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jeudi 6 août 2020

LE CHAR LEGER : LE CHAINON MANQUANT ?


Cet article intitulé "Pourquoi un char léger" a été publié il y a un peu plus de deux ans sur un réseau professionnel pour souligner l'intérêt porté par de nombreuses armées au développement de blindés de taille modeste aux performances élevées. L'armée américaine menait alors cette évolution avec le programme Mobile Fire Protected. Depuis ce programme s'est poursuivi avec deux compétiteurs sélectionnés alors qu'en parallèle de nouveaux pays s'intéressent désormais à ce concept. Depuis la publication de l'article original, l'Europe et la France sont toujours absentes de ce segment même si certaines sociétés possèdent dans leur catalogue des solutions pour ce type d'engins. Blablachars publie cet article augmenté des mises à jour liées à l'avancée du programme MPF et des efforts des différentes armées. Le char léger longtemps condamné par des limites techniques pourrait retrouver dans les années qui viennent une place importante dans les parcs des armées convaincues de son intérêt, devenant le chainon manquant entre les VCI et les chars lourds. Les chars légers pourraient en outre devenir les premiers engins de combat téléopérés grâce à un gabarit contenu et un armement adapté.

Alors que se déroulait le salon AUSA 2017, les tankistes américains avaient les yeux tournés vers Lima dans l’Ohio où le premier exemplaire du M1 A2 SEP V3 effectuait ses premiers tours de chenille. Cette énième version du M1(la V4 est déjà à l’étude !), base du futur système évolutif permettant d’intégrer toute nouvelle technologie mature que l’armée considérerait d’intérêt opérationnel[1]. C’est en fait une véritable opération de survie pour un char adopté à la fin des années 70, et qui souffre d’un important retard face à ses ennemis potentiels. Cette situation est à relier avec les annonces faites au cours du Salon AUSA concernant la fourniture d’un char léger à l’armée américaine. L’intérêt pour un engin de cette catégorie n’est pas nouveau au sein des forces américaines, la vraie nouveauté réside dans leur volonté de disposer d’un système mature pouvant être mis en service assez rapidement, révélant une véritable urgence. Déjà utilisé dans le passé par de nombreuses forces armées, le char léger permet de disposer d’une puissance de feu et d’une mobilité satisfaisantes visant à compenser un déficit capacitaire majeur, à savoir le vieillissement ou le faible nombre de chars lourds en service.

Longtemps freinés par des limites techniques impactant leurs performances et leur emploi, les chars légers ont favorisé l’adoption d’innovations techniques majeures qui perdurent. Les engins modernes innovent également par l’emploi de nouvelles solutions techniques augmentant leurs performances et leurs possibilités d’emploi.

- L’histoire du concept de char léger a démarré avec l’apparition du char sur le champ de bataille. La recherche de l’encombrement minimal a imposé aux ingénieurs l’adoption de solutions innovantes pour contourner les limitations techniques.

- La compétition américaine remet sur le devant de la scène des engins très aboutis capables de fournir des solutions alternatives viables à l’emploi des chars lourds. Un aperçu des projets existants fait apparaitre une offre limitée pour un marché en plein développement.

- Enfin, si à l’inverse des États-Unis, la France possède un parc de chars lourds récent, la faible quantité de chars en ligne pourrait justifier un intérêt de nos armées pour le concept de char léger. L’industrie de défense française, longtemps pionnière dans ce domaine pourrait saisir cette opportunité pour revenir sur le marché des véhicules de combat blindés chenillés dont elle est absente depuis de longues années.

Afin de clarifier notre propos, nous le limiterons volontairement aux engins chenillés d’un poids quasi équivalent aux projets actuels, se situant aux alentours de vingt-cinq tonnes.

1- LE CONCEPT DE CHAR MOYEN OU LEGER

L’histoire de ce concept remonte à l’apparition de moyens de combat mobiles sur le champ de bataille. Depuis cette apparition, de nombreuses tentatives ont été effectuer pour développer à côté d’engins lourds, des véhicules pouvant équiper des forces capables de mener un combat mobile sur les flancs, les arrières de l’adversaire ou sur des zones moins accessibles du champ de bataille. La mécanisation de la cavalerie durant le premier conflit mondial, a donné un nouvel élan à cette recherche de légèreté et de mobilité. C’est cette période, à l’origine de l’histoire des blindés, que nous utiliserons comme point de départ de notre propos.

1.1 L’histoire de ce concept

Depuis l’apparition du char sur le champ de bataille au cours de la première Guerre Mondiale, les armées ont souhaité posséder des engins plus compacts, complémentaires de leurs lourds homologues. Dès l’entre-deux-guerres le char léger fut défini par trois caractéristiques principales : Sa masse, il devait être le moins lourd possible ; Son blindage d'une épaisseur minimale (de l'ordre de 10 mm) devait protéger le char du tir des armes légères et des mitrailleuses ; enfin sa vitesse liée à sa masse relativement faible et à une motorisation adaptée, devait concourir à sa survie, elle était voisine de 40 km/h, avec un rayon d'action important. Ces caractéristiques faisaient du char léger un engin rapide mais vulnérable, le plus souvent dédié aux missions de reconnaissance ou de poursuite, dans la droite ligne de la cavalerie légère. Ces premiers travaux de définition étaient conditionnés par une technologie sommaire, incapable de combler le fossé avec les chars lourds. Pourtant les chars légers furent à l’origine de véritables révolutions technologiques, motivées et rendues obligatoires par la taille des engins concernés. Le concept de char léger apparaît donc de façon quasi simultanée aux premiers engagements de blindés sur le champ de bataille. Les résultats obtenus par ces mastodontes laissent bon nombre d’observateurs sceptiques quant à leur efficacité et leur capacité à emporter la décision. Lourdement blindés et armés, les chars anglais et français avaient une mobilité extrêmement réduite. En outre, leur engagement en nombre restreint ne permit pas de bénéficier de l’effet de masse, les privant de succès tactiques significatifs. Il faut attendre la bataille de Cambrai, le 20 novembre 1917, pour que l’impact des blindés se fassent réellement sentir. Ce jour-là, l’état-major britannique décide d’engager plus de 400 tanks, qui réussissent à enfoncer les lignes allemandes en dépit des armes antichars développées par ces derniers. Ce succès ne permet pourtant pas de prendre l’initiative, et « cette victoire qui aurait pu être un tournant de la guerre s’est vite transformée en une défaite[2]". Cet engagement conforte dans leur scepticisme un certain nombre de chefs militaires ; Foch déclare ainsi, dès aout 1918, que "pour vaincre, il nous faut la supériorité numérique la plus forte possible. Si les avions et les chars mangeaient trop d'effectifs, ce serait une erreur". Le Général Estienne, tirant les leçons de l’engagement français au Chemin des Dames préconise donc, que pour atteindre les lignes ennemies, il faut un engin beaucoup plus léger, capable de se mouvoir plus facilement sur le terrain. Il faut donc sacrifier la puissance de feu au profit de la mobilité et ainsi, réduire l’équipage. L’ingénieux colonel estimait que le char devait opérer selon le triptyque suivant : 1 - Appuyer l’Infanterie ; 2 - Forcer les lignes de barbelés pour ouvrir le passage ; 3 - Réduire au silence les nids de mitrailleuses allemands qui causaient encore des pertes meurtrières dans les rangs français. Ces trois missions s’appuient sur des choix techniques inédits, privilégiant la puissance de feu et la mobilité au détriment de la protection. Le général Estienne concrétise la notion de puissance de feu par l’idée de doter le nouveau char léger d’une tourelle pouvant pivoter à 360°, permettant à l’engin de garder son cap, tout en neutralisant les positions ennemies situées sur ses flancs. La mobilité de cet engin est basée sur un gabarit réduit et des capacités de franchissement lui permettant de ne pas être ralenti par les tranchées et les obstacles ennemis. Jean-Baptiste Estienne prône d’engager ni plus ni moins qu’un char de percée léger, puissant et mobile, en opposition aux premiers mastodontes engagés. Dans leur chasse au poids, les ingénieurs font l’impasse sur la protection de l’équipage, impasse qui deviendra plus cruelle à partir de 1935, date à laquelle le docteur MOHAUPT propose, sans succès, son invention à l’armée française. La protection restera l’apanage des chars lourds (B1bis) et les chars légers produits entre les deux guerres tireront leur légèreté d’un blindage quasi inexistant ou symbolique.

1.2/ Les premiers chars légers.

C’est naturellement en France que les travaux du général Estienne trouve le plus grand écho. Louis Renault développe ce qui va devenir le premier char moderne de l’histoire, le Renault FT également appelé FT17, produit à plus de 3500 exemplaires durant la première Guerre mondiale. La puissance de feu de cet engin est basée pour les premières versions sur une mitrailleuse Hotchkiss de 8mm puis par un canon Puteaux SA18 L/21de 37mm pour les versions suivantes. La protection repose sur un blindage de 16mm sur la version initiale porté à une épaisseur maximale de 22m sur la tourelle améliorée. Cette tourelle est la première évolution apportée par ce char ; capable de tourner sur 360° indépendamment du châssis, elle peut délivrer des feux dans toutes les directions à la différence des chars précédents. Cet équipement impose une nouvelle implantation des membres d’équipage en les séparant physiquement contrairement aux premiers chars lourds engagés où les membres d’équipage étaient tous regroupés dans une casemate blindée. Le Schneider étant servi par six membres d’équipage et le Saint Chamond par neuf hommes, le char Renault est servi par deux hommes : un chef tireur et un conducteur. Ce dernier est placé devant le chef en contrebas de celui-ci, les ordres et directions de marche sont transmis à la voix ou par des coups sur le casque, en l’absence de tout système de communication interne. La notion d’équipage est née et demeure encore aujourd’hui la clé de la manœuvre des engins blindés. Ce char sera un véritable succès industriel, utilisé dans quinze pays, engagé dans six conflits et fabriqué sous licence à 950 exemplaires à partir d'octobre 1918 sous le nom de 6 Ton Tank ou M1917 light tank. 




Les engins conçus dans l’entre-deux guerres empruntent au FT 17 son architecture. En France, la Société d’Outillage Mécanique et d’Usinage d’Artillerie (SOMUA) conçoit le S35, d’un poids avoisinant les vingt tonnes, il est commandé à 430 exemplaires par l’armée française pour équiper essentiellement les Divisions Légères Mécaniques. Saisis par les Allemands au cours de l’offensive de 1940 de nombreux chars sont transformés en « Beutepanzer[3] ». Après une modification de la tourelle monoplace, ces engins furent utilisés sous le nom de Panzerkampfwagen 35-S 739(f) comme char d’entrainement ou pour les opérations contre les partisans. Trois autres engins furent mis en production dans le milieu des années 30 : Le FCM 36 (Forges et Chantiers de la Méditerranée) armé d’un canon de 37mm (modèle 1918) et qui disposait d’un inédit blindage mécano soudé pour un poids de douze tonnes ; le Hotchkiss H 35 qui donnera naissance au H38 et H39 était armé du même canon de 37mm dans une tourelle monoplace, et pesait un peu plus de douze tonnes ; le dernier de cette série, le Renault R35 fortement blindé pesait environ douze tonnes et était armé du même canon de 37mm. Il est à noter que les canons de 37mm équipant ces trois engins provenaient de prélèvements effectués sur les FT17 laissant ceux-ci désarmés ! Cette arme qui convenait bien à un combat contre les unités d’infanterie se révéla insuffisante contre les blindés ennemis. Tous ces chars furent engagés dans les opérations de 1940 avec des fortunes diverses et furent submergés par les blindés allemands en dépit de l’héroïsme de leurs équipages, permettant de beaux succès comme la Bataille de Hannut en Belgique dans laquelle furent engagés les SOMUA S 35.



Le réarmement de l’Allemagne se traduit entre autres par la mise en service du Panzerkampfwagen I (véhicule blindé de combat 1) type A (à 4 galets) puis B (à 5 galets). Ce char léger de cinq tonnes, avec un blindage de 13mm maximum et ses deux mitrailleuses MG 34 ne peut se mesurer à un quelconque engin blindé. Il est peu à peu retiré du front jusqu'en 1941, et réservé à l’entrainement. Légèrement mieux blindé, le PzKpfw II type A, B, C (15 mm de blindage max.) puis D, E, F (30 mm max. à l'avant, pour un poids de dix tonnes) constitue jusqu'en 1941 le char le plus représenté dans les divisions blindées (Panzerdivisionen). Son canon automatique de 20 mm ne pouvant toutefois pas détruire un autre char. Retiré des régiments blindés en 1941-1942, il retrouve une seconde jeunesse dans les unités de reconnaissance, en particulier sa version L, dite Luchs (lynx), dont la vitesse culmine à 60 km/h.

Le PzKpfw III (22 tonnes) constitue le char de combat standard de la nouvelle Wehrmacht (à partir de 1937). Les types A à G sont armés du canon KwK 35/36 de 37 mm, calibre standard des canons antichars du début de la guerre. Au début 41 (type F, G, H, J), il est réarmé avec un canon de 50 mm court de 42 calibres (50L42), puis d’un canon de 50mm long (50L60) en 1942 (type J, L, M). Le blindage avant de 37 mm est porté à 57mm. Inadéquat face aux nouveaux chars moyens ennemis, il est construit jusqu'en 1943 et retiré du front. Une version de soutien (type N) est dotée en 1942 d'un canon de 75mm KwK 37 L/24.

Le PzKpfw IV, culmine à 25 tonnes, mieux blindé (50 mm en face avant), il est destiné au soutien du Pz III. Son canon de 75 mm court identique à celui du PzKpfw III N fournit essentiellement un appui-feu antipersonnel.

L'invasion de la Tchécoslovaquie permet à l'armée allemande de mettre la main sur la production de blindés tchèques : PzKpfw 35(t) et surtout PzKpfw 38(t) aux caractéristiques similaires au Pz III et qui se trouve en grand nombre (1 824 ex. de 1937 à 1942) dans les divisions blindées des années 1939-1941.

Ces modèles assurent le succès des Panzerdivisionen jusqu'en 1941. Au cours de l’opération Barbarossa les chars allemands ont la mauvaise surprise de se mesurer au T 34, très supérieur aux blindés allemands par son blindage incliné, sa vitesse et son canon de 76,2mm. Seul le canon long du Pz III L est susceptible début 1942 de pouvoir détruire le char soviétique. On dote alors le Panzer IV (outre un blindage porté à 80 mm pour les G et H) du nouveau KwK 40 adapté du PaK 40 (canon antichar) de 75mm. Les Pz IV F2 et G reçoivent ainsi un 75 KwK 40 L/43, puis les types G, H et J (J : mi 44) un 75cm KwK 40 L/48. De char de soutien, le PzKpfw IV devient char de combat. Bien qu'inférieur aux derniers chars alliés, sa facilité de production et sa fiabilité le maintiennent dans les Panzerdivisionen jusqu'à la fin de la guerre. Le Panzer IV dans l’esprit de ses concepteurs n’est pas à proprement parler un char léger mais son poids de vingt-cinq tonnes ne le classe pas parmi les chars les plus lourds de son époque. 




L’histoire des chars légers soviétiques est symbolisée par deux chars à savoir le T60 et le T70. Le T60 est le résultat du montage d’un canon de 20 mm ShVAK d'aviation en lieu et place de la mitrailleuse DShK, sur un châssis de T40, en réaction à l’impossibilité de produire le T50. Le char T-70 était une tentative de remédier à certaines des lacunes du char de reconnaissance T-60, qui avait une très mauvaise mobilité tout-terrain, le blindage trop faible et un canon de 20 mm devenu inefficace. Il a également remplacé la production ( qui a été de très courte durée) du char léger d’infanterie T-50, qui était plus sophistiqué, mais aussi beaucoup trop compliqué et coûteux à produire. Le T70 était conçu autour de deux moteurs d’automobiles GAZ 202 montés de chaque côté de la caisse et entrainant chacun une chenille. Devant les difficultés de ce montage, le retour à une conception traditionnelle fut effectué tout en conservant les deux moteurs montés du même côté de la caisse avec une transmission standard. Son armement principal était constitué d’un canon de 45mm, modèle 38, son poids était de 9.2 tonnes. Entre mars 1942 et octobre 1943, 8226 exemplaires de ce char furent produits.




Côté américain, il n’y eut pas à proprement parler de char léger, même si au début de la guerre le char le plus moderne de l’armée américaine, le M-2 pesait onze tonnes. Il fut construit en masse dès 1939, les premiers prototypes datant de 1934, sous le nom prototype T2E1, mis en service dès 1935 sous le nom de M2A1. C'est à cette date qu'un autre prototype apparut, le T2E2 mis en production fin 1938 appelé M2A2. Enfin, dès 1939 vu la rapidité avec laquelle la guerre avait été déclarée, un prototype final fut créé, le M2A4, qui fut dès lors accepté et renommé char « M2 ». 329 tanks furent commandés et les premiers arrivèrent en 1940, 365 exemplaires furent recommandés en 1941.

Son armement médiocre, un canon de 37mm, ne lui permettait pas de lutter efficacement contre les Panzers allemands, et son blindage était peu résistant. Il fut à la base des nouveaux chars américains, comme les Sherman (30 tonnes) ou les Grant (27,5 tonnes) basés sur les mêmes types de roulement et de blindage. Dès 1940, le M2 fut déclaré obsolète et servit de char d'entraînement. Il ne fut que peu employé pendant la seconde guerre mondiale, engagé de façon limité dans le Pacifique jusqu’en 1943.

L’autre « char léger » le M18 Hellcat fut mis en service à partir de 1943 ; pesant « seulement » dix-huit tonnes, Il était équipé d’un canon de 76.2mm, et fut le char le plus rapide de la Seconde Guerre Mondiale, pouvant atteindre la vitesse de 88 km/h sur route. Comme tous les chars américains de l’époque, le M18 souffrait d’un blindage trop peu épais pour résister aux coups des chars allemands.



Cette brève évocation souligne l’impasse faite dès la conception du char léger sur sa protection et cela pour deux raisons : Ses inventeurs sont convaincus que sa mobilité et sa puissance de feu suffiront à le protéger des feux ennemis ; en outre, à cette époque le blindage repose sur la superposition de plaques d’acier ayant pour effet de considérablement augmenter le poids des engins. La conception d’un char léger avec les techniques de l’époque ne peut pas combiner puissance de feu, mobilité et protection. Les revers subis par ces chars vont contraindre les ingénieurs à s’écarter de cette équation en sacrifiant dans de nombreux cas la mobilité à la protection. Aujourd’hui les engins proposés sont à la fois puissamment armés, très mobiles et bien protégés, le rendant aptes à tenir un rôle accru dans les engagements actuels.

2- LES PROJETS ACTUELS

Le souhait de l’armée américaine de se doter d’un char léger relance l’intérêt de nombreux états-majors pour ce type de blindés. En dehors de cette compétition, on peut observer une offre limitée pour un marché qui pourrait être relancé par les engagements de plus en plus nombreux dans des zones spécifiques.

2.1 / Les projets en course pour le marché américain.

Le salon AUSA a donc permis de découvrir les différents concurrents du Mobile Protected Firepower ; ce programme initié l’année dernière fixe comme priorité le développement d’un véhicule léger et agile pouvant aller où le massif M1 ne peut combattre comme la jungle dense, les rues étroites, des montagnes jusqu’aux ponts branlants du tiers monde[4]. Il doit en outre être blindé pour résister à différents types de munitions et offrir une bonne puissance de feu. Cet ambitieux projet a été testé sans succès à trois reprises dans les vingt dernières années par l’armée américaine : en 1996, le M8 canon blindé automoteur fut abandonné faute de financement ; le Future Combat System fut lui annulé en 2009 en raison de ses nombreuses défaillances technologiques ; enfin le Stryker Mobile Gun System réussit à entrer en service en dépit d’une large opposition avec le résultat que l’on connait. Aujourd’hui l’armée américaine semble décider à faire mieux pour se doter d’un engin dont elle a le plus grand besoin.

- Premier concurrent en lice, aujourd'hui éliminé, la société Science Applications International Corporation (SAIC) basée à Singapour s’engage dans la compétition avec un châssis développé dans le cadre du programme de Véhicule de Combat Blindé de nouvelle génération. SAIC intégrateur et maitre d’œuvre de ce programme s’associe pour cette compétition à ST Kinetics pour la fourniture du châssis et à CMI Défense pour la tourelle. Cette dernière est le modèle 3105, version armée d’un canon de 105mm de la série 3000. Cette génération de tourelle a été initialement développée dans le cadre d’un contrat remporté par CMI Défense dans un pays du Moyen Orient. Outre le canon à faible recul, cette tourelle se caractérise par un système de chargement automatique situé dans la nuque de tourelle, permettant d’utiliser toutes les munitions au standard OTAN existant pour ce calibre. Comme le châssis, cette tourelle est massivement numérisée à travers l’utilisation d’écrans multifonctions identiques à toutes les versions. Cette communauté d’interfaces permet des gains substantiels en termes de formation et de maintenance, avec l’utilisation d’un simulateur embarqué et un système de maintenance intégré. Cette prédisposition ouvre donc la voie au possible développement d’une version téléopérée de la tourelle 3105. Jim SCANLON de SAIC insiste sur la rapidité avec laquelle ce programme pourrait entrer en service une fois adopté, basé sur des composants existants et éprouvés, il répond à une des exigences de l’armée américaine, à savoir ne pas attendre le développement d’un programme long et couteux.[5] L’intention de l’armée américaine est claire, ne pas perdre de temps et d’argent dans l’acquisition du matériel avec une mise en production dès 2019 et une entrée en service espérée à partir de 2022. 



C’est en partant de ce souhait que BAE Systems se lance dans cette compétition avec une version modernisée du M8. BAE affirme ainsi que les demandes n’ont pas fondamentalement changé depuis l’abandon du projet M8, rendant la revalorisation proposée parfaitement adaptée aux exigences du nouveau programme. Le M8 à l’époque de son arrêt dans les années 90, visait à remplacer à la fois les M551 Sheridan au sein de la 82ème Division Aéroportée et les Humvee TOW du 2nd Armored Cavalry Regiment. Il se déclinait en différentes versions, correspondant à un blindage spécifique : le Level 1 faiblement blindé contre les petits calibres et les éclats pouvait être largué depuis un avion de type C130 ; le Level 2 plus lourdement blindé est toujours aérotransportable par C130 mais largable, était destiné aux opérations en milieu plus hostile ; enfin le Level 3 destiné aux opérations plus lourdes était blindé face aux roquettes antichar, de type RPG. Ces trois versions restant aérotransportables par C5 Galaxy ou C17 Globemaster, emportant respectivement cinq et trois exemplaires. Comme son concurrent, le M8 est armé d’un canon de 105mm rayé (XM35) approvisionné par un système de chargement automatique, contenant 21 obus. Un démonstrateur, le M8 Thunderbolt / AGS 120 doté d’un canon de 120mm fut réalisé en 2003. 
 


Le troisième compétiteur est 100% américain, il s’agit de General Dynamics Land Systems (GDLS), produisant déjà le M1 Abrams ainsi que le Stryker. Compte tenu du peu de communication sur le sujet de la firme de Detroit, il semblerait que pour ce programme GDLS s’appuie sur le démonstrateur Griffin présenté au cours du Salon AUSA 2016. Ce concept reprend le châssis du véhicule de reconnaissance britannique AJAX, avec une tourelle intégrant un canon de 120mm à âme lisse, développé dans le cadre du programme Future Combat System et l’électronique embarquée de la dernière version du M1 A2 SEP, pour un poids de vingt-huit tonnes. Curieusement GDLS affirme par la voix de Mike PECK Directeur du Business Development que le Griffin n’a pas vocation à être vendu en l’état mais permettra d’amener des éléments de réflexion aux états-majors pour le développement de la prochaine génération qui pourrait reprendre quelques-unes des évolutions du programme Mobile Protected Firepower. Cet aveu reste surprenant de la part de GDLS et pourrait être motivé par deux raisons :

- Le projet Griffin n’étant pas mature et donc hors des exigences calendaires du programme MPF, GDLS souhaite donc gagner du temps et pourrait pour cela pratiquer un lobbying intense visant à modifier ce calendrier, en vue de le faire correspondre au développement de son véhicule et permettre son adoption.

- L’autre raison pourrait tenir à la nature 100% américaine de GDLS lui permettant de savoir que le programme MPF actuel n’est qu'un lièvre technologique servant à révéler les projets concurrents, dans l’attente d’un programme ultérieur, taillé sur mesure pour GDLS, pouvant alors proposer un projet plus abouti.




Ces deux hypothèses ne semblent pas tout à fait « coller » aux souhaits des militaires américains, qui veulent combler au plus vite leur déficit capacitaire en matière de blindés, et profiter pour cela des largesses budgétaires de l’administration TRUMP[6] pour le secteur de la Défense. Quoiqu’il en soit les autres compétiteurs engagés dans ce programme devront se méfier de la force du « made in USA » et éviter de fournir des arguments imparables aux défenseurs de l’industrie de défense américaine et à leurs relais politiques. L’avion ravitailleur d’Airbus fut défait en son temps par Boeing par de semblables manœuvres. Quoiqu’il en soit, ce programme MPF est révélateur d’un regain d’attrait pour le char léger même si en dehors de cette compétition, les offres restent limitées. 

En 2020, seuls les deux dernières sociétés évoquées ici restent en compétition dans le programme MPF. Une visite du Secrétaire d’État à l'armée dans les locaux de GDLS avait permis de découvrir le prototype de GDLS pour ce programme. 


C'est également une visite officielle dans les locaux de BAE Systems qui permit de découvrir les premiers clichés du véhicule basé sur le char léger M8.


2.2/ Les autres projets.

- Au cours du salon IDEX 2013, le sud-coréen DOOSAN présenta son châssis K-21 doté d’une tourelle Cockerill de 105mm, évolutive vers le calibre 120mm et capable de tirer des missiles antichars. Cette tourelle, la XC8 a été développée à partir de la tourelle CT-CV 105 et se situe à la charnière entre cette dernière et la toute récente série 3000. La possibilité de doter cette tourelle d’un canon de 105mm ou de 120mm offre une possibilité accrue d’adaptation de ce type d’engins aux menaces potentielles. Le poids de ce char moyen estimé aux alentours de vingt-cinq tonnes permet d’envisager son transport et sa mise à terre depuis de nombreuses embarcations de transbordement et de débarquement en service dans les marines du Sud Est asiatique. Le caractère insulaire de nombreux territoires de cette partie du monde rendant cohérente l’adoption d’un char de ce gabarit offrant des performances élevées. 




- La Russie dispose depuis le début des années 2000 d’un engin léger, avec le 2S25 Sprut-SD, pesant 18 tonnes et armé d’un canon de 125mm. Développé pour un rôle de chasseur de char, ce véhicule produit en nombre restreint équipe les Troupes Aéroportées et l’Infanterie de Marine a remplacé le PT 76 offrant à ces unités une puissance de feu importante. Bien que répertorié au sein de l’inventaire russe comme un canon antichar automoteur, le 2S25 est un véritable char léger, chasseur de chars. Le canon employé est le canon 2A75 qui équipe les T72, T80 et T90. Ce canon est couplé à un système de chargement automatique d’une capacité de vingt-deux obus. Le châssis utilisé est celui du BMD3 transport de troupes équipant les mêmes unités. Le constructeur revendique la possibilité de cet engin d’être largué depuis un avion de type Iliouchine 76, largage pouvant être effectué avec l’équipage à bord du blindé ! Le poids de cet engin rapporté à son armement nous ramène aux origines du concept de char léger avec une protection sacrifiée et qui semble être assez symbolique sur le 2S25, son arc frontal pouvant résister à des tirs de 12.7mm. Cette lacune en matière de protection explique certainement le peu d’exemplaires fabriqués et leur non utilisation sur des théâtres tels que la Syrie. Une nouvelle version de cet engin basée sur un châssis de BMD4 avec un blindage renforcé aurait été commandée en 2013 par les forces russes, celle-ci sera peut-être plus convaincante et exportable. Cet engin connait aujourd'hui un regain d'intérêt avec les tensions frontalières entre la Chine et l'Inde ayant pour des théâtres des zones de haute montagne dans lesquelles les chars lourds ne peuvent être utilisés au maximum de leurs capacités. La Chine a un temps d'avance en termes de char léger avec le Type 15 semblant parfaitement adapté à cet environnement et affichant des performances intéressantes, notamment en termes de mobilité.

 
Avec un projet basé sur une coopération industrielle et un engin adopté de façon symbolique par l’armée russe, nous constatons que l’offre en matière de char léger reste limitée voire insuffisante si la compétition américaine venait à réveiller l’intérêt pour ce type d’engin. Le vieillissement et /ou la faiblesse des parcs de chars lourds occidentaux, ainsi que l’apparition de nouveaux environnements de combat, pourraient justifier l’adoption de matériels de ce type. L’armée française aux engagements multiples renonçant à son tropisme pour la roue, pourrait envisager l’adoption d’un char léger, dont le bénéfice serait important pour nos forces et nos industriels.

3- ET LA FRANCE DANS TOUT CELA ?

Longtemps à la pointe de l’innovation en matière de blindés à chenilles, et précurseurs dans le développement du char léger, les industriels français sont cependant absents du marché de char léger ou moyen, et ne présente aucun projet dans les différentes appels d’offres. Dommageable d’un point de vue industriel, quand on connait les réussites françaises dans le domaine, mais pas irrémédiable, cet état de fait est également à considérer d’un point de vue tactique et opérationnel.

3.1 Une absence de projet industriel

Comme pour le char lourd[7], les industries française semblent avoir abandonné tout le segment des véhicules de combat chenillés à une concurrence de plus en plus active. Cet abandon est encore plus ancien dans le domaine qui nous intéresse que dans le domaine des chars lourds, puisque nous pouvons considérer l’AMX 13 comme le dernier char léger français produit, utilisé et exporté. Engin qui a été retiré du service il y a maintenant plusieurs décennies[8].

Comme évoqué plus haut, les chars légers modernes intègrent des technologies innovantes leur permettant d’obtenir des performances élevées pour une masse et un encombrement réduits. Un projet de char léger français pourrait bénéficier de technologies existantes dans les domaine suivants.

- La protection active ; l’actualité récente a souligné le rôle que pouvait jouer un système de protection active de type Trophy ou Arena dans la survie des chars. Les progrès accomplis en termes de détection, d’analyse de la menace et de déclenchement de la charge de destruction du projectile ennemi rendent l’adoption d’un tel système particulièrement pertinente pour un char léger. L’armée américaine vient d’ailleurs d’adopter le système Trophy d’origine produit par Rafael Advanced Defense Systems pour ses M1 Abrams SEP V2 ; General Dynamics sera en charge de la réalisation sous licence de ce système qui sera certainement monté sur les M1 Abrams SEP V3 et V4. La combinaison d’un système de ce type avec un blindage composite « léger » pourrait permettre d’obtenir un niveau de protection satisfaisant dans une enveloppe contenue. L’inconvénient majeur de ce système résidant dans les risques encourus par les troupes amies à proximité du blindé lorsque le système fonctionne. Ce risque ne doit pas être minoré et doit faire l’objet d’une attention particulière en termes de procédure et d’échange d’informations entre les troupes au sol et le blindé. Les progrès en matière de communication et d’automatisation des tâches (avertissement, notification automatique de l’état du système,…) pourraient améliorer la prise en compte de cette difficulté.

- La mobilité est également une voie porteuse de progrès avec l’adoption de chenilles en matériaux composites et alliages. Certaines études ont montré la faisabilité d’une chenille utilisant des matériaux composites, pesant 20% de moins qu’une chenille équivalente en acier. Toujours dans le domaine de la mobilité, une voie de progrès peut être représentée par l’adoption d’une propulsion hybride. Renault Truck Defense, démontre la faisabilité d’un tel mode de propulsion avec le VAB ELecter réalisé dans le cadre d’un Plan d’Etudes Amont (PEA) confié par la DGA. Le VAB ELecter combine un moteur thermique avec un moteur électrique et présente de ce fait des performances accrues par rapport à un blindé « traditionnel ». Cette propulsion hybride permet de délivrer instantanément plus de 230 chevaux additionnels d’origine électrique, autorisant un gain en accélération (gain de 40 % sur le temps pour passer de 0 à 60 km/h par rapport un blindé doté d’un seul moteur Diesel), gain qui se manifeste également en termes de couple et de silence avec la possibilité offerte par le mode électrique de fonctionner de façon indépendante. Les solutions hybrides en plein développement dans le secteur automobile pourraient profiter à un blindé léger, le poids d’un VAB MK3 en ordre de combat étant de 20 tonnes. L’industriel lui-même entrevoit cette possibilité en affirmant que « le démonstrateur ELecter illustre la compatibilité de la technologie hybride avec l’emploi de blindés de reconnaissance médians[9] ». On peut s’interroger sur l’idée de limiter cette évolution au seul secteur des blindés de reconnaissance médians ? 



La puissance de feu est également un domaine d’évolution majeure. Les projets actuels sont articulés autour d’un armement principal de 105mm. L’équipement le plus représentatif de cette génération de tourelle reste la tourelle de la Série 3105 produite par CMI Défense. Ce calibre était également celui de la défunte tourelle TML 105, développée par Nexter (à l’époque GIAT Industries). Cette tourelle équipée d’un canon de 105 mm avait été installée sur le Vextra, prototype d’engin de reconnaissance à huit roues développé par Nexter dans le milieu des années 90. Cette tourelle habitée servie par un équipage de trois hommes pouvait emporter douze coups de 105mm immédiatement disponibles et était équipée d’une optique (SAGEM Savan 15 stabilisée trois axes) capable d’effectuer des tirs en marche sur cibles mobiles et statiques. Le canon de 105mm G2 à faible recul était piloté par une motorisation initialement hydraulique puis électrique, permettant un gain notable en termes de précision et de constance de pointage. Protégée face à des projectiles d’un calibre maximum de 14.5mm, la tourelle TML 105 bénéficiait également d’un système GALIX pour sa protection. Le VEXTRA équipé de cette tourelle était donné pour un poids de 34 tonnes comprenant la tourelle mais aussi un châssis capable d’embarquer huit fantassins équipés. Ce démonstrateur a fait la preuve durant sa courte vie de la capacité à concevoir et faire rouler un engin plus léger qu’un char de combat et doté d’une puissance de feu significative. En outre, un tel engin pourrait être équipé d’un chargement automatique dont le nombre d’obus disponibles pourrait être réduit par rapport au système équipant le Leclerc. Cette automatisation d’une partie du service de l’arme pourrait ouvrir la voie à la conception d’une tourelle télé opérée de 105mm renforçant la protection de l’équipage et diminuant sensiblement la masse de l’ensemble. 


Depuis les années 90, le domaine de progrès le plus significatif est sans conteste celui de la numérisation et des communications ; ceci pourrait bénéficier de façon directe à un projet de char léger avec l’inclusion d’optiques numérisées permettant la restitution des informations sur des écrans multifonctions (Concept utilisé en aéronautique avec les MFD ou MultiFunctions Displays) en conservant bien sur une voie secours par fibre ou vision directe. Cette numérisation permettant d’inclure dès la conception de l’engin un système de simulation embarquée, tel que celui proposé par CMI Défense. Il autorise la réalisation de séquences de formation, d’entrainement et d’évaluation dans les meilleures conditions de réalisme et d’efficacité pour un cout maitrisé. La vision nocturne enfin pourrait être basée sur le concept de fusion d’images, que l’on retrouve sur le Système PeriSight développé par Bertin Technologie, déjà adopté dans le cadre du programme Scorpion. Comme on le voit, les technologies existent et le développement d’un projet de char léger français, si il était envisagé pourrait signer le retour de nos industries de défense sur le marché des engins blindés chenillés. Ce projet serait également profitable sur le terrain.

3.2 Un appui feu puissant, au plus près des troupes engagées.

Dans le cadre du programme Scorpion, deux nouveaux véhicules sont prévus être mis en service : Le Griffon et le Jaguar. Le premier de ces engins également connu sous l’abréviation de VBMR Véhicule Blindé Multi Rôle sera équipé d’un tourelleau téléopéré de 12.7mm et devrait remplacer le VAB. Le Jaguar ou Engin Blindé de Reconnaissance Canon (EBRC) sera équipé d’une tourelle CTA de 40mm pouvant tirer le Missile Moyenne Portée (MMP) de MBDA ; il est prévu succéder à l’AMX 10 Roues Canon au sein des unités de Cavalerie. Bien que les performances de ces engins ne soient pas remises en cause, ces programmes ne procureront aucune solution d’appui feu direct capable de se mouvoir dans des terrains difficiles telles que le faisaient les compagnies de chars des régiments mécanisés dans les années 80. Au moment où l’on s’interroge sur les engagements futurs et l’on constate la prééminence des actions en zone urbaine, il peut être pertinent de s’interroger sur l’adoption d’un char léger capable de combattre sur ce type de terrain. La zone urbaine est souvent difficile d’accès pour les chars les plus lourds compte tenu de leur gabarit, et bien souvent elle peut se transformer en piège mortel pour ces engins. Les chars lourds ont montré toute leur utilité dans les opérations en zone urbaine mais aussi leurs limites d’emploi dès que l’environnement se fait plus contraint et les cheminements plus étroits, à l’instar de bon nombre de centres villes ou quartiers dits historiques. Dans ce type d’environnement l’utilisation d’un char léger de vingt-cinq tonnes permettait de disposer d’un appui feu sous blindage, parfaitement complémentaire du feu fourni par les VBCI et le futur Jaguar. Ce dernier doté d’un canon de 40mm offre certainement une bonne puissance de feu ; dédié à des missions de reconnaissance, cet engin risque de ne pas être employé dans les opérations urbaines. En effet ces dernières imposent des rapports de forces importants et des durées d’engagement pouvant être incompatibles avec le rythme de la reconnaissance, pouvant amener les unités équipées du Jaguar à ne pas s’engager trop longuement en zone urbaine. En outre, il convient de constater que les armées ayant eu à mener des opérations dans ces zones ont systématiquement privilégié l’emploi de la chenille dans les opérations offensives. L’armée française est aujourd’hui la seule à ne posséder qu’un seul véhicule chenillé, à l’exclusion de tout autre engin de combat. La première apparition des T90 sur le théâtre syrien a été leur emploi au sein de détachements avancés visant à percer les dispositifs ennemis. Tsahal a utilisé massivement ses chars au cours des différentes opérations menées en milieu urbain. Aujourd’hui la doctrine française prévoit la constitution de Détachements Inter Armes (DIA) dont la composition intègre au moins un pion blindé. Le faible nombre de chars Leclerc en service dans notre armée peut conduire à s’interroger sur la capacité des régiments blindés à armer de telles structures tout en assurant les missions plus classiques dévolues aux chars lourds. Un char léger redonnerait un avantage tactique important aux unités engagées en milieu particulier sous forme de feu et de mobilité, sans que cela n’hypothèque la ressource blindée largement comptée.

La mise en service d’un char léger au sein de l’armée française pourrait donc se concevoir et serait parfaitement complémentaire du parc de Leclerc en service et du futur Jaguar. Puissance de feu et mobilité seraient ainsi encore plus proches des unités engagées particulièrement dans les milieux spécifiques telles que la zone urbaine.

Un projet de char léger français, s’inscrivant dans une longue tradition donnerait aux industries de défense terrestres impliquées, la possibilité de revenir sur le marché des blindés à chenilles. L’offre de chars légers risque de rencontrer une demande de plus en plus forte de la part des états-majors soucieux de préserver leurs parcs blindés lourds et de disposer d’engins capables de porter le feu sur les terrains les plus difficiles.

Nous avons tenté d’apporter des éléments de réponse à la question posée par le titre de cet article. La compétition lancée par l’armée américaine illustre la situation dans laquelle se trouvent bon nombre d’armées occidentales dans le domaine des véhicules blindés chenillés. L’histoire du char léger a connu plusieurs étapes et a souvent permis aux pays concernés de renforcer leur potentiel et ce faisant leur efficacité. Aujourd’hui alors que les budgets de défense augmentent, certains pays tout en adoptant des véhicules de combat lourds à roues (Boxer, Stryker, Boomerang,…) capables d’accompagner l’infanterie et les formations blindées conservent une composante chenillée comme le font les Allemands avec le Puma. La solution offerte par un char léger de vingt-cinq tonnes compatible avec les capacités d’emport des vecteurs aériens de transport stratégiques (77 tonnes pour le C17 et 37 tonnes pour l’A400M) est donc cohérente pour nombre d’armées. La France, qui a abandonné la production et l’utilisation de ce type de véhicule depuis plusieurs décennies possède la légitimité et les capacités de revenir sur ce marché dont le développement reste prometteur.

[1] Lieutenant-Colonel Justin SHELL Officier de programme Abrams

[2] Nick WYNESS Tank Museum

[3] « Char de butin » Nom générique donné par les Allemands durant les deux premiers conflits mondiaux aux véhicules blindés chenillés pris à l’ennemi, pour les étudier ou les remettre en service.

[4] “The MPF must be light and nimble enough to accompany foot troops where the massive M1 Abrams cannot go: into dense jungle and narrow streets, up mountains and over rickety Third World bridges”

[5] The Army does not want a “new” vehicle per se, rather, the service wants something that it can quickly put into production in the shortest amount of time at the lowest possible cost […]We’re not willing to wait for […] a lengthy bottom-up design process,” Maj. Gen. David Bassett, the Army’s program executive officer for Ground Combat Systems

[6] Le budget de base du Pentagone pour l’année fiscale 2017 devrait s’élever à 524 milliards de dollars, en augmentation de 59 milliards de dollars par rapport à l’an dernier.

[7] https://www.linkedin.com/pulse/le-leclerc-dernier-char-fran%C3%A7ais-yann-boivin/

[8] ibid.

[9] http://www.opex360.com/2017/08/25/avec-son-vab-electer-rtd-saffichera-en-pionnier-de-la-propulsion-hybride-luniversite-dete-du-medef/
sur un réseau s

3 commentaires:

  1. Petite erreur dans le dernier paragraphe: vous évoquer le CV90 pour les véhicules de combat lourd à roue.

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    1. Effectivement, merci de votre vigilance, je corrige immediatement.

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  2. Vous avez fait là un article remarquable.

    Il y a celui-ci qui est sorti sur le magazine DSI:
    https://www.areion24.news/2020/09/29/mpf-leternel-retour-du-char-leger/

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