Les chiffres du Maintien en Condition Opérationnelle des matériels de l'armée de terre ont été rendus publics en réponse à une question d'un député. Le tableau disponible sur le site de l'Assemblée Nationale nous montre les variations de disponibilité pour les différents matériels. De nombreux commentaires ayant déjà été formulés suite à la publication de ce document, blablachars limitera ses réflexions aux deux matériels majeurs de la cavalerie Blindée, à savoir l'AMX 10 RC et le Leclerc.
- Le premier engin affiche vaillamment ses 35 printemps avec un parc de 248 véhicules dont 47% sont disponibles soit 116 engins. Depuis son introduction l'AMX 10 RC est passé par de nombreuses revalorisations dont la dernière version l'AMX 10 RCR SEPAR est engagée dans l'opération Barkhane. Ils apportent aux unités engagées toutes les capacités blindées (Cf.post du 20/05) en dépit de performances de plus en plus limitées et de remise en condition de plus en plus longues et couteuses, se traduisant dans les chiffres du MCO.
- Le char Leclerc équipe l'armée de terre depuis 17 ans, la moitié de l'âge de l'AMX 10 RC. 54% des 200 chars Leclerc sont aujourd'hui disponibles soit 108 engins. Il faut rappeler que le char Leclerc est l'engin de combat le plus mobile de l'armée de terre, le mieux protégé, le plus puissamment armé mais aussi le moins engagé avec seulement deux déploiements depuis sa Mise en Service Opérationnelle (MSO) en 1999 alors que l'armée de terre a été déployée de façon quasi ininterrompue dans le même intervalle. Il est vrai que le Leclerc est un engin chenillé, avec tout ce que cela comporte en termes d'inconvénients, notamment logistiques.
En termes financiers, le cout unitaire de MCO d'un char Leclerc en 2019 est de 256.069,00 euros à rapporter aux 259.780,00 euros pour l'AMX 10 RC et aux 368.500,00 euros unitaires des 25 drones tactiques en service depuis 10 ans. On a souvent accusé le Leclerc d'hypothéquer le MCO de l'armée de terre, certain systèmes d'armes n'ont rien à lui envier. Ces chiffres pourraient amener le député de la Haute Marne auteur de la question initiale à demander pourquoi nous n'engageons pas un char qui nous coute moins cher en MCO, affiche une meilleure disponibilité et des performances sans commune mesure avec celles de l'AMX 10 RC ? Ce député, parlementaire depuis 1993, date d'entrée en service du Leclerc pourrait également demander pourquoi avons nous payé 5,7 milliards d'euros (montant défini par l'Assemblée Nationale en 2001) pour posséder un char que nous n'engageons pas pour des raisons assez incompréhensibles en dépit de ses performances ! Ce non engagement opérationnel du char Leclerc a des conséquences sur le niveau de nos équipages, qui ne possèdent aucun retex national sur le sujet, se rabattant sur la littérature étrangère et sur leur expérience de déploiement sur un autre matériel, AMX 1O RC ou VBL. Quelques rares coopérations / opérations multinationales arrivent à peine à masquer la pénurie d'utilisation du char en conditions opérationnelles, tout le séjour d'un escadron tous les quatre mois au sein des Forces Françaises aux Émirats Arabes Unis. Pays qui n'a d'ailleurs pas hésité à engager ses chars Leclerc dans des opérations de contre insurrection. Au fil des ans et pour de nombreuses raisons, le Leclerc est devenu une arme de non emploi, sorte de vecteur de dissuasion blindée qu'il faut posséder mais ne pas utiliser.
Au moment où s'engage le programme MGCS et qu'apparaissent les premiers concepts, ces chiffres de MCO et le faible taux d'emploi du char doivent susciter une réflexion sur la véritable place que nous voulons donner à une future composante blindée chenillée.
Est-il raisonnable d'envisager un programme aussi ambitieux que le MGCS à des seules fins politiques pour en laisser le résultat dans la même logique de non emploi. Le cout de ce programme va-t-il encore susciter les réactions provoqués par le Leclerc ? Sommes nous prêts à payer un MCO dont les couts vont exploser, en dépit des progrès attendus en termes de maintenance prédictive, pour le seul blindé lourd chenillé de notre future armée ? Le Leclerc a résisté à la chute du Mur de Berlin et à la fin de la Guerre Froide au prix d'une réduction drastique de la cible du programme, passant de 1500 chars en début de programme à un peu plus de 200 exemplaires en service aujourd'hui. Le projet MGCS semble dominé par la volonté politique de mener à son terme le programme, dont le sort a été lié à celui d'un autre programme emblématique, le Système de Combat Aérien du Futur SCAF. Ni les besoins, ni les calendriers, ni les priorités ne correspondent confirmant la difficulté de concevoir un char en coopération. Aucun char moderne actuellement en service n'est issu d'un processus de coopération interétatique. Quoiqu'il en soit ce programme est désormais entré dans une phase active dont la conclusion devrait avoir lieu en 2035. Nous avons donc quinze années devant nous pour retrouver le gout de la chenille et du combat blindé dans un environnement interarmes capable de combattre à ses côtés. Il n'est pas utile de développer un MGCS pour combattre au rythme du fantassin, fut-il numérisé, collaboratif et de dernière génération. Les chiffres du MCO soulignent l'incongruité de la position française renonçant à déployer des chars à Barkhane comme nous l'avons déjà évoqué sur blablachars. Cette position est incongrue car en dépit des évidences statistiques et financières, le Leclerc reste cantonnés dans ces camps de Champagne si souvent moqués. Il faut se demander si le programme MGCS ne risque pas de devenir une nouvelle victime collatérale du tropisme "intervention légère" dans lequel l'armée de terre évolue depuis longtemps. Celui-ci a relégué la culture blindée à la guerre froide et à la ligne bleue des Vosges sans que jamais ne soient évoqués les apports du char dans les conflits actuels et futurs, en contre insurrection ou dans la haute intensité dont le CEMAT évoque régulièrement le retour !
De nombreuses armées ont compris que le char demeure pour de longues années encore le maitre du champ de bataille terrestre. La France semble s'être engagée sur une voie quelque peu différente avec une opération d'armement ambitieuse et nécessaire le programme Scorpion, cependant largement centré autour de capacités légères et projetables. La disparition de 22 VBCI des comptes relevée par la Représentation Nationale est certes inquiétante, mais celle de la capacité blindée mécanisée française doit nous interpeller encore plus, au moment où le programme MGCS est entré dans sa première phase.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire