La deuxième
partie de mon article sur le Leclerc. Après les succès de l'AMX 13 et de l'AMX
30, le Leclerc arrive dans l'armée de terre avant de séduire les Émirats Arabes
Unis.
2/ LE
LECLERC : A CONTRETEMPS DE L’HISTOIRE
En octobre
1990, la chute du mur de Berlin emporte avec elle la guerre froide et inaugure
une ère de multi polarité que certains imaginent radieuse. Les
« dividendes de la paix » doivent être promptement encaissés et les
budgets de défense des pays occidentaux connaissent une décroissance inédite.
La libération du Koweït sous la bannière américaine et le début des opérations
en Ex Yougoslavie ne changent que peu la donne et les leçons de ces engagements
dans le domaine blindé sont assez vite oubliées. Dans ce contexte, la mise en
service d’un char comme le Leclerc, conçu pour affronter les forces du Pacte de
Varsovie apparait à certains comme illusoire voire inutile.
Les débuts.
Pourtant en
janvier 1994, le premier peloton équipé de ce char est confié au 2ème escadron
du 503ème Régiment de Chars de Combat, stationné à Mourmelon et
traditionnellement voué à recevoir les nouveaux matériels blindés de l’armée de
terre. Le char dans sa version T2 n’est pas mature, les solutions techniques
sont en place, mais faute de recul, de nombreuses solutions sont validées de
façon empirique et a posteriori par les services officiels. Avec le recul, on
peut penser que le choix fait par l’armée de terre a été judicieux, les
circonstances du moment menaçaient clairement l’avenir du char, sa mise en
service « hâtive » lui permettant de passer du stade de prototype à
celui de char opérationnel. Outre ces considérations internes, la mise en
service du char dans notre armée permettait de conforter sa position sur des
marchés potentiels à l’exportation. L’avenir a donné raison aux décideurs du
moment, avec le développement du char et la commande des Emirats Arabes Unis
quelques années plus tard. Le concept retenu pour la livraison des chars aux
équipages est lui aussi novateur, avec la création d’un Centre de Formation et
de Perception Leclerc (CFPL) à Carpiagne dans les Bouches du Rhône. Un
embranchement ferroviaire est construit pour amener les chars neufs en
provenance de Roanne jusqu’à ce centre, dans lequel les équipages reçoivent une
formation de base avant de prendre en compte leurs engins et de poursuivre
l’instruction. La proximité du camp de Canjuers dans le Haut Var permet le
déroulement des campagnes de tirs pour les équipages nouvellement formés. Le
tir est en lui-même une révolution avec la prise en compte de la capacité de
tir en mouvement du char et la définition de nouveaux parcours. Le
développement et la mise en service de nouveaux simulateurs reproduisant les
mouvements de la tourelle et du char occupent les centres de formation et
L’École d’Application de l’Arme Blindée Cavalerie à Saumur. Avec ces outils
l’armée de terre découvre une nouvelle génération de simulateurs plus proches
de ceux employés par les aviateurs que ceux utilisés jusqu’à présent.
Parallèlement à cela, le char est présenté à de nombreuses visiteurs tant
étrangers que français et nombreux sont ceux qui repartent impressionnés par ce
qu’ils ont vu même si parfois la technique crée de petites perturbations dans
les scenarii. Ces années d’expérimentation sont marquées par la volonté de
chacun d’aboutir à la Mise en Service Opérationnelle (MSO) du char dans les
meilleurs délais, afin de le rendre définitivement apte à son emploi au sein
des forces.
Des
soutiens mitigés
Cette phase
expérimentale est bien comprise par ses acteurs ; pourtant une petite
musique désagréable commence à se faire entendre dans nos armées ; Celle
d’un char couteux, lourd, mal conçu (?) et finalement inutile. Cette forme de
dénigrement se nourrit des difficultés rencontrées et d’une méconnaissance
totale de l’engin et de ses performances, qui s’affirment chaque jour plus
incroyables et impressionnantes. Parmi les exemples les plus marquants, on peut
relever celui de ce colonel affirmant à un journaliste anglo-saxon que l’armée française
s’est payée un char « inutile et couteux » ; ou celui de
cet officier général affirmant au cours d’une démonstration devant un parterre
d’officiers et de civils, que le Leclerc est « quand même bien cher
pour ce qu’il fait » (sic) ou cet autre officier général émettant des
doutes devant une délégation étrangère sur l’utilité du char pour l’armée
française ! Ce bruit de fond renforce la perception négative du char,
rapidement rendu responsable des malheurs financiers des autres armes, voire des
autres armées. La situation internationale renforce cette idée de char
inutile pour les guerres présentes et futures (on saluera la clairvoyance des
penseurs de l’époque), pouvant être menées par des forces légères, le char
ayant en outre le défaut d’impressionner les populations et d’abîmer les
routes. Les avantages procurés par le blindage, la puissance de feu et les
capacités d’observation du char ne semblent pas être suffisamment évidents pour
être retenus. La MSO prononcée à la fin des années 90 verra l’engagement des
Leclerc au Kosovo dès 1999 puis quelques années plus tard au Sud-Liban à
l’occasion du déploiement de la FINUL II en 2006. Ces engagements importants
pour le char et les équipages resteront cependant limités en volume, en durée
et en emploi, souvent restreint à des activités de patrouilles, d’escorte ou de
surveillance. Ces opérations a minima consacrent le Leclerc dans un rôle de
composition : celui d’une arme de dissuasion dont la simple possession
pourrait suffire à effrayer un adversaire. Les performances du Leclerc méritent
que l’on en fasse un autre usage.
Une
commande unique.
C’est sur
les rives du Golfe arabo-persique que le char trouve son premier (et unique)
client ; l’achat par les Emirats Arabes Unis du Leclerc provoque un regain
d’intérêt pour le char et pour la formation des équipages émiriens [1].
L’exotisme de la destination et d’autres facteurs font oublier à certains leurs
critiques à l’encontre du char, ils sont heureusement rapidement rejoints par
de véritables passionnés et connaisseurs de l’engin. Ce n’est que vingt ans
après que le char connait son premier engagement. En mars 2015 le char est
déployé par les Emirats Arabes Unis au sein de la coalition arabe opérant au
Yémen. Le char donne toute satisfaction à ses utilisateurs par ses
performances, sa compacité, sa qualité de fabrication et sa résistance, tant
aux agressions du champ de bataille que de l’environnement. En service depuis
plus de vingt ans dans les armées françaises et émiriennes, le char Leclerc
reste en outre un formidable moteur de la coopération militaire entre les deux
pays. Les nombreux échanges et missions se poursuivent avec le Club Leclerc [2],
le séjour des officiers stagiaires de L’École de Cavalerie de Saumur, ou la
formation de personnel émirien dans les écoles et centres de formation
français. L’engagement au Kosovo de chars Leclerc émiriens illustre le degré de
coopération atteint entre les deux armées. C’est toute une génération
d’officiers des deux armes blindées qui auront appris à se connaitre et
auront développé des relations étroites entre les deux armées, dont les
résultats sont aujourd’hui encore visibles en termes de confiance, de
coopération et de pratique de la langue française. Un remplaçant européen ou
binational du Leclerc servirait-il les intérêts français d’aussi brillante
manière ?
[1] Action de formation qui s’est achevée en décembre 2016
[2] Réunissant à échéance régulière des membres des
deux armées sur des sujets se rapportant, entre autres, à l’utilisation du char
et à la formation et des équipages