2025 : ENCORE UNE ANNEE PERDUE ?

L'audition à l'Assemblée Nationale du Délégué Général pour l'Armement (DGA) dans le cadre de l'examen du Projet de Loi de Finances (PLF) 2026 n'a pas contribué à éclaircir la question du char de transition, dont la nécessité ne semble pas évidente pour Emmanuel CHIVA. Les propos tenus devant la représentation nationale ont cependant permis d'apprendre un certain nombre d'éléments sur l'avenir du segment de décision de l'armée de terre. Précisions sur lesquelles Blablachars souhaite revenir dans les lignes qui suivent. 

La première information communiquée au cours de cette audition nous apprend que pour le MGCS (Main Ground Combat System) "placé  sous direction allemande [...] cette fin d’année, voire le début de la suivante, sera aussi déterminante." Ce qui est présenté comme un nouveau virage décisif pour ce programme, n'est en fait que la énième péripétie d'un projet  initié il y a maintenant plus de neuf ans. Parmi les années "déterminantes" du MGCS, on peut citer 2015, date de création de KNDS, 2019 année de l'irruption de Rheinmetall dans le projet, 2020 qui voit la signature d'un (premier) accord ministériel portant sur les études d'architecture. En 2021 c'est le Parlement allemand sortant, qui pour cause d'élections n'adopte pas le financement du projet et laisse aux prochains parlementaires le soin de le faire créant de facto un retard supplémentaire dans le programme. En 2022 est évoquée la possible arrivée d'un quatrième partenaire dans le projet, liée aux tensions autour de l'attribution de la MILSA (MGCS Industrial Lead System Architecture). Cette liste déjà longue est complétée au gré des humeurs berlinoises par des déclarations de nature très variable parmi lesquelles celles de Ralf Ketzel, CEO de KNDS pour qui le MGCS est un projet essentiellement politique. Et comment oublier la signature en avril 2024 de l'accord interministériel qui officialise l'arrivée d'un quatrième "partenaire" en la personne de Thales Six GTS et le partage des huit piliers industriels du projet, à l'exception du pilier 2 "Feu principal" dont l'avenir n'est toujours pas figé. En réponse aux esprits chagrins qui s’interrogeraient sur l'avenir du programme, le DGA précise dans son audition que "le MGCS n’est pas arrêté, il n’est pas en défaut, il est simplement en démarrage."  Une mise en route de neuf ans pour un programme dont l'échéance n'a cessé de reculer sans que ces décalages ne suscitent du côté français, autre chose que des justifications alambiquées ou des silences gênés pour ne pas dire coupables. 

Malgré les assurances fournies sur l'avenir du MGCS, le DGA aborde dans la suite de son audition le sujet d'un char de transition entre notre Leclerc national et le futur engin dont le DGA nous dit qu'il sera opérationnel en 2040 ! Il est agréable de constater qu'après des années de déni et de propos lénifiants, la question de la survie de notre segment de décision(ou de rupture) est enfin abordée au plus haut niveau. Après avoir évoqué il y a quelques mois, dans un entretien au magazine Challenges, la possibilité d'une fabrication sous licence d'un char étranger, le DGA s'interroge devant les parlementaires sur le "maintien d'une capacité de char lourd alors que les chars Leclerc vont être frappés d'obsolescence." Une telle lucidité fait plaisir à voir quand on voit l'étendue de la revalorisation du Leclerc qui ne traite même pas l'obsolescence principale du char, à savoir sa motorisation et ne lui permet pas de recevoir les équipements désormais présents sur les chars modernes, déjà évoqués à de nombreuses reprises dans ce blog. La simple adjonction d'un système de remorquage sous le feu n'a même pas été envisagée, ni même l'installation de la moindre caméra périphérique, équipement que l'on trouve aujourd'hui sur de nombreuses voitures de série ! 

XLR (Photo KNDS France)

Au-delà de ces arguties techniques, on peut se demander si la question du maintien d'une capacité char lourd relève bien des attributions de la DGA qui donne l'impression de venir sur le terrain des opérationnels. Ces derniers semblent d'ailleurs moins catégoriques sur le sujet comme l'indique le CEMAT qui reconnait "n’avoir pas d’idée arrêtée, aujourd’hui, sur ce que sera la solution pour l’avenir de court, moyen et long terme."  Les réserves sur le cout d'une éventuelle solution de transition qui ne devra "pas couter trop cher" alimentent les hésitations françaises sur le sujet, également portées par les craintes que suscitent les futures technologies et la peur de rater la marche de leur intégration sur les engins de la future génération. Selon cette logique, l'adoption aujourd'hui d'un char de transition doté d'une architecture ouverte et évolutive reviendrait donc à priver notre pays de toute solution future, dont les premiers contours ne sont esquissés que par de vagues concepts de multi plateformes, de cloud de combat ou encore de système de systèmes...Nos hésitations nationales contrastent fortement avec les décisions de très nombreux pays qui ont décidé de se doter d'un engin blindé de transition, leur permettant de conserver une véritable capacité blindée lourde et d'attendre dans de bonnes conditions (opérationnelles) l'arrivée des futurs engins. Sans oublier que nombre de ces pays ont également pris des parts dans le développement des futures technologies.

Enfin, il est important de rappeler qu'une capacité qui n'est pas maintenue ou conservée même de façon temporaire est une capacité condamnée à l'abandon, dont la remontée en puissance nécessitera de (très) longues années. Si la capacité de char lourd n'est pas maintenue dans les années qui viennent avec l'adoption d'un char de transition, ou une véritable rénovation du Leclerc, cette capacité disparaitra donc inexorablement de l'armée de terre pour de longues années. Cette disparition capacitaire aura pour conséquence de voir arriver le MGCS sur une "terre brulée" doctrinale, vidée de toute compétence et référence blindée lourde. Les difficultés actuelles de l'armée de terre dans plusieurs domaines montrent que la récupération de capacités perdues est compliquée même si elles étaient auparavant des domaines d'excellence. La faiblesse de nos moyens de Défense Sol-Air, de franchissement, de bréchage ou de logistique illustrent parfaitement ce qui attend les chars en cas d'abandon capacitaire. 

 

Dans sa conclusion des Journées Nationales de la Cavalerie, le Général Philippe LE CARFF Sous Chef Plans Programmes (SCCP) à l’État-major de l'Armée de Terre (EMAT) avait déclaré qu'il ne souhaitait plus qu'on lui vende du rêve, qu'il voulait en avoir pour son argent (qui est un peu aussi le notre) et que "ce qui ne marche pas, ne marche pas !" Il donc est peut-être temps de reconnaitre les erreurs commises, d'arrêter un programme qui ne marche pas, qui n'a produit aucun résultat tangible depuis neuf ans et nous coute depuis ce même nombre d'années "un pognon de.... "Les questionnements et les doutes exprimés par le DGA au cours de son audition, alimentent un débat qui dure depuis de trop longues années et qui risque de nous priver demain de toute capacité blindée. Une mise en garde exprimée par le Général Le Carff selon qui "si les décideurs ne sont pas convaincus par l'utilité du char aujourd'hui, il n'y aura pas de char demain."  L'année 2025 qui devait être une année capitale, sera probablement une année perdue, ponctuée comme les précédentes des mêmes questionnements, hésitations, et atermoiements autour du char et de son avenir dans l'armée de terre. 

Commentaires

  1. Je ne suis, hélas, surpris par rien si ce n'est une chose, que je trouve complètement hallucinante: Que la DGA émette un avis sur l'opportunité de conserver ou non le segment chars dans l'attente de l'hypothétique MGCS.

    Ce n'est pas du tout dans leurs attributions, et je trouve très très problématique ce glissement.

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