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lundi 2 septembre 2024

LE SEAE ET LA FORMATION !

L'ordre du jour de la réunion informelle des ministres des Affaires Étrangères et de la Défense de l'Union Européenne qui s'est tenue à Bruxelles la semaine dernière prévoyait un examen et une révision du rôle de la Mission d'Assistance Militaire de l'UE en soutien à l'Ukraine (EUMAM). Avec plus de 60 000 soldats ukrainiens formés cette mission (dont 10 000 par la France) pourrait évoluer selon plusieurs recommandations et demandes exprimées par les différents participants. Si la formation à la mise en oeuvre des équipements occidentaux reste peu visible sur le plan médiatique et peu porteuse sur le plan politique, il semblerait que la formation "globale" de l'armée ukrainienne soit l'objet de plus d'attention de la part des responsables européens concernés. 

Le SEAE (Service Européen d'Action Extérieure) qui pilote les différentes missions conduites par l'UE a recommandé une extension de la mission EUMAM jusqu'en novembre 2026 avant de constater l'écart existant entre les attentes ukrainiennes suite aux formations et la réalité du champ de bataille. Selon le SEAE, ce différentiel serait suffisamment important pour créer des difficultés aux troupes arrivant sur le terrain à l'issue de leur formation. Le SEAE souligne que "le réalisme de la formation (qui diffère fortement de la réalité du terrain) est identifié par l’Ukraine comme l’une des lacunes les plus critiques. L’écart entre les conditions de formation et la réalité du champ de bataille devrait être réduit autant que possible, même si les réglementations nationales ne peuvent pas être ignorées." Le SEAE ajoute que "les modèles de formation actuels sont façonnés par les normes de temps de paix de la formation occidentale et, dans certains États membres de l’UE, par des restrictions légales dans l’organisation de certains types de formation". Le SEAE reconnait que les formations dispensées au sein de la mission EUMAM sont le fait d'états membres qui vivent en paix et dont les armées se concentrent principalement sur la lutte contre le terrorisme  plutôt que sur les guerres conventionnelles. Les rédacteurs du document du SEAE semblent ignorer que les difficultés mentionnés constituent le "pain quotidien" des armées de temps de paix qui se heurtent, dans la planification et le déroulement de leurs activités d'entrainement à des limitations parfois ubuesques et le plus souvent d'origine européenne ! Concernant la "focalisation " des armées concernées sur la lutte contre le terrorisme au détriment de celle sur la guerre conventionnelle, on ne peut s'empêcher de penser à l'indigence de notre composante blindée mécanisée, qui témoigne du retard pris dans ce domaine pourtant essentiel dans un affrontement conventionnel, comme l'indique les enseignements du conflit ukrainien et que de nombreux pays ont fait leur !  De son côté, la partie ukrainienne souhaite délocaliser les formations, qui pourraient se tenir dans une région frontalière pour des raisons logistiques et opérationnelles. Cette demande examinée par le SEAE n'aurait pas obtenu le soutien unanime des états participants. Les responsables ukrainiens s'inquiètent également du fait que les formations dispensées par l'EUMAM le sont sur des matériels différents de ceux utilisés au combat ! Le SEAE précisant à ce sujet que les troupes ukrainiennes formées en Europe doivent donc suivre une formation supplémentaire à leur retour en Ukraine. Enfin la diversité des doctrines, des procédures et des équipements utilisés provoque également des divergences entre les soldats, rendant impératif le déroulement de la formation complémentaire évoquée plus haut. Si le SEAE affiche une réelle volonté de refonte de cette mission, ses ambitions semblent plus limitées comme le montre la conclusion (plutôt laconique) du document pour lequel " Il est impératif de former les soldats des forces armées ukrainiennes sur les équipements qu’ils utiliseront plus tard au combat"

Le SEAE dont les idées en matière de formation semblent assez minces reprend à son compte les demandes ukrainiennes en oubliant de souligner combien ces actions de formation pèsent sur les armées concernées en termes d'investissements humains, financiers et techniques. Les constats formulés montrent également à tous ceux qui pensaient que la transformation d'une armée de modèle "soviétique"en une armée au format OTAN ne serait qu'une simple formalité et ne prendrait que quelques semaines. Illusion qui ne tenait  en outre, pas compte de la simultanéité des formations dispensées avec l'engagement au combat de l'armée concernée. Une piste de refonte possible pourrait une séparation entre les activités préparatoires à l'engagement axées sur des savoir-faire génériques de niveau individuel ou élémentaire et les activités de formation "OTAN portant sur les procédures et concernant les niveaux supérieurs. Les premières pourraient être réalisées au plus près de la frontière ukrainienne avec des équipements utilisés par les forces de Kiev et répondraient aux besoins immédiats et concrets des combattants. Les secondes pourraient être délocalisées en Europe et constitueraient un véritable investissement pour l'avenir de l'armée ukrainienne. Dans les deux cas, il serait impératif d'uniformiser le contenu de ces formations pour envisager de ne parler que d'une seule voix et de n'agir que selon des procédures communes. 

Ce dernier objectif, au coeur de l'interopérabilité entre les différentes armées du continent suppose de d'abandonner les susceptibilités nationales qui trop nuisent à la pleine interopérabilité de nos armées. Un vrai challenge donc !

5 commentaires:

  1. Depuis le début de ce conflit, je maintiens que l'Ukraine ne peut le gagner, pas parce que je suis pro-Russe, mais simplement parce que sous-officier de carrière pendant 32 ans, puis 12 ans de réserve opérationnel, j'ai débuté comme pilote AMX 30B en 1968 (30ᵉ Rgt de Dragons), j'ai occupé tous les postes dans un char, tireur, chargeur, puis chef de char, chef de peloton durant 6 ans (2ᵉ Rgt de Dragon), instructeur à l'EC à Saumur pendant 22 ans (en 3 séjours), officier de tir, maitre de tir, officier bouches à feux au 11 Rgt de Chasseur à Berlin (3 ans), instructeur Leclerc à l'EC et aux EAU (31ᵉ Bataillon), puis sous-officier expérimentateur groupe Leclerc à la STAT Versailles-Satory.
    Mon expérience me permettait dès le début de dire que le nombre disparate de matériels blindés livrés à l'Ukraine serait un véritable casse-tête pour le MCO et un défi difficile à surmonter au niveau de la formation.
    Quand on nous annonçait des formations de 3 semaines pour un équipage d'AMX 10RC, de Léopard, de M1, de Challenger, cela pour moi était tout simplement irréaliste, je ne mets pas en doute la volonté et les capacités des équipages de blindés Ukrainien, mais je ne crois pas n'ont plus qu'ils soient meilleurs que nos équipages de métiers.
    Les formations individuelles, puis équipage, peloton et finalement escadron demande 18 à 24 mois pour un équipage français, sans oublier le changement de mentalité que demande le passage d'un engin d'origine soviétique à un engin de l'OTAN, et je ne parle même pas de la doctrine d'emploi sur le terrain.
    Tout ceci a été trop rapidement évacué sous prétexte de l'urgence, et c'est sans oublier les problèmes d'effectifs de l'armée Ukrainienne.
    Bernard, retraité et maintenant guide au Musée des blindés à Saumur.

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    1. Hors sujet mais: merci, Bernard.

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    2. Fanchon 3 septembre 2024 à 15:30: Vous qui avez l'air d'être un spécialiste du combat des blindés, expliquez-nous le hors-sujet.

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  2. Surtout chez nous quand on doit leur bourrer le crane avec des théories à la scorpion, le retour sur le terrain doit être en effet très brutal.
    Comme il le sera malheureusement pour nos propres soldats à la première affaire sérieuse prochaine.

    " Les responsables ukrainiens s'inquiètent également du fait que les formations dispensées par l'EUMAM le sont sur des matériels différents de ceux utilisés au combat !"
    En effet vu les (quelques) bouses obsolètes qu'on leur refile.
    Il vaut mieux une formation complémentaire en effet.
    Ne serait ce par rapport à nos armées de temps de paix de plus en plus décalées globalement.
    Enfin certaines (Pas toute.) essayent, commencent à essayer d'y remédier, ou en tous cas semble en prendre peu à peu conscience, c'est déjà ça.
    Là aussi encore, pas toute, d'autre font au contraire bien attention de bien maintenir leur regard ailleurs surtout. Cela remettrait sans doute trop en cause vingt-cinq ans d'errance totale, et les obligerait à reconnaitre enfin "quelques erreurs". "Ne changeons rien donc"...

    " Les premières pourraient être réalisées au plus près de la frontière ukrainienne avec des équipements utilisés par les forces de Kiev et répondraient aux besoins immédiats et concrets des combattants.
    Les secondes pourraient être délocalisées en Europe et constitueraient un véritable investissement pour l'avenir de l'armée ukrainienne."
    En effet encore, la distinction est très "notable".

    Enfin sur "l'interopérabilité", nouvelle tarte à la crème justificatrice de tous nos abandons en matière de défense, il y aurait aussi beaucoup à dire.
    C'est l'essence de la prétendue "Europe de la défense" qu'on essaye de nous fabriquer depuis 50 ans.
    Reconstruisons déjà nos systèmes de défense nationale et on verra après.
    S'il faut les faire fonctionner absolument ensemble (Sous normatifs et procédures américains : OTAN, OTAN, OTAN. "Europe de la défense"...), ou cote à cote, ou pas ; chacun avec ses propres avantages, savoir-faire, et spécificités particulières par exemple, qu'une Uniformation générale réductrice ?

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  3. L'OTAN existe depuis 1949 et en 2024 on entend encore des plaintes sur l'inter-opérabilté...
    C'est surprenant, non ?

    Après les armées qui étaient prêtes à être transformées en police municipales bis et qui sont censées apprendre la guerre atroce et cruelle aux ukrainiens, c'est vrai que c'est un sketch !
    https://lignesdedefense.ouest-france.fr/kiev-et-ses-allies-sinterrogent-sur-la-qualite-de-la-formation-dispensee-aux-forces-ukrainiennes/

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