LA VJTF 2022, ENTRE INDIFFERENCE ET OCCASION MANQUEE

C'est dans une relative indifférence que la France s'apprête à prendre le commandement de la VJTF (Very High Readiness Joint Task Force) de l'Otan à compter du 1er janvier. La création de cette force a été décidée en 2014 en réponse aux crises survenues au Moyen Orient et en Ukraine, pour permettre à l'Otan de disposer d'une force disponible en permanence et capable de se déployer sur court préavis au profit d'un des membres de l'Alliance. La VJTF constitue l'élément de réaction immédiate de la force de réaction de l'Otan ou NRF (Nato Response Force) composée 40000 hommes. Pour l'année qui vient, la VJTF s'articulera autour d'un noyau formé par la Brigade franco-allemande et ses deux régiments français, le 3ème Régiment de Hussards sur AMX 10RC et le 1er Régiment d'Infanterie équipé de Griffon, auquel viendront s'ajouter des unités espagnoles, portugaises, allemandes et polonaises. Le commandement de cet ensemble sera assuré par le CRR-FR (Corps de Réaction Rapide-France) basé à Lille. Au regard de la position de la France dans cette VJTF, la relative indifférence entourant la prise de commandement française et l'absence de communication autour de la préparation de cette échéance opérationnelle restent difficile à comprendre et peuvent s'expliquer par plusieurs facteurs. Les raisons évoquées dans les lignes qui suivent renforcent le sentiment que la France a perdu une occasion unique d'entrainer une de ses unités blindées au combat de haute intensité dans un contexte multinational et sur un terrain européen.

UNE MINE QUI ATTAQUE PAR LE HAUT

On connaissait la mine bondissante et la mine à effet dirigé, la mine antichar russe présentée au Forum Army 2021 combine en une seule arme les caractéristiques de ces deux types de mines. Exposée au salon EDEX 2021, la mine antichar russe PTKM-1R fait partie de ces armes antichars peu médiatisées en dépit d'une efficacité redoutable. Cette mine d'un poids de 20 kg qui est capable de détecter un char dans un rayon de 50m grâce à ses capteurs thermique, radar et sismique, possède la particularité d'attaquer son objectif par le haut en ciblant le toit de tourelle. Le projectile éjecté après détection contient 2,8kg d'explosif ainsi qu'une charge creuse capable de percer au moins 70mm de blindage. La PTKM-1R permet de contourner les systèmes de protection active en attaquant par le char par le haut qui est souvent la partie la moins blindée du char. A noter que ce "charmant" engin est proposé à l'exportation par Rosoboronexport, qui a réalisé la vidéo ci-dessous destinée à la promotion de cette mine. 

ALIMENTATION HYBRIDE POUR LE XM 913

L'augmentation des calibres des armements de bord des futurs VCI (Véhicules de Combat d'Infanterie) impose de nouvelles contraintes aux concepteurs des engins mais également à ceux d'un certain nombre de systèmes "annexes" mais essentiels. L'alimentation de ces armes en munitions de différents types doit permettre de garantir l'efficacité opérationnelle de l'arme en limitant au maximum les risques mécaniques liés aux différents organes impliqués. La récente publication d'une vue représentant le système d'alimentation du canon de 50mm XM913 est dit hybride car associant dans un seul mécanisme les caractéristiques de deux systèmes existants, déjà produits par la firme américaine Nobles.

LE K2 NO ARRIVE EN NORVEGE

L'arrivée hier en Norvège du navire Platinum Ray marque le début de la campagne d'essais et d'évaluation des deux chars en lice pour le remplacement des Leopards 2A4 norvégiens. En effet ce navire transportait un char K2NO qui a débarqué du navire pour être acheminé vers un lieu inconnu. Sur les images, on peut voir que le char est dépourvu du système de protection active Trophy qui était monté sur l'exemplaire du char présenté au Salon ADEX 2021. Le char sud-coréen est opposé à la dernière version du Leopard 2, le Leopard 2A7 dont les premiers exemplaires ont été livrés à l'armée allemande ces derniers mois. L'opposition entre les deux engins remet sur le devant de la scène la concurrence entre les deux fabricants mais aussi l'opposition entre deux engins de conception et de génération différente. Le K2 développé dans les années 2000 est un char de troisième génération qui intègre un certain nombre de technologies modernes dans un gabarit compact, adapté aux conditions qu'il pourrait rencontrer en Norvège. A contrario, le Leopard 2 en dépit de ses nombreuses rénovations peine à faire oublier une conception remontant aux années 70, bien que constamment améliorée. Cette différence de génération se retrouve dans la composition de l'équipage des deux engins, dans ce domaine, l'équipage de trois hommes du char sud-coréen pourrait être un argument décisif pour une armée aux effectifs comptés.

PREMIERE APPARITION DES NEMO SAOUDIENS

Une récente inspection d'une unité de la Garde Nationale saoudienne a donné l'occasion de découvrir pour la première fois un engin équipé d'un mortier sous tourelle NEMO. Trente-six exemplaires de ce système développé et produit par la firme finlandaise Patria ont été acquis  par la Garde Nationale saoudienne qui les utilise sur un châssis de LAV II produit par GDLS-Canada. Cette firme a également obtenu en 2014 un contrat pour la fourniture de plusieurs centaines de véhicules blindés LAV-700 déclinés en différentes versions. Le NEMO est un mortier de 120mm rayé installé dans une tourelle téléopérée qui peut être montée sur une grande variété d'engins. Le NEMO peut tirer à l'arrêt et en déplacement entre 6 et 10 coups par minute à une portée maximum de 10km. 

UN NOUVEAU CANDIDAT POUR LE FUTUR APPEL D'OFFRES MALAISIEN

Iveco Defense participera à l'appel d'offres malaisien pour la fourniture de 400 véhicules blindés 6x6 destinés à remplacer les UR 425 Condor et AFSV90. Le VBTP Guarani qui devrait être proposé par la firme italienne serait opposé au K806 de Hyundai, le Pars 6x6 de FNSS, le LAV II et l'Anoa 2,version malaisienne du VAB 6x6. Le constructeur italien pourrait s'associer à la firme israélienne Elbit Systems pour la version tourellée de l'engin et l'intégration de différents équipements de communication, de surveillance ou de gestion du champ de bataille. IVECO affrontera sur ce marché une concurrence bien implantée localement et disposant d'arguments susceptibles de convaincre les autorités malaisiennes. Le Pars 8x8 de la firme turque FNSS est fabriqué sous licence entre 2014 et 2020 sous le nom de Gempita 8x8 et dont certains exemplaires sont équipés d'une tourelle Denel. Le K806 a déjà été évalué par l'armée malaisienne et semble avoir les faveurs des officiels malaisiens, tandis que l'Anoa est une fabrication locale du VAB 6x6. GDLS-C avec le LAV II ou VBL III demeure quant à lui dans une situation assez similaire à IVECO avec une implantation locale réduite et aucune fabrication sous licence dans le domaine des engins blindés. L'appel d'offres devrait être publié dans les premiers mois de 2022 pour une remise des offres prévue en novembre prochain. 

INCERTITUDES KENYANES

Le blocage par l'administration américaine de l'offre de Textron pour la fourniture de 50 blindés Commando en réponse à un appel d'offres lancé par l'armée kényane en 2016. Au-delà du trouble que cette décision a jeté sur ce marché, le refus de l'administration Biden constitue pour les firmes concurrentes, une occasion inespérée de remporter ce marché portant sur une soixantaine de véhicules blindés de combat d'infanterie et de reconnaissance. Parmi ces sociétés, on trouve les deux firmes turques, Otokar et Katmerciler, la première proposant l'Akrep II et la seconde le Hizir. Ce dernier avait fait l'objet d'un accord en janvier dernier portant sur la livraison de 118 véhicules pour une valeur de 70 millions de dollars dont les modalités de financement seraient à l'origine des difficultés rencontrées par la firme de l'homme d'affaires Furkan Katmerci dans l’exécution de ce contrat. Proche des milieux présidentiels, l'industriel turc serait engagé dans une négociation avec les organismes de crédit-export turcs pour obtenir un assouplissement des conditions financières contenues dans ce contrat. Otokar, fort de plusieurs succès en Afrique avec le Cobra II et l'Arma propose l'Akrep II dont la dernière version a été présentée au cours du Salon IDEF 2021. Déclinable en plusieurs versions dont une armée d'un canon de 90mm, peut embarquer jusqu'à six combattants dans sa déclinaison infanterie. Face à cet activisme turc omniprésent en Afrique, la France pourrait néanmoins tirer son épingle du jeu sur le marché kényan avec Arquus, qui a suivi avec attention les évolutions de ce dossier et proposerait son VAB Mk3 pour équiper les forces de défense kényanes. Alors que le marché de l'armement africain est ultra dominé par la Chine et la Turquie, le savoir-faire français associé à la persévérance d'Arquus pourrait faire la différence sur le contrat kényan pour apporter un nouveau succès au constructeur français.