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jeudi 21 décembre 2023

LA QUINZAINE HONGROISE DE RHEINMETALL

L'actualité de la blindosphère a été marquée au cours de la quinzaine écoulée par plusieurs événements ayant pour points communs la Hongrie et Rheinmetall. Quelques mois après l'inauguration de l'usine de production du KF-41, la firme de Düsseldorf est revenue en Hongrie avec des projets pleins les cartons. A l'heure où les programmes de  modernisation des parcs blindés européens permettent à certains industriels de garnir leurs carnets de commandes et d'étendre leur offre, Rheinmetall a décidé de faire de la Hongrie son "hub" européen, rejoignant la Pologne devenue base européenne des industriels sud-coréens. Cette volonté se traduit par d'importants transferts de technologies permettant de produire dans le pays concerné des engins jusque là fabriqués dans leur pays d'origine, mais également par des coopérations autour de projets de développement de futurs engins. 

La quinzaine hongroise de Rheinmetall a débuté le 14 décembre avec la cérémonie officielle de remise des premiers exemplaires des 44 Leopard 2A4HU qui avaient commencé à être livrés cet été. 

Leopard 2A7 HU au cours de la cérémonie de remise officielle

Moins de 24 heures après cette cérémonie, Rheinmetall annonçait la signature avec la société hongroise N7 (qui détient 49% des parts de Rheinmetall Hongrie) d'un accord de coopération portant sur le développement du char lourd maison. L'investissement de 288 millions d'euros vise à amener le KF-51 EVO en phase de production à un horizon qui n'a pas été fixé. L'engin, objet de ce contrat est quelque peu différent de celui présenté lors de la dernière édition du salon Eurosatory avec des modifications affectant plusieurs parties du char. Côté châssis, exit celui du Leopard 2, bienvenu à celui du Buffalo ARV (Armoured Recovery Vehicle) pour lequel Rheinmetall possède les droits de propriété intellectuelle. Cette initiative constitue une première, en basant le développement d'un char de combat sur le châssis d'un engin associé, comme l'est le Buffalo. Autre modification, l'armement du KF-51 "Made in Hungary" sera constitué du canon L55A1 de 120mm en lieu et place du canon Rh-130 de 130mm promu par Rheinmetall depuis plusieurs années. Le communiqué de presse de la firme de Düsseldorf précise que l'architecture de tourelle du KF-51 EVO permettra l'intégration du canon de 130mm dans le cadre d'une opération de rétrofit. Avec ces deux "innovations" Rheinmetall envoie à KMW un message destiné à lui faire comprendre que la firme d'Armin Papperger peut se passer de son concurrent allemand pour produire un char moderne, susceptible de concurrencer le Leopard 2A8 dans les prochaines années et ouvre la porte à une future coopération autour de la prochaine version du best-seller allemand. 

KF-51 en Hongrie en aout dernier

Bien que comparaison ne soit pas raison, on ne peut s'empêcher de comparer cet accord conclu autour d'un projet concret avec l'annonce de l'alliance entre KNDS et Leonardo, dont le futur ne semble articulé autour d'aucun projet concret de développement, même si certains veulent y voir la naissance d'un futur char ou un rééquilibrage du programme MGCS.  Cette situation confère un relief particulier aux propos tenus par Emmanuel Chiva, Délégué Général pour l'Armement durant son audition du 8 novembre devant la Commission des Affaires Étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat. Interrogé à propos du Projet de Loi de Finances 2024, le DGA avait déclaré que " Certains [industriels] ont pris l'habitude de ne pas bouger tant qu'un contrat ne leur est pas attribué" soulignant de facto la plus grande réactivité du secteur privé sur le marché de l'armement terrestre.

Roll-out du premier Lynx hongrois

Le dernier étage de la fusée hongroise de Rheinmetall est constitué par la signature d'un contrat d'une valeur de 30 millions d'euros portant sur le développement de la tourelle Skyranger 30 en vue de son intégration sur le Lynx. Avec ce contrat intégré sous l'égide de l'ESSI (European Sky Shield Initiative) Rheinmetall tente d'imposer son engin comme la référence des systèmes de défense sol-air pour les pays de l'OTAN. Au-delà de cet aspect européen, le développement du Lynx Skyranger 30 constitue la première étape de la création d'un famille de blindés issus d'une plateforme commune. Ce développement a été envisagé par Rheinmetall dès 2021 comme on peut le voir sur l'image ci-dessous avec pas moins de huit versions présentées.

La famille Lynx

C'est donc une semaine particulièrement bien remplie pour Rheinmetall qui, une fois de plus a soigné une communication parfaitement maitrisée et articulée autour des projets phares de la firme. La défaite australienne semble avoir été digérée par les équipes d'Armin Papperger, qui ont décidé d'accélérer leur présence en Europe et de ne plus laisser KMW seul sur ce marché. La référence à l'OTAN pour le développement du Lynx Skyranger 30 permet d'envoyer aux autorités américaines un message utile visant à démontrer le potentiel du Lynx, retenu avec GDLS (General Dynamics Land Systems) pour la phase 2 du programme OMFV (Optionally Manned Fighting Vehicle) destiné à remplacer le Bradley à la fin de cette décennie.

 

Lynx Skyranger 30 (Image de synthèse)

11 commentaires:

  1. La stratégie hongroise d'importer une production étrangère est excellente tant pour équiper les forces que pour gagner en souveraineté.

    Rheinmetall, toujours aussi proactif (qu'on aime ou pas)...

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  2. Tout comme les Tchèques, la Hongrie mène une politique qui lui est "particulière". Sous perfusion de l'UE, la tentation va être grande de s'"Erdoganniser" et de s'émanciper techniquement et politiquement. Son industrie va en bénéficier avec des salaires sans commune mesure avec les "premiers de cordée". Mais des limites de marchés vont être atteintes.

    La souveraineté est un domaine qui se mesure avec un élastique en fonction des uns ou des autres (?). Un exemple d'analyse :

    https://www.areion24.news/2023/11/30/quelle-autonomie-de-defense-francaise-a-lheure-du-conflit-de-haute-intensite/

    RM a le grand avantage d'être une grande société privée au service de ses clients, actionnaires et de l'industrie allemande qui est pour cette dernière un des fondements de sa politique exterieure.
    .
    L'export ne se fait plus sans compensation et pression ou influence politique.

    En attendant ça ne se bouscule pas du côté des détroits de Bab el-Mandeb et Ormuz. Loin des yeux, loin du coeur ? Non, chacun ses intérêts immédiats et son "rôle" attribué ou assumé.

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    1. Donc ? : Rien, que les poncifs et les faux prétextes et éléments de langage habituels, pour justifier de ne rien faire...

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  3. Un petit complément sur l'effort des industriels dans une "économie de guerre" qui est à la peine.

    https://www.opex360.com/2023/12/19/berlin-va-notifier-un-marche-de-278-millions-deuros-a-une-entreprise-francaise-pour-livrer-des-obus-a-lukraine/

    Alors qu'il y a peu :

    https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/lallemand-rheinmetall-va-accroitre-sa-production-darmes-1901487

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  4. Vu toutes les commandes de 2A8 partout en Europe les débouchés pour le KF51 semblent réduites à la seule Hongrie qui a des ressources très limitées.
    Selon fob un châssis de 2A8 serait arrivé en France pour essayer le 140mm, un e-mbt XL
    Bonnes fêtes
    Penandreff

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    1. Non, pour le coup, la Hongrie ne fait que financer le développement et ne s'engage en rien à l'acheter. De plus avec déjà sa force de 44 léopard 2A7HU en cours de dotation, elle a en encore un bon nombre.
      Non, la Hongrie fait un pari, elle se dit qu'en investissant dans un prototype pour le rendre exportable, elle y gagnerait des marges pour son industrie. Après c'est un pari risqué car même en finançant son développement, rien ne dit que le char sera pris par un premier client export ( et vu que la configuration est originale, on a pas vraiment de passif pour se faire une idée de la possible réussite de la démarche).

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    2. À Penandreff :
      Ça c'est une info à suivre. Bonnes fêtes à vous.

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    3. La Hongrie a également acheté du A7. Elle n’achètera jamais de KF51. Celui-ci n’a aucun débouché en Europe. Ailleurs peut-être.

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  5. Dites donc, ça bouge en Europe...
    ...Centrale et "de l'est"...
    Un peu comme partout dans le monde actuellement... Enfin, presque partout...

    Et un VCI lourd ; décliné dans une famille assez complète (!!) ; et un char moderne actuel (Allemand en plus !!) ; (De 50 - 55 tonnes.) ; de plus (!).

    Les futurs marchés européens (Et d'ailleurs.) des chars, et des blindés de combat en général, se joueront donc entre allemands, et allemands ; et sud coréens ; et américains (Of course !!) ; et turcs ; et etcetera ...

    Les hongrois nous coiffer sur le poteau en plus... ...En tant que futurs sous traitant de la "grande Allemagne".
    Encore que, à savoir si il aura vraiment quelques usines encore en France, et pas en Ukraine, ou ailleurs encore ? ...

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    1. Le tissus industriel lourd de la France est pauvre et devenir sous-traitant avec des filiales n'est pas chose enviable, à moins de s'approprier la technicité à son profit. D'autres pays l'ont bien fait et très bien fait.
      Fournisseur est plus approprié dans des domaines spécifiques. Tout faire soi-même est une utopie vers laquelle Il faut tendre quand on a une vision et les moyens de ses ambitions.
      La "délocalisation" et transferts industriels sont factuels pour vendre à un coût accessible, souvent dans un cadre politique, avec un intérêt partagé. Ce sont les proportions, le maintien des brevets , les connaissances et avances techniques qui restent à maîtriser... Les puissants ont d'autres arguments.
      La souveraineté n'est jamais totale, sauf dans de rares domaines pointus. Nos SNLE ne sont pas 100% Frâânnçais, pour autant ils ne font rire personne et même nos amis aimeraient les voir disparaître.

      Pour bouger, ça bouge ! Les "frontaliers" sur l'horizon des événements s'équipent à bon compte aux normes OTAN et les "neutres" claquent du fessier. C'est bien compréhensible quand on est au premier rang de la scène, avant les trois coups... (c'est une image).

      Notre problématique est de suivre plusieurs pièces de théâtre avec des auteurs différents aux quatres coins de la cité globale. Premier rang, loge, balcon, strapontin, exit... les contextes et intérêts sont complexes et différents selon le cas. Il y a un point commun sur le spectacle scénique du monde: notre abonnement.
      Bon, l'entrée des artistes c'est derrière... et ils sont moins nombreux que les spectateurs, en principe. :)

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