Depuis l'annonce hier de la conversation téléphonique entre le Président de la République et son homologue ukrainien au cours de laquelle M Macron a évoqué le transfert de chars légers AMX 10 RC à Kiev, un débat a vu le jour sur la nature exacte de cet engin. Au-delà de la portée médiatique et politique de cette annonce, de ses conséquences potentielles et du débat sémantique sur la nature exacte de l'AMX10RC, Blablachars souhaite souligner à travers l'histoire, l'emploi et les performances de cet engin que la France ne fournit pas un char à l'Ukraine, en dépit de nombreuses possibilités d'emploi par les forces ukrainiennes.
L'histoire
de l'AMX 10RC, son emploi, son armement (canon de 105mm), sa capacité
antichar et sa mobilité tout chemins ont souvent entrainé son classement
comme char,parfois qualifié de léger et/ou moyen. Cette confusion est
entretenue par l'utilisation essentiellement médiatique du vocable
anglo-saxon de tank, ou celui de char pour désigner tous les véhicules
blindés. Pourtant en anglais comme en français les définitions précises
existent comme celle donnée par le Petit Robert : "engin blindé et armé, monté sur chenilles (antichar)" ou celle plus complète donnée par le Larousse : "véhicule
de combat automoteur, à chenilles, entièrement blindé et armé
essentiellement d'un canon effectuant normalement du tir direct". De l'autre côté de la Manche, le Cambridge livre également une définition précise du mot tank : "a
large military fighting vehicle designed to protect those inside it
from attack, driven by wheels that turn inside moving metal belts". L'histoire du mot tank vient de la Première Guerre Mondiale au cours de laquelle les Britanniques introduisirent les premiers engins blindés, chenillés et armés. Pour dissimuler leurs travaux, le nom de code du projet fut tank ou réservoir, afin de faire croire aux Allemands que l'engin était destiné au ravitaillement en eau des troupes sur le front. Le mot tank a perduré depuis cette date, parfois utilisé à mauvais escient par rapport à son origine historique.
Plus près de nous, au début des années 1970 la France qui cherche depuis le milieu des années 1960 un remplaçant à l'EBR (Engin Blindé de Reconnaissance) lance le développement d'un engin plus moderne que ce dernier. L'idée qui prévaut pour la conception de l'AMX 10RC est d'utiliser le châssis de l'AMX 10P engin chenillé transport de troupes, de le doter de six roues en lieu et place des chenilles et d'un canon de 105mm, hérité du programme ERAC (Engin de Reconnaissance Amphibie à Chenilles) développé puis abandonné au milieu des années 1960. Le véhicule conçu est appelé AMX 10 RC car il est issu des Ateliers d'Issy les Moulineaux, pesant initialement 10 tonnes et doté de roues et d'un canon. Sa capacité amphibie, avec une propulsion par hydrojets doit permettre au futur engin de reconnaissance de franchir de façon autonome les coupures humides, ses six roues motrices lui assurant une mobilité satisfaisante en tous chemins, tandis que son canon rayé de 105mm F2 BK Meca L/48 (d'une longueur de 48 calibres) lui permet de tirer une large gamme de munitions allant de l'obus explosif (OE) à l'obus flèche (OFL) en passant par l'obus charge creuse (OCC). En outre, son système de direction par ripage sans roues directrices lui permet de manœuvrer plus aisément dans des espaces réduits. Les 190 premiers engins sont commandés en 1977, un total de 650 AMX 10 RC seront réceptionnés par l'armée de terre entre cette année et 1982.
A son entrée en service, l'AMX 10 RC équipe les Régiments Blindés de Division d'Infanterie (RBDI) et les Régiments Blindés de Corps d'Armée (RBCA) à raison de 36 engins par régiment complété par un escadron antichar Milan pour les RBDI et un escadron antichar sur VAB HOT pour les RBCA. Appartenant aux Éléments Organiques de Corps d'Armée (EOCA), ces "régiments de découverte" doivent favoriser l'engagement du Corps d'Armée avec la capacité de mener un coup de poing antichar grâce à leur armement et à leur action combinée avec les missiles antichars. Au sein des Divisions d'Infanterie, les AMX 10 RC du RBDI permettent de fournir un appui feu conséquent aux unités d'infanterie plus légèrement armées, et d'effectuer des missions de reconnaissance blindée. La création de la Force d'Action Rapide en 1984 se traduit par la création de plusieurs unités de niveau divisionnaire. D'eux d'entre elles se voient dotées de deux régiments d'AMX 10RC, à savoir la 9ème Division d'Infanterie de Marine (9ème DIMa) et à la 6ème Division Légère Blindée (6ème DLB). En cas d'offensive du Pacte de Varsovie, la mission de la FAR consiste à engager le
plus vite possible et le plus en avant (en Allemagne), des unités françaises en privilégiant la mobilité plutôt que la puissance. Cette
mission éminemment politique, devait fournir la preuve de la volonté
française de s'engager en Europe aux côtés des Alliés sans que la FAR ne
soit sous commandement OTAN. Ce nouveau corps expéditionnaire composé
de soldats professionnels ou le devenant
comme le 1er Régiment de Spahis à l'occasion de son transfert des FFA à
la 6ème Division Légère
Blindée. En outre, privilégiant la mobilité à la puissance cette grande
unité n'intègre aucun élément blindé mécanisé, la composante blindée de
la FAR étant composée de 72
AMX-10RC, 72 ERC-90 et 72 AML-90. L'exercice Moineau Hardi qui se
déroule en 1987 valide le concept d'emploi de la FAR qui devient alors
l'outil privilégié de l'armée de terre pour la projection de forces. En
1990, la Division Daguet est constituée selon ce concept de force expéditionnaire dont la composante blindée est initialement constituée de deux régiments sur AMX 10RC et d'un escadron sur ERC 90 Sagaie. Face à une possible résistance blindée irakienne, cette composante blindée est renforcée "en catastrophe" par les 40 chars AMX 30B2 du 4ème Régiment de Dragons désigné le 10
décembre 1990 pour renforcer la Division Daguet. Alors que la FAR est composée de soldats professionnels (seuls engagés dans l'opération), l'Arme Blindée Cavalerie ne compte à ce moment que deux escadrons d'AMX 30 professionnalisés, ne permettant pas d'engager un nombre plus important de chars lourds. Ce manque est comblé par les AMX 10RC dont la mobilité se révèle un atout précieux dans l'éxécution de la mission de couverture de l'offensive terrestre de la coalition, confiée à la Division Daguet. Les images et commentaires de l'époque parlent des chars français engagé dans l'opération, faisant l'amalgame entre les AMX30B2 et les AMX 10RC, dotés tous les deux d'un canon de calibre identique et capables de détruire des chars. L'engagement des AMX 10 RC impose plusieurs modifications techniques visant à renforcer la protection des engins, qui de facto perdent leur capacité amphibie en raison du poids ajouté.
En 1990, un programme de rénovation de l'engin est lancé, visant à maintenir 256 engins en service opérationnel jusqu'à l'horizon 2020-2025. Les AMX 10 RCR (Rénovés) bénéficient de plusieurs améliorations au niveau du châssis (commande de boite, commande de suspension, ...) et de la tourelle avec l'intégration du SIT (Système d'Information Terminal), l'allongement de la nuque ou l'intégration de lanceurs Galix. La dernière modification apportée à l'AMX 10RC est l'ajout d'une protection contre les effets des Engins Explosifs Improvisés (EEI) connu sous le nom de SEPAR pour SystèmE de Protection EEI pour AMX 10 RCR, dont on a pu voir plusieurs exemplaires en opération au sein des Groupements Tactiques de l'Opération Barkhane.
Bien que n'étant pas un char sur le plan historique et technique, l'AMX 10RC reste néanmoins un très bon engin, doté des qualités lui permettant de remplir les missions pour lesquelles il a été conçu, à savoir la reconnaissance et la conduite d'actions ponctuelles. "Doté d'une très bonne mobilité sur route et en tout chemins" selon le site du MinArm, l'AMX 10RC a été conçu pour mener un combat rapide dans le cadre de missions de reconnaissance ou d'actions ponctuelles au sein de dispositifs interarmes. Les AMX 10RCR français utilisent aujourd'hui les munitions de 105mm suivantes : L'OCC 105 F3 pouvant percer jusqu'à 350mm d'acier (150mm à une incidence de 60°), l'OE 105 F3 à fragmentation, l'OFUM 105 F3 et enfin l'OFL 105F3 pouvant détruire un char jusqu'à une distance de 2000m grâce à l'utilisation d'un barreau en alliage de tungstène propulsé à une vitesse de 1400m/s. Toutes ces munitions sont au standard 105x527R et ne sont pas compatibles avec les munitions OTAN de calibre identique. La mise en œuvre de cet armement est assurée par une conduite de tir de type COTAC (Conduite de Tir Automatique pour Char) associée à un télémètre laser, l'ensemble permettant le tir à l'arrêt sur des objectifs ou mobiles. Le chef dispose d'une lunette panoramique capable d'observer sur 360° permettant d'effectuer des tirs en mode hunter-killer. L'observation et le tir de nuit sont possibles grâce à une caméra thermique DIVT16 installée au poste du tireur et dont les images sont restituées sur un moniteur.
En dépit des caractéristiques et des éléments historiques évoqués ci-dessus, il est aisé de comprendre que l'emploi du mot char ou tank répond à des nécessités médiatiques et politiques. Cependant le véritable enjeu est de faire comprendre à tous ceux qui s'intéressent à la question, que la France en fournissant à l'Ukraine des AMX10RC, ne fournit pas un engin capable d'affronter frontalement un char lourd comme ceux utilisés par les forces russes. Quelque soit le volume d'engin fournis et leur nature (AMX10RC ou RCR), les AMX10 RC fournis par la France ne constitueront pas un "game changer" selon la terminologie à la mode. En revanche, ces engins permettront probablement aux forces ukrainiennes de mener des missions de reconnaissance sur les flancs ou en avant des dispositifs. Ces engins peuvent également être employés dans la défense de points particuliers. Les AMX 10RC peuvent également constituer une réserve blindée particulièrement efficace grâce à leur mobilité sur route les rendant capables d'intervenir rapidement. L'escorte de convois logistiques (ou autres) peut également être confiée à un détachement d'AMX 10RC, pouvant fournir du renseignement ainsi que des feux directs puissants en cas d'agression. En zone urbaine, les AMX 10RC peuvent être intégrés au sein de Détachements InterArmes (DIA) pour des actions de reconnaissance et d'appui au profit des éléments d'infanterie. Engin comme tout engin blindé, l'AMX 10RC permet de renseigner grâce à ses moyens optiques (lunette tireur x10, lunette chef x8) et ce de jour comme de nuit. L'accomplissement de ces missions va rapidement poser la question du soutien de ces engins, dans les domaines du maintien en condition et du ravitaillement. Habituellement déployés au sein de dispositifs intégrant les éléments logistiques nécessaires à leur maintien en condition, les AMX 10RC fournis à l'Ukraine ne pourront pas compter sur la présence de ces mêmes éléments pour leur soutien. La combinaison d'une utilisation intensive et de l'absence d'échelons de soutien dédié pourrait peser rapidement sur la disponibilité des engins fournis. Dans le domaine du ravitaillement, l'engagement d'AMX 10RC en Ukraine va imposer la mise en plac d'une filière d'approvisionnement spécifique pour les munitions de 105mm. Outre cette mise en place, la question des stocks existants et disponibles devrait également se poser assez rapidement au vu des consommations constatées depuis le début du conflit.
Si l'initiative française annoncée par l'Elysée peut être de nature à changer la donne dans le domaine du soutien à l'Ukraine par les pays occidentaux, elle ne saurait infuencer le cours des opérations en cours. Beaucoup de questions subsistent sur les contours exacts de cette initiative en termes de volume, de délais, de formation et de soutien. Les semaines qui arrivent devraient nous apprendre plus sur le sujet et particulièrement sur l'origine des engins. Si cette initiative devait se traduire par un prélévement dans les régiments de Cavalerie Blindée, la diminution du potentiel que ce prélévement entrainerait ne saurait être compensée par les Jaguar, dont "seulement" 20 exemplaires ont été reçus par l'armée de terre.