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samedi 1 février 2020

LE LECLERC, DERNIER CHAR FRANCAIS ? 2ème Partie.


La deuxième partie de mon article sur le Leclerc. Après les succès de l'AMX 13 et de l'AMX 30, le Leclerc arrive dans l'armée de terre avant de séduire les Émirats Arabes Unis. 




2/ LE LECLERC : A CONTRETEMPS DE L’HISTOIRE

En octobre 1990, la chute du mur de Berlin emporte avec elle la guerre froide et inaugure une ère de multi polarité que certains imaginent radieuse. Les « dividendes de la paix » doivent être promptement encaissés et les budgets de défense des pays occidentaux connaissent une décroissance inédite. La libération du Koweït sous la bannière américaine et le début des opérations en Ex Yougoslavie ne changent que peu la donne et les leçons de ces engagements dans le domaine blindé sont assez vite oubliées. Dans ce contexte, la mise en service d’un char comme le Leclerc, conçu pour affronter les forces du Pacte de Varsovie apparait à certains comme illusoire voire inutile.

Les débuts
Pourtant en janvier 1994, le premier peloton équipé de ce char est confié au 2ème escadron du 503ème Régiment de Chars de Combat, stationné à Mourmelon et traditionnellement voué à recevoir les nouveaux matériels blindés de l’armée de terre. Le char dans sa version T2 n’est pas mature, les solutions techniques sont en place, mais faute de recul, de nombreuses solutions sont validées de façon empirique et a posteriori par les services officiels. Avec le recul, on peut penser que le choix fait par l’armée de terre a été judicieux, les circonstances du moment menaçaient clairement l’avenir du char, sa mise en service « hâtive » lui permettant de passer du stade de prototype à celui de char opérationnel. Outre ces considérations internes, la mise en service du char dans notre armée permettait de conforter sa position sur des marchés potentiels à l’exportation. L’avenir a donné raison aux décideurs du moment, avec le développement du char et la commande des Emirats Arabes Unis quelques années plus tard. Le concept retenu pour la livraison des chars aux équipages est lui aussi novateur, avec la création d’un Centre de Formation et de Perception Leclerc (CFPL) à Carpiagne dans les Bouches du Rhône. Un embranchement ferroviaire est construit pour amener les chars neufs en provenance de Roanne jusqu’à ce centre, dans lequel les équipages reçoivent une formation de base avant de prendre en compte leurs engins et de poursuivre l’instruction. La proximité du camp de Canjuers dans le Haut Var permet le déroulement des campagnes de tirs pour les équipages nouvellement formés. Le tir est en lui-même une révolution avec la prise en compte de la capacité de tir en mouvement du char et la définition de nouveaux parcours. Le développement et la mise en service de nouveaux simulateurs reproduisant les mouvements de la tourelle et du char occupent les centres de formation et L’École d’Application de l’Arme Blindée Cavalerie à Saumur. Avec ces outils l’armée de terre découvre une nouvelle génération de simulateurs plus proches de ceux employés par les aviateurs que ceux utilisés jusqu’à présent. Parallèlement à cela, le char est présenté à de nombreuses visiteurs tant étrangers que français et nombreux sont ceux qui repartent impressionnés par ce qu’ils ont vu même si parfois la technique crée de petites perturbations dans les scenarii. Ces années d’expérimentation sont marquées par la volonté de chacun d’aboutir à la Mise en Service Opérationnelle (MSO) du char dans les meilleurs délais, afin de le rendre définitivement apte à son emploi au sein des forces.

Des soutiens mitigés 
Cette phase expérimentale est bien comprise par ses acteurs ; pourtant une petite musique désagréable commence à se faire entendre dans nos armées ; Celle d’un char couteux, lourd, mal conçu (?) et finalement inutile. Cette forme de dénigrement se nourrit des difficultés rencontrées et d’une méconnaissance totale de l’engin et de ses performances, qui s’affirment chaque jour plus incroyables et impressionnantes. Parmi les exemples les plus marquants, on peut relever celui de ce colonel affirmant à un journaliste anglo-saxon que l’armée française s’est payée un char « inutile et couteux » ; ou celui de cet officier général affirmant au cours d’une démonstration devant un parterre d’officiers et de civils, que le Leclerc est « quand même bien cher pour ce qu’il fait » (sic) ou cet autre officier général émettant des doutes devant une délégation étrangère sur l’utilité du char pour l’armée française ! Ce bruit de fond renforce la perception négative du char, rapidement rendu responsable des malheurs financiers des autres armes, voire des autres armées. La situation internationale renforce cette idée de char inutile pour les guerres présentes et futures (on saluera la clairvoyance des penseurs de l’époque), pouvant être menées par des forces légères, le char ayant en outre le défaut d’impressionner les populations et d’abîmer les routes. Les avantages procurés par le blindage, la puissance de feu et les capacités d’observation du char ne semblent pas être suffisamment évidents pour être retenus. La MSO prononcée à la fin des années 90 verra l’engagement des Leclerc au Kosovo dès 1999 puis quelques années plus tard au Sud-Liban à l’occasion du déploiement de la FINUL II en 2006. Ces engagements importants pour le char et les équipages resteront cependant limités en volume, en durée et en emploi, souvent restreint à des activités de patrouilles, d’escorte ou de surveillance. Ces opérations a minima consacrent le Leclerc dans un rôle de composition : celui d’une arme de dissuasion dont la simple possession pourrait suffire à effrayer un adversaire. Les performances du Leclerc méritent que l’on en fasse un autre usage.

Une commande unique. 
C’est sur les rives du Golfe arabo-persique que le char trouve son premier (et unique) client ; l’achat par les Emirats Arabes Unis du Leclerc provoque un regain d’intérêt pour le char et pour la formation des équipages émiriens [1]. L’exotisme de la destination et d’autres facteurs font oublier à certains leurs critiques à l’encontre du char, ils sont heureusement rapidement rejoints par de véritables passionnés et connaisseurs de l’engin. Ce n’est que vingt ans après que le char connait son premier engagement. En mars 2015 le char est déployé par les Emirats Arabes Unis au sein de la coalition arabe opérant au Yémen. Le char donne toute satisfaction à ses utilisateurs par ses performances, sa compacité, sa qualité de fabrication et sa résistance, tant aux agressions du champ de bataille que de l’environnement. En service depuis plus de vingt ans dans les armées françaises et émiriennes, le char Leclerc reste en outre un formidable moteur de la coopération militaire entre les deux pays. Les nombreux échanges et missions se poursuivent avec le Club Leclerc [2], le séjour des officiers stagiaires de L’École de Cavalerie de Saumur, ou la formation de personnel émirien dans les écoles et centres de formation français. L’engagement au Kosovo de chars Leclerc émiriens illustre le degré de coopération atteint entre les deux armées. C’est toute une génération d’officiers des deux armes blindées qui auront appris à se connaitre et auront développé des relations étroites entre les deux armées, dont les résultats sont aujourd’hui encore visibles en termes de confiance, de coopération et de pratique de la langue française. Un remplaçant européen ou binational du Leclerc servirait-il les intérêts français d’aussi brillante manière ? 

[1] Action de formation qui s’est achevée en décembre 2016
[2] Réunissant à échéance régulière des membres des deux armées sur des sujets se rapportant, entre autres, à l’utilisation du char et à la formation et des équipages