Au sein de la Cavalerie, le char AMX13 a connu différents canons de 75 à 105mm associés sur certaines versions à des missiles antichars. La composition d’une division blindée française de cette époque permet de constater qu’à l’exception des unités logistiques tous les régiments étaient équipés d’au moins une version de l’AMX13 ! Si aujourd’hui certains pensent avoir inventé le concept de modularité, ils peuvent constater qu’il date des années 50 ! 
Outre cette variété, le char AMX 13 mettait en œuvre des solutions techniques innovantes, telles que la tourelle oscillante ou encore l’alimentation du canon par un système original de barillets rotatifs d'une capacité de six obus chacun, et déjà un équipage réduit à deux hommes en tourelle. Le succès de cet engin à l’exportation souligne ses qualités et sa grande modularité ; il a été adopté par plus de vingt-cinq pays et produit à plus de 7500 exemplaires. Son successeur, techniquement moins audacieux connaitra cependant un beau succès à l’export.

Le char AMX 30



Initialement produit par les Ateliers d’Issy Les Moulineaux et d’un poids de trente tonnes, ce char représente à la fin des années 80 la majeure partie du parc de chars de l’armée française. Au-delà de ses performances, l’AMX30, dans ses différentes versions a eu une vie industrielle dense. Il est né sur les cendres d’un programme franco-allemand dont le sort fut scellé en juillet 1963 par le comité de défense du Bundestag allemand. Ce dernier, en réponse à la décision de Général de Gaulle de retirer la France de l’organisation militaire de l’OTAN, décida d’équiper la Bundeswehr d’un char de production purement nationale. Le Léopard 1 est présenté en octobre 1963. D’ultimes tentatives ont lieu pour sauver le programme, avec l’idée d’une tourelle française sur un châssis allemand ; ces essais échouent devant le refus allemand d'adopter le canon de 105 mm franco-allemand, au lieu du canon Royal Ordnance L7, dont ils avaient déjà commandé 1 500 exemplaires dès l'automne 1962. Le gouvernement français répond dès juillet 1963 en décidant à son tour de produire un char national, l’AMX30B qui commence à équiper l’armée française en 1966. Il est produit par l’Arsenal de Roanne dans ce qui deviendra en 1971 le GIAT (Groupement Industriel des Armements Terrestres). Cet atelier produit des véhicules neufs depuis 1952, produisant auparavant des obus d’artillerie depuis sa création durant la première Guerre Mondiale. L’AMX30 est un mécano industriel impliquant les sites de Roanne pour l’assemblage final, Limoges pour le Groupe Moto Propulseur (GMP), Tarbes pour la tourelle, Bourges pour le canon, Puteaux pour les optiques et Saint Etienne pour la mitrailleuse et le tourelleau. Cette architecture industrielle et sa naissance chaotique n’empêchent pas ce char doté de bonnes capacités de connaitre un réel succès à l’exportation. Ainsi dès 1964, les Israéliens réfléchissent à sa fabrication sous licence, le projet est abandonné en 1966 au profit de la production du char britannique Chieftain, moins mobile, mais mieux protégé. Les refus belges et néerlandais sont compensés par la commande de la Grèce en 1969 de 190 AMX30 et 14 chars de dépannage AMX30D. Un an plus tard l’Espagne achète 10 exemplaires et opte pour la fabrication de 180 autres par l’usine espagnole d’Empresa Nacional Santa Barbara à Séville, devenu depuis General Dynamics European Land Systems. Dix ans plus tard un second lot de 100 chars entre en production dans cette usine portant le total de chars AMX30 utilisés par l’armée espagnole à 299 sous la dénomination AMX30E. Ils resteront en service jusqu’au début des années 90. C’est du Golfe arabo persique que vient la troisième commande pour l’AMX30 avec la signature en 1972 du contrat « Palmier » portant sur 190 chars AMX30 adaptés à l’environnement désertique. Les livraisons de ces engins s’étalent entre 1973 et 1979. De nombreuses versions dérivées sont livrées au royaume wahhabite, dont les Shahine, version export du missile sol air Crotale, des automoteurs de 155mm ainsi que des chars de dépannage. Ces contrats sont appuyés par plus de deux mille conseillers français présents pour la formation des équipages au sein de l’école des blindés située au nord-ouest du pays dans la ville de Tabūk. Tout ceci n’empêche pas les Saoudiens de décider la mise sous cocon (stockage de longue durée) de 50% de ces chars, l'AMX-30 n’ayant plus les capacités pour affronter des chars plus modernes comme les T-62 et T-72 irakiens ou les Merkava israéliens. En 2015, certains de ces chars auraient été déployés par les gardes-frontières saoudiens. Le Qatar et les Emirats Arabes Unis achètent respectivement 30 et 64 exemplaires du char en 1977. Le Qatar en achètera 24 autres en 1987, portant le nombre total de chars AMX30 en service dans ses forces à 54. Une commande initiale de 142 chars est passée à la France par le Venezuela, est réduite à 82 exemplaires par la suite. La commande chypriote en 1982 de 16 puis 36 AMX30B² est la dernière concernant des AMX30B ou B² neufs, les exemplaires cédés à la Bosnie Herzégovine le seront par les Emirats Arabes Unis.
Basée sur une commande initiale de 300 chars pour l’armée française l’AMX30 est donc un succès à l’exportation. Il a bénéficié pour cela de plusieurs facteurs :
- La réputation justifiée d’être un matériel offrant de bonnes performances pour un cout d’entretien et de possession moindre que celui du Léopard 1 allemand. Ceci le rendant plus attractif pour des pays aux ressources budgétaires comptées, même si les commandes des États du GCC peuvent contredire ce point.
- Une adoption en grand nombre par l’armée française ; ce label suffisant à l’époque incitait de nombreux pays à acquérir les matériels équipant nos forces. C’est avant l’heure la traduction du label actuel « combat proven » aujourd’hui mis en exergue par de nombreux fabricants. Les 1270 exemplaires d’AMX30 en service dans l’armée de terre seront en outre améliorés par la mise en œuvre de programmes de revalorisation, tels que le standard AMX30B² et plus tard l’AMX30B² Brennus. L’AMX30 ne sera engagé qu’en 1991 au sein de l’opération Daguet dans le cadre de la coalition visant à libérer le Koweït. Une autre tentative d’engagement aura lieu en 1995 avec la constitution d’un BATCHARS devant agir au sein de la Force de Réaction Rapide décidée en 1995 par le Président de la République en réponse aux événements de Verbanja. Ces 28 chars stationneront à Canjuers avant que la décision de ne pas les engager ne soit prise à la fin de l’été de la même année.
- Enfin et sur un plan plus politique, le char AMX30 a également bénéficié de circonstances favorables. Les commandes grecques et espagnoles ont été honorées par la France et son industrie en dépit du caractère peu « fréquentable » des gouvernements alors en place dans ces pays. En effet, c’est la junte des colonels qui passe commande pour la Grèce et c’est l’Espagne de Franco qui prend livraison des AMX30E. Les ventes d’armement sont représentatives de la diplomatie notre pays. Bien que demeurant solidaire de ses alliés, la France reste maîtresse de ses choix diplomatiques, affichant un certain pragmatisme dans la conduite de ses affaires internationales, elle constitue une voie fiable et attrayante pour de nombreux pays, qui n’hésitent pas à lui confier l'équipement de leurs forces. En presque trente années de production ce sont plus de 3500 AMX de différentes versions qui auront été construits, pour l’armée française mais aussi pour plus de dix pays clients. Avec des caractéristiques et des performances homogènes associées à une production dans la durée, et un environnement politique favorable, l’AMX30 a représenté un succès industriel et commercial certain. Le Leclerc qui lui a succédé présente des caractéristiques diamétralement opposées, avec des performances inédites et un maigre succès à l’exportation.
Le Leclerc. 
Au début des années 90, la France se dote d’un char révolutionnaire dont le nom évoque à lui seul toute la puissance et l’audace de la Cavalerie Française. Un arrêt sur les performances de ce char permet de souligner son caractère innovant, le consacrant comme premier char de troisième génération.
- La mobilité : Avec un rapport de 28cv/t, le char Leclerc utilise un groupe motopropulseur inédit. A la différence du M1 américain qui utilise une turbine comme seul moyen de propulsion, le Leclerc combine un équipement de ce type à un moteur « classique ». La turbine apportant à ce moteur un volume d’air constant, indépendant du régime de rotation à la différence d’un turbo classique. Ce principe de suralimentation est dit hyperbare. Le char dispose de sa puissance de 1500cv dès les plus bas régimes moteurs avec des capacités d’accélération de 0 à 32km/h en 5,5s. De telles accélérations, inédites sur un char de combat, permettent de réagir de façon quasi instantanée à une menace ou une prise à partie. Cette turbine sert également de génératrice auxiliaire permettant l’utilisation de certains équipements de bord sans apport du moteur diesel. Toujours au chapitre de la mobilité, le Leclerc a abandonné les barres de torsion pour des amortisseurs oléopneumatiques à raison d’un ensemble amortisseur par galet de roulement. Outre le confort de l’équipage, cette solution participe directement à la stabilisation de la tourelle et à la puissance de feu.
- La puissance de feu : L’armement principal du char est un canon de 120mm à âme lisse de 52 calibres, asservi à deux viseurs indépendants et pilotés par une conduite de tir numérisée autorisant le tir en mouvement sur tous les types d’objectifs de jour comme de nuit. Le tir en marche autorisé par les systèmes du char pourrait être comparé à celui d’un archer à cheval voulant tirer sur une cible se dévoilant ; il doit pour cela prendre en compte tous les paramètres dynamiques liés aux évolutions de sa monture, de lui-même et de son arme pour décocher sa flèche et atteindre sa cible alors que le tireur et la cible sont en mouvement. Cette complexité est celle qui est prise en compte par la conduite de tir du char pour élaborer une solution de tir dans toutes les conditions de déplacement du char et de l'objectif. A l’inverse les chars qui tirent en roulant peuvent être comparés à un chasseur à pied progressant sur une piste avec son fusil ; l’atteinte d’une cible se dévoilant va simplement exiger qu’il monte son fusil en position de tir, en ayant pris soin de ralentir sa progression ou au moins de la rendre régulière. Ces deux images illustrent le fossé qui sépare le Leclerc de ses concurrents en matière de tir. Fossé encore creusé par l’adoption d’un système de chargement automatique autorisant le tir de six obus en moins d’une minute dans toutes les configurations. A l’arrivée du Leclerc, seuls les chars russes étaient équipés d’un système similaire mais de conception différente. Aucune autre armée n’a fait un tel choix, dont les conséquences sont visibles en matière de puissance de feu mais aussi en termes de silhouette et de compacité de la tourelle. La critique la plus fréquente de ce système porte souvent sur les effets de la réduction de l’équipage pouvant hypothéquer la capacité à durer d’un équipage réduit à trois membres. Aujourd’hui le développement des tourelles téléopérées permet d’envisager des équipages de tourelle réduit à un personnel sans que personne ne soulève la moindre objection sur sa capacité à durer ! Enfin l’apport majeur de ce système réside dans son étanchéité totale face aux agressions de type missile AC telle que celle qui aurait été subie par un Leclerc émirien au Yémen[4].
- La protection : Jusqu’à présent dépourvu de tout système de protection active, le Leclerc base sa protection sur une silhouette compacte associée à une très grande mobilité. Ces qualités lui confèrent des capacités de réaction inégalées face à des menaces inopinées. En matière de soft kill, le Leclerc est équipé d’un système de fumigènes large bande permettant de brouiller certains systèmes de guidage des missiles antichars. Enfin le blindage du char lui offre une bonne protection face aux menaces connues ; il serait hasardeux de se livrer à des commentaires sur la qualité et les performances de ce blindage, les données étant bien sûr classifiées, les propos tenus ne seraient que rumeurs. Il est en revanche acquis que le Leclerc manquait de protection spécifique pour les menaces liées à un emploi en zone urbaine, lacune à laquelle le kit AZUR a remédié.
Ce bref aperçu des capacités du char montre l’importance de la rupture technologique introduite par la mise en service du Leclerc ; certains de ses concurrents tentent encore de combler le retard par une surenchère d’équipements et d’améliorations sacrifiant poids et mobilité à la protection et la puissance de feu.
 La deuxième moitié du vingtième siècle a donc vu la mise en service de chars français dans nos armées et dans de nombreuses forces étrangères. Les besoins des armées, associés à des marchés export nombreux ont permis d’entretenir dans la durée un outil de production de haute valeur. La mise en service du Leclerc a modifié la donne, les raisons de ces changements sont multiples.
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[1] https://www.linkedin.com/pulse/les-tourelles-de-moyen-calibre-idex-2017-yann-boivin
[2] https://www.linkedin.com/pulse/lengagement-des-chars-en-syrie-et-au-y%C3%A9men-un-bilan-demi-yann-boivin
[3] Entre réalité et prospective :  L'armée de terre française en janvier 1989 David DELPORTE


[4]https://www.linkedin.com/pulse/lengagement-des-chars-en-syrie-et-au-y%C3%A9men-un-bilan-demi-yann-boivin