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mardi 4 juin 2024

ENSEIGNEMENTS ET REFLEXIONS AUTOUR DES FUTURS ENGINS BLINDES AMERICAINS

Selon un responsable américain, les programmes de remplacement de l'Abrams e du Bradley doivent intégrer les leçons du conflit ukrainien, sous peine de voir arriver sur le champ de bataille des engins déjà condamnés et pour lesquels plusieurs milliards de dollars auront dépensés en vain. Pour le Général Geoffrey Norman, responsable du NGCV-CFT (Next Generation Combat Vehicle Cross Functional Team) en charge du développement des futurs véhicules blindés de l'armée américaine, cette dernière se concentre sur ce qu'elle considère comme les menaces essentielles pour les véhicules terrestres. Pour le Général Norman, les drones FPV sont un "problème réel" pour les engins blindés, tout comme les autres menaces attaquant par le haut, comme les missiles antichars. Pour suivre au plus près l'évolution de ces menaces, le NGCV a déployé une équipe de techniciens en Europe de l'Est. Les contacts réguliers de cette équipe avec des équipages de chars ukrainiens permet une mise à jour quasi permanente des données relatives aux différentes menaces aériennes, terrestres ou électroniques rencontrées sur le champ de bataille par ces équipages. 

Face à ces menaces, les industriels et l'armée américaine travaillent sur les adaptations nécessaires aux futurs engins, que certains comparent à celles qui avaient été imposées sur les véhicules confrontés à la menace IED il y a quelques années au moment des engagements en Afghanistan et en Irak. Alors que la protection contre les IED imposait un renforcement de la partie ventrale des véhicules, la menace actuelle impose une démarche similaire pour les parties supérieures des engins concernés. Les responsables américains filant la métaphore jusqu'au bout considèrent les drones comme des IED mobiles et volants. Les efforts entrepris n'ont certes pas préservé les véhicules de l'atteinte des engins explosifs, mais ils ont contribué à épargner des vies humaines.  

Après avoir perdu plus de 8000 véhicules blindés depuis le début du conflit, les Russes ont à leur tour augmenté leur production de drones pour infliger des dommages importants aux blindés ukrainiens. Les 31 M1A1 fournis à Kiev n'ont pas été épargnés, entraînant une remise en cause de leur efficacité et même selon certaines sources, leur retrait de la zone des combats. En dépit de ces informations contradictoires, la menace drone s'est imposée comme une évidence, entraînant l'adoption de dispositifs de protection à base de cope-cages. Sans revenir sur le détail des opérations conduites par les forces ukrainiennes, le général Norman a admis que revers subis par les Abrams sont autant de leçons apprises pour l'Abrams. L'officier général américain reconnaît que la protection du char américain conçue pour affronter frontalement des menaces blindées n'est pas adaptée aux attaques par le haut, conduites par les drones, les munitions rôdeuses ou les missiles antichars. Sur le plan tactique,le Général Norman souligne l'avantage procurée par la mobilité du char, particulièrement dans les opérations offensives dans lesquelles le char peut faire parler sa puissance de feu, sa protection et sa mobilité au profit des troupes engagées. A contrario, les opérations défensives condamnent le char à l'immobilité, source d'une vulnérabilité accrue, exposant le char à un grand nombre de menaces.  Pour répondre à cette nouvelle donne, les responsables américains ont adopté une approche pluridisciplinaire en examinant les aspects techniques et humains d'une réponse à ces menaces. Côté technique, la modernisation des plateformes existantes est envisagée pour les doter de systèmes de protection active tels que l'Iron Fist adopté sur la dernière version du M2 Bradley. Sur le plan humain, la formation des équipages est également l'objet de réflexions en vue d'adapter les contenus et d'améliorer l’entraînement du personnel. 

Pour les futurs véhicules en cours de conception, la prise en compte des enseignements du conflit ukrainien devrait amener les remplaçants du Bradley et de l'Abrams à être dotés d'une protection renforcée sur leurs parties supérieures, être équipés de systèmes de protection active soft et hard kill complétés par des équipements électroniques destinés à réduire ou masquer la signature du véhicule ou à brouiller les menaces. Évidemment le NGCV mise sur l'architecture ouverte et modulaire des futurs engins, synonyme d'une intégration facilitée de nouveaux équipements ou logiciels pour doter l'engin de nouvelles capacités. Cette approche est également retenue par les industriels concernés soucieux de garantir à leurs futurs produits une capacité d'évolution indispensable et à assurer aux militaires la mise à disposition de flottes d'engins adaptés et flexibles. 


Au coeur de ces réflexions, figure bien sur le futur char sur lequel beaucoup de travaux sont déjà engagés, concrétisés par l'abandon en septembre dernier du processus de modernisation progressif et du standard SEP V4 de l'Abrams au profit d'une modernisation plus radicale symbolisée par le M1E3, probablement rebaptisé M1A3 à sa mise en service. Ce char qui ne prétend par représenter le "futur du char" devrait être plus léger, plus mobile avec une empreinte logistique moindre. Bien que peu de détails soient disponibles sur ces sujets, le Général Norman a indiqué que les tests et évaluations menés sur différents sous-ensembles installés sur des démonstrateurs technologiques apporteront des réponses décisives sur la configuration des futurs engins et ce dans tous les domaines. Le Général Norman a indiqué que la protection du M1E3 était encore trop faible pour être efficace face aux attaques par le haut, telles que vues en Ukraine et qu'une des principales préoccupations était l'amélioration de la protection de l'équipage face à ces menaces sans sacrifier la protection face aux attaques directes. Enfin détail intéressant ajouté par le patron du NGCV, la protection contre les attaques par la haut devrait inclure l'intégration native d'un système de protection active capable de détruire les menaces telles que les missiles, les drones ou encore les roquettes antichars. 


Concernant le remplacement du Bradley, dont le programme actuel constitue la quatrième tentative qui a franchi une étape importante avec la sélection des deux finalistes, Rheinmetall et GDLS avant le choix définitif devant intervenir en 2027. Pour l'officier américain, la conception du futur engin ne devrait pas subir de modifications significatives par rapport aux besoins exprimés par l'armée américaine, déjà largement inspirés des enseignements du conflit ukrainien. Contrairement au char, les deux projets présentés pour le programme OMFV répondent aux exigences de résistance de leur partie supérieure et offrent aux combattants embarqués une protection plus étendue, incluant un système de protection active hard-kill. A cela se rajoutent les différentes solutions de contre-mesures proposées par les deux industriels pour contrer les menaces et atténuer la signature électronique de l'engin. Ici aussi, le recours à une architecture modulaire ouverte (MOA Modular Open Architecture) est de rigueur pour assurer au futur engin une nécessaire capacité d'évolution et une flexibilité dans son emploi. Une des applications les plus intéressantes de cette modularité est formulée à propos de l'armement principal du futur VCI prévu pour recevoir un canon de 50mm. Le NGCV s'interroge sur la pertinence de remplacer sur certains engins d'une même entité tactique ce canon de 50mm par un canon de 30mm possédant une plus grande cadence de tir, tout comme sur celle de substituer aux missile antichars des munitions de précision telles que des roquettes guidées AGR-20 APKWS (Advanced Precision Kill Weapon System). Comme on le voit l'armée américaine poursuit ses projets sans exclure aucune solution technique ou tactique pour obtenir des engins dotés d'une efficacité maximale et capables d'offrir à leurs équipages une protection optimale.

 

Projet XM 30 Rheinmetall 

Ces engins qui devraient arriver à l'horizon 2030, devraient être le résultat d'un investissement de 3 à 4 milliards de dollars dans les technologies de modernisation, sans lequel le successeur du M1 risquerait de perdre sa suprématie sur les champs de bataille futurs. Un rapport du Army Science Board indique que l'absence de capacité dominante, donc de char remettrait en question les chances de succès de l'armée américaine sur n'importe quel théâtre d'opération, soulignant que tous les avantages du M1 en matière de puissance de feu, de mobilité et de protection sont aujourd'hui remis en question. En dépit d'un contenu global faisant consensus dans la communauté militaire, deux points de désaccord subsistent entre les auteurs du document et le NGCV. Le premier porte sur l'ampleur des ruptures technologiques envisageables dans les années à venir, que les militaires estiment moins massives que les rédacteurs du rapport, le second ayant trait à la pertinence du M1 sur le champ de bataille d'ici 2040, sur laquelle parient les militaires. 

Projet XM 30 GDLS

Il est évident que les militaires et l'ensemble de la communauté de défense continueront de scruter le conflit ukrainien et de travailler à l'élaboration de solutions, en espérant que celles-ci soient les meilleures pour la protection des soldats sur les futurs champs de bataille.

9 commentaires:

  1. "en espérant que celles-ci soient les meilleures pour la protection des soldats sur les futurs champs de bataille" : certains pays partent du principe que les pertes humaines sont inévitables et qu'il faut que les blindés soient efficaces et permettent la victoire, cette approche très loin de la guerre "sans mort" des pays occidentaux permet de concevoir des blindés plus simple moins chères plus facile à construire et à utiliser.

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  2. Les nouveaux vecteurs d'attaque par le toit sont effectivement une vraie nouveauté ; ou accentuation de la menace aérienne rapprochée.
    Il convient donc, peut être même plus qu'hier, d'accompagner systématiquement nos chars, et autres blindés, de véhicules d'accompagnement, de catégorie équivalente, anti aériens.

    On en revient toujours au même somme toute, l'accompagnement des principaux effecteurs terrestres, les chars, par leurs indispensables, VCI, antiaériens, génie, mortiers, artillerie, C4IRS, logistique, etcetera.
    Plus que uniquement le seul char lui même et ses seules performances intrinsèques (C'est un ensemble !!)...

    On notera également encore plus simplement, un certain "retour du réel" et d'expérience après plusieurs décennies de "fin de l'histoire" et de seules opérations totalement asymétriques.

    Attention cependant à la focalisation abusive. Les IED au Proche-Orient avaient abouti à l'achat de plusieurs milliers, dizaine de milliers même, de véhicule MRAP par l'armée américaine, des véhicules qui furent presque tous revendus au bout de seulement quelques années...

    Les APS, de toit, pour les moyens les plus lourds semblent être une piste intéressante également. Plus que le blindage pour une fois, sinon attention au surpoids.
    Contre les missiles et les roquettes “antichar”, ou encore les drones, cela ne devrait pas être un gros problème.

    Sur le surpoids des chars rétrofités actuels, une des solutions à ce probléme serait la mise en production de nouveaux chars modernes conçus nativement avec de nouveaux blindages modernes, beaucoup plus légers (- 40 % sur des blindages d'il y a 30 ans. Soit jusqu'à moins une dizaine de tonnes sur un char comme le M1.), comme Le K2 ou le KF51.
    Les autres anciens M1, au lieu encore de les rénover très couteusement, seraient mis en réserve ; ou donner à des gens qui ont aurait besoin ; comme actuellement ukrainiens, par exemple !!

    La différenciation des véhicules d'accompagnement allant également vers celle des VCI à proprement parlé, avec canon mitrailleur standard de 30 mm, et véhicule d'accompagnement d'appuis, avec canon de 76 mm, ou plus (Le 50 mm sera insuffisant contre des VCI de 50 Tonnes.).

    Et enfin, ne pas oublier que dans toute guerre, il y a des pertes, quoi qu'il en soit, et aussi sophistiqué, et chères, que soient les plateformes...

    En conclusion : La protection évidemment, plus que jamais même ; avec de nouveaux blindages modernes plus légers...

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  3. La protection active devient incontournable.

    Dans les protections passives :
    Devra-t-on avant tout se protéger des calibres ~25/50mm si "la bulle SATCP" et les protections actives arrivent à neutraliser la grande majorité de ce qui est "plus gros" (obus CC/Flèches, munitions plongeantes/manœuvrantes, RPG ...) ?
    Si oui, sur-blindages modulaires type caissons métalliques remplis de billes en céramique ?

    Il semblerait que nous allons vers la généralisation des camouflages BARRACUDA dans nos Armées, ce qui est une bonne chose. En attendant d'éventuels camouflages adaptatifs.

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    1. Les systèmes de protection active N'arrivent PAS à neutraliser ni "la grande majorité de ce qui est "plus gros"", ils en sont encore très très loin, ni celle de 50 mm ou même de 25 mm APDS.

      Par contre, contre ce qui est missile antichar, ou évidemment drones plus encore, ils sont en effet parfaitement performants, mais contre ce type de menaces uniquement...

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  4. Le triptyque historique vera-t-il un renforcement de la protection au détriment de la mobilité et du feu ? L'allègement recherché devra trouver un équilibre avec les techniques et tactiques de protection, pour autant quelles soient utilisables et accessibles.

    Sans nul doute, les moyens d'agression évolueront aussi en terme de puissance, de portée et d'efficacité, au risque de rendre les effecteurs terrestres et leurs servitudes invivables, donc "inhabitables".
    Le global du "mécanisé blindé" risque de prendre une trajectoire exponentielle avec l'ensemble des moyens humains et matériels nécessaires à sa mise en oeuvre ainsi que la protection de l'ensemble qui va de l'espace à la tranchée, en passant par sa logistique.
    Les notions de politique, technique, masse et recul stratégique n'ont pas fini d'être dissertées.

    Exagération, non, même les "très légers" recherches une protection face à l'agression qu'il ne faut pas nommer..., en attendant "la prochaine". Le cumul risque d'être conséquent.

    https://www.twz.com/news-features/russia-adds-anti-drone-cope-cages-to-all-terrain-buggies-motorcycles

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  5. De toute manière, pas trop le choix..
    Curieux de voir le futur blindé de toute les armées, après retex,un méga scarabée, pour les optiques là il va falloir être inventif..

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    1. Pour contrer les effets des 152/155 mm, effectivement, il n'y a pas beaucoup de solutions si ce n'est dupliquer les "capteurs" et mieux protéger les éléments externes (?).

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    2. Question de portée du canon, et autres, protection, défense antiaériennes, mobilité, discrétion, compactivité, etc...

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  6. Le char du futur ne pourrait- il pas être conçu comme une base de défense aérienne et électronique autonome, disposant sous couverture satellitaire essentielle et déterminante sur les fronts, de ses propres systèmes de brouillages locaux et avec au moins sur son ciel direct ( et gérable en adaptation terrain par le chef de char) la mise à disposition de deux drones d’appui et trois drones d’attaques kamikazes ?

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